Des drones en forme de libellule. La miniaturisation des armes de combat transforme la façon de faire la guerre et efface les frontières entre combattants et civils
Fin juin 2025, plusieurs médias d’État chinois ont diffusé des images d’un micro-drone inspiré de la libellule, développé par des laboratoires civilo-militaires en lien avec l’Université de Pékin. L’engin, pesant moins de 30 grammes, se déplace en battant des ailes souples avec une remarquable stabilité, et serait capable, selon les sources officielles, d’opérer en intérieur comme en extérieur, dans des environnements à forte densité humaine. Cette annonce s’inscrit dans un ensemble plus large d’initiatives chinoises dans le domaine des drones bio-inspirés, aux côtés de projets imitant le vol de coléoptères, de moineaux ou de chauves-souris.
Le battement d’ailes
Au-delà de l’effet de communication, ce type de développement soulève des enjeux technologiques et doctrinaux importants.
La miniaturisation des drones libellules incarne à la fois une prouesse technologique et une limite structurante du biomimétisme aérien. Tant en France qu’en Chine, les chercheurs se heurtent au même mur : concilier légèreté extrême, autonomie énergétique et stabilité en vol dans des engins pesant à peine quelques grammes. Si le modèle chinois, récemment dévoilé, semble avoir franchi un seuil symbolique grâce à l’emploi de matériaux ultralégers et de moteurs piézoélectriques, il souffre encore d’une autonomie très réduite et d’un contrôle dépendant de stations au sol.
En France, les prototypes issus du CEA ou de l’ONERA témoignent d’une excellence théorique mais peinent à dépasser le stade du laboratoire. À ce jour, aucune des deux puissances ne semble avoir résolu le dilemme fondamental : plus un drone est petit, plus chaque milliwatt et chaque vibration compromettent sa stabilité. En l’état, le drone libellule reste donc un rêve d’ingénieur plus qu’un atout militaire opérationnel, mais un rêve de plus en plus précis, structuré par l’idée que la furtivité de demain passera peut-être par la légèreté de l’insecte.
Dans cette dynamique, un exemple singulier mérite d’être mentionné : le MetaFly, micro-drone développé par l’ingénieur français Edwin Van Ruymbeke. Reprenant le principe du vol battu d’un insecte, ce dispositif ultra-léger (10 g), piloté à distance, vole aussi bien en intérieur qu’en extérieur. Bien qu’issu du secteur civil et conçu comme un objet de loisir, le MetaFly repose sur des choix techniques – en matière de motorisation, d’équilibre en vol et de biomimétisme – qui témoignent d’un véritable savoir-faire. Il ne prétend pas à une vocation militaire immédiate, mais son existence rappelle que l’excellence peut surgir en marge des programmes institutionnels, et que des innovations de rupture peuvent aussi émerger hors du champ strictement défensif.
La guerre des drones
L’intérêt pour les micro-drones biomimétiques repose sur plusieurs caractéristiques clés : leur silence, leur faible signature thermique, leur capacité à évoluer dans des espaces confinés, et leur ressemblance avec des animaux inoffensifs, qui les rend difficilement détectables en milieu civil. Ces qualités en font des vecteurs potentiels pour des missions de renseignement, d’observation rapprochée, voire de neutralisation ciblée à très courte portée, dans des contextes urbains ou sensibles.
Les États-Unis sont aussi dans la course. Le Pentagone, via la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) est l’agence de recherche et développement, ont lancé dès les années 2000 des programmes de micro-robots volants, avec des prototypes inspirés de libellules, d’abeilles et de mouches. Si nombre de ces projets sont restés au stade expérimental, certains ont débouché sur des dispositifs utilisables, notamment dans la surveillance rapprochée en zone de conflit. Israël, également, explore ces technologies dans le cadre de projets confidentiels mêlant intelligence artificielle et miniaturisation robotique.
Le micro-drone libellule chinois, comme le MetaFly français dans une moindre mesure, illustre donc une tendance lourde : la convergence entre miniaturisation technologique, biomimétisme et automatisation. Si la France veut rester présente sur ce segment émergent, elle devra sans doute structurer une réponse coordonnée entre recherche publique, start-ups technologiques et acteurs de la défense. À défaut, d’autres imposeront demain, dans les airs discrets de la guerre moderne, la forme de la prochaine génération de capteurs, ou d’armes.
Des questions doctrinales
La généralisation de ces drones insectoïdes soulèverait, par ailleurs, d’importantes questions doctrinales et juridiques. Leur déploiement en zones civiles pourrait brouiller la distinction entre combattants et non-combattants. Leur utilisation pour des missions de reconnaissance en environnements fermés – immeubles, avions, bateaux, grottes, bunkers – rendrait caduques certaines protections passives. Enfin, leur emploi à des fins létales, bien qu’encore largement hypothétique, poserait également des enjeux éthiques et juridiques. Plus largement, ces engins, à l’image des récentes opérations du Mossad au Liban (via les « bippers »), ouvrent le spectre d’une pénétration sans précédent de l’environnement immédiat des combattants, dans les espaces publics comme privés, avec une militarisation d’objets jusqu’alors perçus comme inoffensifs.
Il s’agit aujourd’hui de la réponse du berger à la bergère : les armées occidentales opposent la très haute technologie aux milices comme le Hezbollah ou les Houthis, qui fondent leur stratégie sur la guerre hybride et l’effacement des frontières entre combattants et civils, entre ville et champ de bataille. Mais ces technologies ne resteront pas longtemps l’apanage des États. Comme pour les drones ou les missiles balistiques, ces mêmes groupes armés et organisations terroristes ne tarderont pas à combler leur retard et à intégrer ces armes à leur propre arsenal. Tout devient arme, partout.