Le Pakistan pourrait participer à la force internationale de sécurisation de Gaza. Cela fait plusieurs décennies que le Pakistan est déjà présent au Proche-Orient, notamment en Jordanie.
Dans le cadre du plan Trump présenté par la Maison-Blanche, l’hypothèse d’une participation pakistanaise à une éventuelle force multinationale chargée de sécuriser Gaza, pourrait être à l’ordre du jour. Selon les données officielles de l’ONU, le Pakistan déploie actuellement des militaires et des policiers dans plusieurs missions à travers le monde. Depuis les années 1960, plus de 235 000 soldats et policiers pakistanais ont été déployés dans une cinquantaine de missions onusiennes sur quatre continents. Cette tradition est devenue l’un des piliers de l’image internationale du Pakistan, lui permettant à la fois de renforcer ses liens avec l’ONU, de cultiver une réputation de puissance « responsable » au sein du monde musulman, et de valoriser le savoir-faire de ses forces armées.
Un Pakistan déjà engagé
Si des unités pakistanaises se déploient dans la bande de Gaza, il ne s’agirait pas de la première rencontre entre des soldats pakistanais et des Palestiniens en armes. Déjà en 1970, lors de « Septembre noir », la guerre civile qui opposa en Jordanie le roi Hussein aux organisations palestiniennes, l’armée pakistanaise s’était trouvée engagée aux côtés de la monarchie hachémite dans un conflit fratricide.
Cet affrontement, qui fit plusieurs milliers de morts, marqua le point de rupture entre la monarchie hachémite et le mouvement palestinien armé. Si l’épisode est bien connu pour son retentissement régional, le rôle du Pakistan demeure, lui, beaucoup plus discret, mais non moins décisif.
Depuis le milieu des années 1960, Amman et Islamabad entretenaient des relations militaires étroites. Le roi Hussein, qui redoutait à la fois ses voisins (la Syrie, l’Iraq et surtout l’Égypte de Nasser) et ses opposants intérieurs, avait accepté la présence en Jordanie d’une mission militaire pakistanaise chargée de former et de conseiller les forces armées jordaniennes. C’est dans ce cadre que se trouvait à Amman un officier qui allait devenir une figure de premier plan de l’histoire pakistanaise : le colonel Muhammad Zia-ul-Haq, futur président et dictateur militaire du Pakistan.
Lorsque les affrontements éclatèrent en septembre 1970 entre l’armée jordanienne et les fedayins palestiniens installés massivement dans le royaume depuis 1967, ces conseillers jouèrent un rôle central. Zia, en particulier, fut impliqué directement dans la planification des opérations jordaniennes. Plusieurs témoignages, y compris du côté palestinien, indiquent qu’il dirigea sur le terrain des unités blindées et encadra les manœuvres qui permirent à l’armée jordanienne de reprendre le contrôle de la capitale Amman et d’autres villes insurgées.
L’aide pakistanaise ne se limita pas aux conseils tactiques. Dans les airs, elle se traduisit par l’engagement de pilotes pakistanais au service de la Jordanie. Ceux-ci furent mis à contribution non seulement contre les fedayins, mais aussi contre les forces syriennes qui avaient franchi la frontière pour soutenir les Palestiniens. Les chasseurs jordaniens pilotés par des Pakistanais jouèrent un rôle dissuasif dans ce bref épisode, contraignant Damas à retirer ses blindés, ce qui constitua un tournant dans la stabilisation du régime hachémite. Et c’est dans ce contexte que les forces pakistanaises opéraient de concert avec Israël. Les États-Unis hésitèrent à engager directement des troupes, mais pressèrent Israël d’agir pour dissuader Damas. L’aviation israélienne exécuta alors des démonstrations de force le long de la frontière syro-jordanienne et dans le ciel du sud de la Syrie. Les Syriens, craignant une intervention directe d’Israël, arrêtèrent leur avance et commencèrent à retirer leurs forces. Les pilotes pakistanais volant pour la Jordanie menèrent quelques frappes d’appui, mais le poids stratégique principal fut l’intimidation israélienne.
Une intervention continue
Cette intervention discrète, mais efficace du Pakistan illustre la logique d’alliances parallèles qui caractérisait alors le Moyen-Orient. Pour Islamabad, l’engagement auprès du roi Hussein s’expliquait par la solidarité islamique, mais aussi par la volonté d’affirmer, dans un contexte de guerre froide, sa place dans les équilibres régionaux, en particulier face à l’Inde et malgré ses propres fragilités internes. Les relations avec la Jordanie occupaient toutefois une place singulière, car les deux armées restaient profondément marquées par leurs origines et leur culture britanniques. Zia, qui avait reçu son brevet d’officier dans l’armée britannique des Indes, se sentait à l’aise avec les officiers de la Légion arabe jordanienne formés à Sandhurst, sans parler de la similarité du matériel et de la doctrine.
Le souvenir de cette coopération resta longtemps vivace dans les cercles dirigeants d’Amman. Le roi Hussein garda une reconnaissance particulière envers ses alliés pakistanais, à commencer par Muhammad Zia-ul-Haq, et lorsque ce dernier accéda à la présidence du Pakistan en 1977, il cultiva avec soin cette relation. Dès la fin des années 1970, des échanges réguliers d’officiers et de délégations militaires furent organisés et la Jordanie reçut de l’aide pakistanaise en matière d’entraînement militaire, notamment dans le domaine des blindés et de la défense antiaérienne, tandis que plusieurs centaines de militaires jordaniens passèrent par des académies et écoles de guerre pakistanaises.

Des soldats de la paix pakistanais de l’ONU montent la garde près du bus où les délégués du Conseil de sécurité de l’ONU sont arrivés à l’aéroport international de Port-au-Prince, en Haïti, le mercredi 13 avril 2005.
Une alliance diplomatique et militaire
Sur le plan diplomatique, la proximité entre Amman et Islamabad se traduisit par une coordination dans les enceintes internationales. La Jordanie soutint à plusieurs reprises les positions pakistanaises sur la question du Cachemire au sein de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), tandis que le Pakistan appuya les résolutions favorables à la monarchie hachémite dans le dossier sensible de Jérusalem. Cette solidarité fut visible notamment lors du sommet islamique de La Mecque en 1981, où Zia-ul-Haq plaida publiquement pour une reconnaissance du rôle particulier de la Jordanie dans la gestion des lieux saints. Et quand on connaît la rivalité entre les Saoud et les Hachémites, sur ce point, on peut apprécier l’audace.
Cette alliance secondaire, mais solide s’exprima aussi par des gestes symboliques. Le roi Hussein se rendit à plusieurs reprises au Pakistan, et dans le monde arabe, où la Jordanie souffrait souvent d’un statut fragile face aux poids lourds, comme l’Égypte, l’Arabie saoudite ou la Syrie, ce lien avec Islamabad lui donnait un surcroît de légitimité et un relais extérieur précieux.
L’épisode de 1970 ne fut pas une parenthèse, mais bien le socle d’une relation durable : un souvenir fondateur transformé en coopération institutionnalisée, qui inscrivit le Pakistan parmi les alliés de long terme du trône hachémite, en marge, mais jamais à la périphérie des grands jeux du Moyen-Orient.