Le Djebel Druze en feu : Israël et al-Charaa jouent leur crédibilité

16 juillet 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Syrian government soldiers drive in front of a house that was burned during the clashes between the Syrian government forces and Druze militias on the outskirts of Sweida city, July 16, 2025. (AP Photo/Omar Sanadiki)/XHM103/25197455297111//2507161446

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Le Djebel Druze en feu : Israël et al-Charaa jouent leur crédibilité

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Au-delà des combats entre les milices druzes et les forces du nouveau régime syrien, Israël et al-Charaa ont tous deux un intérêt à préserver leur crédibilité, ce qui pourrait prolonger le conflit dans le Djebel druze et entraîner une intervention directe de Tsahal.

Un conflit intercommunautaire

Le 13 juillet, un Druze a été enlevé par un groupe armé arabe sunnite qui tenait un barrage routier. Cette faction fait partie de la minorité bédouine sédentarisée du Djebel Druze depuis plusieurs décennies. Les conflits entre Druzes et les Bédouins sédentarisés sont récurrents. En 2001, un Druze qui défendait son champ contre le troupeau de ses voisins bédouins a été assassiné. Cet événement a entraîné la mort de plusieurs personnes et une vaste manifestation anti-Assad de la part de la population druze du Djebel, qui l’accusait de soutenir les Bédouins. Aujourd’hui, nous nous trouvons dans une situation assez similaire, car le nouveau régime syrien soutient les Bédouins de la région contre les milices druzes qui refusent de le voir reprendre le contrôle de la province de Soueida, qui correspond au Djebel Druze.  Cette province, peuplée d’environ 350 000 personnes, dont 150 000 vivent à Soueida, est composée à plus de 90 % par des Druzes. Les chrétiens et les Arabes sunnites, ainsi que les Bédouins sédentarisés, représentent chacun 5 % de la population. Ces derniers résident dans un quartier périphérique de Soueida et dispersé dans le Djebel, en marge des localités druzes.

(c) Fabrice Balanche

Avec l’arrivée au pouvoir d’un régime islamique sunnite, les Bédouins du Djebel Druze, qui sont eux aussi de confession sunnite, se sentent plus forts. Ils espèrent que le nouveau régime désarmera les Druzes et leur donnera le pouvoir dans la région. Leur croissance démographique rapide et leurs liens tribaux à l’échelle de la Syrie pourraient leur permettre de s’emparer des meilleures terres dans un avenir proche. Les populations sunnites de Deraa convoitent également le Djebel Druze et veulent se venger de cette population, qui est restée largement fidèle au régime pendant la guerre. De plus, les druzes sont considérés comme des hérétiques par les islamistes. La fatwa émise par le mufti de Palestine, en 1932, qui les reconnaissait enfin comme musulman, comme les alaouites ne suffisent pas à les protéger de l’intégrisme, d’autant plus lorsqu’il se mélange avec la prédation.

La réunification par le fer et le sang

Dès le début des affrontements à Soueida, les forces de sécurité du nouveau régime ont envahi le Djebel druze pour « rétablir l’ordre ». En réalité, elles visent à s’emparer de cette province druze, qui était de facto autonome, comme cela s’était produit en mai dans les villes druzes de la banlieue de Damas. Ahmad al-Charaa aspire à établir une République islamique unifiée en Syrie, et ne tolérera aucune forme d’autonomie locale. C’est une démarche courante après un conflit : rassembler le pays et désarmer les milices pour créer une armée nationale. Le gouvernement syrien semble avoir l’appui des monarchies pétrolières du Golfe, de la Turquie et des pays occidentaux pour mener à bien ce projet. Toutefois, on peut s’inquiéter de l’avenir des populations concernées après le massacre des Alaouites en mars 2025 et de centaines de Druzes dans la banlieue de Damas en mai 2025. En effet, le régime d’al-Charaa n’est en rien démocratique ni même inclusif, malgré son discours de tolérance envers les minorités confessionnelles et ethniques.

al-Charaa est déterminé à conquérir le Djebel Druze. Cela est crucial pour sa réputation auprès de ses troupes et pour son projet de réunification autoritaire du pays.

Le 14 juillet, les troupes d’al-Chara ont pris d’assaut Soueida avec des chars, de l’artillerie et des drones, bombardant les positions druzes. Cette attaque a été suivie d’exactions à l’encontre des civils, car plusieurs dizaines d’entre eux ont perdu la vie uniquement en raison de leur appartenance religieuse, druze. Les habitations sont brûlées et les magasins pillés tandis que les services de communication du nouveau régime diffusent des vidéos rassurantes : les membres des forces de sécurités qui protègent les civils et qui se contentent de récupérer les armes. Les médias gouvernementaux mettent en exergue, Laith Balous, le chef de la milice druze « Les hommes de la dignité », qui dénoncent les autres groupes comme des gangs illégaux et pro-Assad. Il a exhorté les membres de sa communauté à déposer leurs armes et à accueillir favorablement l’armée syrienne récemment formée. En fait, ce chef milicien a été expulsé du Djebel druze en mai dernier, car jugé traître à la cause druze. Il s’était allié avec al-Charaa dès décembre 2024, espérant devenir le chef des Druzes en Syrie et venger la mort de son père, tué en septembre 2015 pour avoir trahi le régime de Bachar al-Assad. Il faut se rappeler que, à l’époque, les différents clans druzes avaient créé des milices pour défendre le Djebel druze contre les attaques des rebelles sunnites, de l’État islamique et du Front al-Nosra. Aujourd’hui, ces mêmes milices, qui contrôlent la région, ne souhaitent pas être désarmées par ceux qu’ils ont combattus auparavant, ce qui explique également leur résistance féroce. Mais al-Charaa est déterminé à conquérir le Djebel Druze. Cela est crucial pour sa réputation auprès de ses troupes et pour son projet de réunification autoritaire du pays.

Le Djebel Druze et le Golan même combat ?

À l’extérieur, al-Charaa ne rencontre que l’hostilité d’Israël, qui préférerait une Syrie fédérale gage de protection pour les minorités et de faiblesse interne. Malgré les ouvertures du nouveau régime à son égard, sa volonté de discuter d’un accord de paix, voire de rejoindre les accords d’Abraham, les dirigeants israéliens ne semblent avoir aucune confiance. Ils considèrent qu’al-Charaa, dont le nom de guerre était al-Joulani (le Golanais) ne renoncera jamais à reprendre le Golan et qu’une fois confortablement installé à la tête d’une Syrie réunifiée, il sera une source d’ennuis pour Israël. En ces circonstances, la défense de la minorité druze en Syrie est une condition essentielle à la démilitarisation de la région sud du pays et, par extension, à la sécurité du plateau du Golan. Les intérêts stratégiques d’Israël rencontrent la volonté autonomiste des Druzes syriens. Ils sont renforcés par la solidarité des Druzes israéliens avec leurs homologues syriens. Le 16 juillet, le chef spirituel des Druzes israéliens, Sheikh Muwafaq Tarifa, a même appelé les militaires de sa communauté à refuser de servir Israël si l’État hébreu n’intervenait pas sérieusement pour protéger les Druzes syriens. L’affaire de Soueïda devient désormais un enjeu intérieur pour la coalition au pouvoir fragilisée par le départ du parti Judaïsme unifié de la Torah qui refuse que les étudiants ultraorthodoxes fassent leur service militaire. Ce qui constitue un véritable paradoxe puisque les Druzes, eux, participent activement à la défense de l’État juif.

(c) Fabrice Balanche

Le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahou joue sa crédibilité interne et externe en défendant les Druzes de Syrie. Les abandonner signifierait leur défaite et probablement un massacre pire que celui subit par les alaouites en mai dernier. La conquête du Djebel Druze renforcerait la toute-puissance d’Ahmad al-Charaa en Syrie, car elle serait annoncée comme une victoire face à Israël « protectrice des Druzes ». Il pourrait ensuite attaquer les Kurdes en toute impunité. Les États-Unis ont retiré toutes leurs bases entre Hasakeh et Deir al-Zor. Entre Tel-Aviv et Washington, on sent bien que les intérêts divergent en Syrie. Cependant, Benjamin Netanyahou reste insensible aux appels à la retenue, car lorsqu’il s’agit de la sécurité d’Israël, même Donal Trump ne peut le retenir. Al-Charaa sera-t-il capable d’accepter l’humiliation ? L’attaque aérienne sur le ministère de la Défense de Damas est un avertissement plutôt inquiétant. Il sera intéressant de voir dans les prochains jours si le président syrien a atteint les limites de son pragmatisme.

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À propos de l’auteur
Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Docteur en géographie politique, HDR, spécialiste de la Syrie et du Liban.

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