Alors que le Parti PAS (Parti Action et Solidarité) de Maia Sandu, la présidente du pays, vient de remporter les élections avec 50 % des voix et 55 députés sur les 101 du Parlement, le score du Bloc patriotique, pro-russe, mené par Igor Dodon, ancien président du pays de 2016 à 2020, a enregistré un résultat moins fort qu’attendu (24 %). L’élection a été marquée par une ingérence russe décriée, ce qui renforce d’autant plus le prestige de cette victoire pro-européenne : les Européens, pourtant, ne sont pas restés en marge de ce scrutin crucial pour l’avenir du pays.
Un article de Alexandre Hogu, assistant de recherche à l’Institut Thomas More
Le 9 janvier 2025, la presse ouest-européenne dénonçait les « ingérences » d’Elon Musk sur le continent : le milliardaire affichait son soutien à l’AFD, en Allemagne. Emmanuel Macron l’avait accusé de soutenir une « internationale réactionnaire » et ces accusations seront renouvelées à chacune de ses prises de parole, en réunion publique ou sur X, en faveur de partis classés à l’extrême droite, comme Reform UK au Royaume-Uni. Ce terme d’« ingérence » a été employé de nombreuses fois pour pointer du doigt des prises de position d’acteurs étrangers sur des sujets de politique intérieure d’autres pays. À la suite du discours de J. D. Vance en Europe en février, qui avait dénoncé la censure grandissante sur le continent et pris la défense de partis politiques comme l’AFD, Olaf Scholz s’était fermement opposé à « l’intervention de tiers » dans la politique allemande.
Les prises de positions européennes : un soutien net en Roumanie et en Moldavie
Si l’on reprend cette logique et si l’on qualifie d’ingérence des avis ou des soutiens étrangers en faveur de partis politiques, que penser des prises de position européennes en faveur du candidat libéral Nicusor Dan en Roumanie ? En effet, lors du second tour de l’élection présidentielle en mai dernier, quelques jours avant le vote, Emmanuel Macron et le candidat roumain s’étaient filmés en train de converser – en français. Emmanuel Macron apportait alors son soutien au candidat : « Pour nous, ce qui est important, c’est que la Roumanie continue son chemin européen […]. Je pense que la clarté d’un partenaire européen, engagé pour la sécurité collective et pour la modernité économique, est essentiel ». Ce soutien avait par ailleurs contrasté avec les attaques sévères du souverainiste George Simion contre Emmanuel Macron lui-même lors de son passage en France.
En Moldavie, les Européens ont à nouveau affiché un front uni et particulièrement fort lors de la fête nationale du pays le 27 août dernier. Emmanuel Macron, le chancelier allemand Friedrich Merz ainsi que le Premier ministre polonais Donald Tusk, ont apporté un soutien irréfragable à la présidente Maia Sandu. Emmanuel Macron et Donald Tusk se sont même exprimés en roumain sous les vivats du public : « Je suis venu vous transmettre l’amitié du peuple français, qui admire votre lutte pour la démocratie et la justice […]. Vous pouvez déjà compter sur le respect et le soutien européens », déclarait alors le président français.
Ces dix derniers jours, également, c’est en Roumanie que l’on s’est le plus inquiété des élections à la frontière. Traian Basescu, ancien président du pays (2004-2014), s’est montré un soutien très actif du chemin pro-européen moldave. Parmi ses nombreuses prises de paroles, il a notamment appelé les Moldaves où qu’ils fussent à se rendre aux urnes ce dimanche. Hier soir, il résumait les enjeux du scrutin pour la Roumanie : « Si les partis pro-européens gagnent les élections en Moldavie, la République moldave continue son parcours pro-européen. Cela signifie pour la Roumanie un objectif de politique extérieure atteint, mais le plus important est que la frontière orientale de la Roumanie est avec un État ami ».
Enfin, le discours de Volodymir Zelenski à l’ONU, le 24 septembre, a appelé l’Union européenne a aider la Moldavie, en particulier du point de vue énergétique – le pays est très dépendant du gaz russe en Transnistrie, qui a été volontairement coupé pendant plus d’un mois en janvier. Selon lui, « l’Europe ne peut pas se permettre de perdre la Moldavie ». Elle doit l’aider avec des financements et un soutien énergétique plus fort. Rappelons que depuis le début de la guerre en Ukraine, la Roumanie a progressivement mis en place des livraisons alternatives de gaz et d’électricité afin de sortir le pays de sa dépendance à Moscou. Ces propos du président ukrainien peuvent sembler peu judicieux lorsque l’on sait que depuis deux semaines circule sur les réseaux sociaux une fausse information disant qu’en cas de défaite des pro-européens, l’Occident était prêt à occuper le pays depuis des troupes stationnées en Roumanie.

La présidente moldave, Maia Sandu, glissant son bulletin dans l’urne pour les élections parlementaires. 28 septembre 2025.
Entre valeurs et réalité politique : une hypocrisie européenne ?
Il est curieux que les tenants de la démocratie libérale, de la liberté des peuples à se gouverner eux-mêmes, s’ingénient autant à soutenir les partis qui leur sont favorables tout en ne voyant pas la contradiction évidente de leur propre rhétorique. Comme en Roumanie, on replonge ici dans la tension qui parcourt les libéraux européens : face à des adversaires qui sont des ennemis, nos propres valeurs ne vont-elles pas nous conduire à notre perte ?
La Russie exerce une influence indéniable sur la Moldavie : les campagnes de désinformation sont désormais systématiques et se font écho du Danube au Dniestr, le Kremlin abrite les oligarques – en particulier Ilan Sor – qui achètent des voix, financent des manifestations anti-gouvernementales, etc.
Il ne s’agit pas pour nous de mettre au même niveau les déclarations européennes et les immixtions manifestes de la Russie. Cependant l’on ne peut réfuter le décalage entre les valeurs et les discours de l’Union européenne et de ses chefs d’État et les contingences politiques. Comme en Roumanie, une défaite vis-à-vis d’un candidat, d’un parti pro-russe, ou même d’un projet eurosceptique ou anti-otanien, depuis février 2022, est devenu dangereuse et intolérable. Les élections deviennent des référendums d’une extrême tension et l’intervention de la justice au cours des campagnes électorales ajoute aux tensions : la bașcana – dirigeante – de la Gagaouzie, région autonome au sud du pays, a été condamnée à sept ans de prison en août dernier pour financement illégal du parti d’Ilan Sor ; et l’oligarque Vladimir Plahotniuc a été extradé de Grèce le 25 septembre pour le « vol du siècle », en sont des exemples.
Ce hiatus se retrouve dans le besoin de porter assistance, d’afficher son soutien à un parti, afin de renforcer sa crédibilité aux yeux de la population. De ce fait, l’élection n’est plus une photographie de l’opinion publique à un moment donné sur des enjeux identifiés mais une lutte d’influences et une course aux soutiens. La démocratie moldave est bien éloignée de nos standards français : entre les volontés séparatistes, les chantages énergétiques, le poids décisif de la diaspora et l’incompatibilité des projets des principaux partis, la « neutralité » revient à laisser le champ libre à l’ennemi. L’ironie de la situation, c’est que l’activisme européen sert le discours de Moscou. Le ressentiment par rapport aux discours humanistes, légalistes, promus par le projet libéral se heurtent aux nécessités du terrain politique. Il semble qu’en attendant la vraie démocratie, il faille guider un peu le peuple.
Après la victoire, à quoi s’attendre ?
Si la victoire du parti PAS est une bonne nouvelle pour l’Europe, il n’en reste pas moins que la démocratie moldave reste dans un état fragile. Depuis 2021, Maia Sandu a échoué à réduire significativement la corruption qui gangrène le pays, et l’inflation, particulièrement affectée par le coût de l’énergie, est l’une des plus hautes d’Europe. Les subsides européens ne peuvent pas tout, et le devenir du parti dépendra également de la qualité de son action au cours des quatre prochaines années.
L’Union européenne peut certes se sentir rassurée de ne pas perdre son plus enthousiaste membre du Partenariat oriental. Après la victoire du Rêve géorgien, qui avait marqué un coup d’arrêt au chemin de l’adhésion à l’UE, la position européenne semblait fragilisée. Cependant, après avoir repoussé la percée populiste en Roumanie et déjoué les plans du Kremlin en Moldavie, l’on peut dire que « l’ingérence » européenne fonctionne.