La scène internationale se transforme peu à peu en concours du pire diplomate. Entre propos grossiers, coups bas et droit international bafoué, la diplomatie est fragilisée
Dans les coulisses feutrées des grandes capitales, la courtoisie demeure le fil invisible qui tient le monde à distance du chaos. Pourtant, il suffit parfois d’une parole de travers, d’un geste brusque, pour que l’équilibre vacille et que la scène internationale s’embrase. À l’heure où la planète semble organiser, malgré elle, une sorte de concours du « pire diplomate », la liste des prétendants ne cesse de s’allonger. Qui, de Trump, Duterte, Poutine, Erdogan ou Hun Sen, mérite la palme de la grossièreté sur la scène internationale ? Voici le récit, entre tragédie et farce, d’une compétition dont le monde se passerait bien. Un monde où l’élégance feutrée de la discrétion et la délicatesse du verbe vacillent sous les assauts de dirigeants trop prompts à s’enivrer du fracas et de la provocation.
Le feu des mots : la joute explosive entre Trump et Kim Jong-un
L’été 2017, la lumière écrasante de Washington n’éclaire pas seulement la pelouse de la Maison-Blanche, elle révèle aussi la fièvre d’un monde suspendu aux lèvres de deux hommes. Donald Trump, le visage buriné par la joute politique, s’empare de Twitter comme d’un colt. Le 4 juillet, il raille Kim Jong-un après un tir de missile intercontinental : « Est-ce que ce gars n’a rien de mieux à faire de sa vie ? ». Le 8 août, lors d’une réunion sur la crise des opioïdes, Trump tonne, la mâchoire serrée : la Corée du Nord connaîtra « le feu et la fureur comme le monde n’en a jamais vu ». Le 17 septembre, il baptise Kim « Rocket Man » sur Twitter, puis, le 19 septembre, devant l’Assemblée générale de l’ONU, il lance : « Rocket Man est en mission suicide pour lui-même ». Kim Jong-un, silhouette trapue, répond trois jours plus tard, qualifiant Trump de « vieillard dérangé ». La joute verbale se mue en duel de regards, de menaces, de silences lourds. On croirait voir deux fauves tourner en cage, chacun guettant la faille, chacun prêt à bondir. La planète, elle, retient son souffle, consciente que le moindre mot, le moindre tweet, pourrait mettre le feu – nucléaire – à la plaine. Une bataille d’ego dont les remous débordent bien au-delà des seuls duellistes, entraînant possiblement dans leur sillage des peuples entiers et l’équilibre du monde.
L’invective présidentielle : Duterte et l’insulte qui fait vaciller une alliance
Septembre 2016, Davao, sud des Philippines. Dans la touffeur d’une salle de presse, Rodrigo Duterte, tout juste élu, avance comme un boxeur sur le ring. À la veille d’un sommet de l’ASEAN, il frappe violemment sans détour : Barack Obama est un « fils de pute ». La presse s’empare de l’affaire. Les analystes, eux, se demandent jusqu’où ira cette comédie humaine, où le verbe blesse plus sûrement qu’une balle perdue. Ici, la diplomatie se mue en pugilat, et l’arène politique résonne des échos d’une parole brute et parfois inutile, qui, loin de désamorcer les tensions, les attise et laisse derrière elle un sentiment de discorde et de médiocrité.
Le silence et le mépris : Poutine, maître du théâtre de l’ombre
Novembre 2014, Brisbane, Australie. Le G20 bruisse des conversations feutrées des puissants. Vladimir Poutine, visage impassible, encaisse les critiques sur la Crimée. Il se lève, quitte la réunion avant la fin, laissant derrière lui un parfum de défi, une ombre glacée sur la table des négociations. Mais le théâtre poutinien ne s’arrête pas là. Février 2022, le Kremlin. Emmanuel Macron, visage concentré, affronte Poutine à une table interminable, six mètres d’un vide symbolique, où la distance devient message, où la froideur se fait arme. Poutine, lui, multiplie les affronts : faire attendre Merkel, défier la reine d’Angleterre, user du silence comme d’une lame. On croirait voir un personnage de Tchekhov, lassé du bal des vanités, s’enfonçant peu à peu dans la pénombre de ses propres certitudes : à force de distance et de froideur, Poutine finit par s’isoler, enfermé dans ses raisonnements, jusqu’à disparaître, silhouette solitaire, engloutie par la nuit. Ce positionnement, loin de lui assurer la grandeur à laquelle il aspire, menace jusqu’à ce qu’il restera de lui dans les livres d’histoire : lui qui se rêvait tsar pourrait bien finir relégué à une simple page.
Le bras d’honneur d’Ankara : Erdogan et les mots qui blessent
Automne 2020, Ankara. Dans l’arène turque, Recep Tayyip Erdogan, coutumier des provocations et de l’ingérence, s’en prend violemment à Emmanuel Macron. « Tout ce qu’on peut dire d’un chef d’État qui traite des millions de membres de communautés religieuses différentes de cette manière, c’est : allez d’abord faire des examens de santé mentale », lance-t-il lors d’un discours télévisé, en réaction à la position française sur la laïcité et la lutte contre le séparatisme islamiste. L’Élysée dénonce alors des paroles « inacceptables » et rappelle son ambassadeur à Ankara, un geste diplomatique rare qui souligne la gravité de l’incident. Ces attaques verbales, sur fond de désaccords profonds sur la Méditerranée orientale et la gestion de l’islam en France, ont fait franchir un nouveau palier à la dégradation des relations franco-turques que depuis, les vrais diplomates, s’attachent à eux reconstruire patiemment. Car derrière l’agitation d’un homme, la profondeur de l’histoire demeure : les provocations d’un président, fussent-elles bruyantes, ne sauraient altérer la relation séculaire entre la France et la Turquie. Tandis que les tempêtes médiatiques passent, les peuples, eux, continuent de se parler, tissant dans la discrétion des liens que la fureur des mots ne saurait rompre.
Le goujat du Cambodge : Hun Sen, la dynastie de la grossièreté et des intérêts privés
Juin 2025, frontière entre la Thaïlande et le Cambodge. C’est peut-être dans le dernier acte de ce théâtre diplomatique que la tragédie côtoie le plus le grotesque. Après un affrontement meurtrier près du temple de Preah Vihear, une conversation privée entre Hun Sen, l’homme fort du Cambodge, et Paetongtarn Shinawatra, alors Première ministre thaïlandaise, est enregistrée puis diffusée par Hun Sen lui-même. Ce « leak » est un choc dans la région et au-delà, tant il va à l’encontre des usages et des codes de la diplomatie internationale. Paetongtarn Shinawatra, elle, reste d’une courtoisie irréprochable, tentant de désamorcer la crise avec calme et respect. Mais face à un comportement outrancier, peut-être même un brin misogyne, la stupeur se mue en colère à Bangkok. Le ministère des Affaires étrangères rappelle son ambassadeur, la presse titre sur l’humiliation nationale. Ce qui devait rester une tentative de désescalade discrète et efficace s’est transformé en chaos politique. La faute en revient à un clan. Hun Sen n’a jamais vraiment quitté le pouvoir : il règne désormais sur le Cambodge à travers son fils, Hun Manet, perpétuant un régime tyrannique et dynastique où la brutalité verbale et l’irrespect sont donc devenus la marque de fabrique du clan au sommet de l’État. Plus grave, de nombreux rapports et enquêtes journalistiques pointent le fait que Hun Sen et son entourage pourraient servir des intérêts privés, souvent au détriment du pays et de la stabilité régionale. Des accusations de corruption, de trafic d’influence et de liens présumés avec des activités illicites, notamment dans les secteurs du jeu, des casinos et de la fraude en ligne, persistent malgré les démentis officiels.
À travers ces quelques épisodes, une leçon s’impose, comme un fil rouge tissé dans l’histoire contemporaine. Les intérêts nationaux ne peuvent être défendus durablement que par une conduite digne, respectueuse des normes internationales. Parce qu’au final, la paix du monde tient parfois à la retenue d’un homme, à la sagesse d’une femme, à la capacité de chacun à préférer le dialogue à l’invective. Dans les salons feutrés ou sur la scène des réseaux sociaux, la diplomatie reste un art fragile, où la courtoisie n’est pas un luxe, mais une nécessité vitale. Et si, parfois, la scène internationale ressemble à une tragédie antique ou à une comédie grinçante, il ne faut jamais oublier que le rideau, lui, ne tombe jamais vraiment. L’Histoire effacera de sa scène les mauvais comédiens.