Population et cartes françaises, rivalités Chine – Inde, anniversaire de la Sécu, escales arméniennes. Aperçu des livres de la semaine.
Sous la direction de Yoann Doignon, Atlas de la population française, CNRS Éditions, 32 €
Voici un atlas démographique ambitieux et très à jour qui remet à plat une série d’idées reçues—de la « diagonale du vide » à la littoralisation—à l’aide d’environ 160 cartes originales et de textes courts, structurés en une trentaine de chapitres couvrant la France métropolitaine et les DROM. L’ouvrage s’appuie sur les flux et stocks issus des bases récentes de l’Insee, et propose des zooms locaux qui évitent les généralisations hâtives. Dans un contexte où le vocabulaire de la géographie a envahi l’espace médiatique au risque de perdre sa rigueur, ce livre réinstalle des définitions solides et des diagnostics sourcés. Il montre, cartes à l’appui, que la dynamique démographique française n’oppose pas simplement des « France vides » et des « France pleines », mais des gradients et des temporalités imbriquées : vieillissement différencié, renouveaux urbains/périurbains, recompositions de l’emploi et migrations internes et internationales. TY
Ce court essai de géopolitique comparée, très à jour, met face à face les trajectoires de la Chine et de l’Inde : ambitions, vulnérabilités, et—surtout—les conditions d’(im)possibilité d’une véritable alliance sino-indienne. L’angle est résolument stratégique : capacités, dépendances, voisinages, et place de l’hégémonie américaine dans les calculs de Pékin et de New Delhi. Parce que l’ouvrage dépasse le duel stéréotypé « autocratie efficace vs. démocratie chaotique ». Struye de Swielande montre que les deux puissances tirent profit de la multipolarité, mais butent chacune sur des contraintes structurelles : dépendances technologiques et financières pour la Chine ; gouvernance, cohésion sociale et projection régionale pour l’Inde. Il en résulte des compétitions croisées (Indo-Pacifique, Eurasie, technologies critiques) et convergences tactiques limitées anti-hégémoniques—sans déboucher sur un axe durable. TY
Julien Damon, Petit éloge de la sécu, Les Presses de Science Po, 2025, 8 €
Déjà 80 ans pour la sécu et le modèle social que « le monde entier nous envie » selon la formule consacrée. Une sécu adulée par les Français, qui ne savent pas vraiment comment elle fonctionne, ce qu’elle regroupe et ce qu’elle coûte. Mais, depuis les ordonnances de 1945, la « sécu » est un mythe français et un totem de l’État providence et du modèle « républicain ».
Le premier intérêt du livre est de présenter de façon succincte, claire et pédagogique, l’histoire de ce système social et son fonctionnement. Son évolution aussi, car, si, pour beaucoup, la sécu est immobile et immuable, il n’en est pas ainsi. Et Julien Damon analyse très bien les inflexions, les ajouts, les évolutions de cette sécurité sociale qui ne comprend pas que la santé, mais aussi la vieillesse, la retraite et l’assistance.
Le deuxième intérêt du livre est de ne pas se limiter aux aspects fonctionnels, mais d’aborder aussi les sujets de philosophie politique. Qu’est-ce que cela signifie que d’avoir une sécurité sociale ? Quels en sont les enjeux politiques, sociaux, philosophiques. Le chapitre consacré aux objections libérales à la Sécurité sociale est ainsi des plus passionnants. Il permet de montrer que la sécu est discutée au moins depuis le XVIIIe siècle et donc qu’elle ne surgit pas de nulle part en 1945. Qu’elle trouve plusieurs opposants, notamment en France, qui s’opposent à ce système sur des bases philosophiques et humaines, au nom de la dignité de la personne et de l’efficacité du système. Les « anti-sécu » ne sont pas tous des monstres qui veulent laisser mourir les pauvres dans les rues. Bien au contraire, ils font plusieurs objections sur un système déshumanisant et souvent inefficace, avec des propositions de compensations, dont les assurances privées ne sont que l’une des facettes.
Troisième intérêt : présenter le système américain de sécurité sociale, antérieur de dix ans au système français. Alors que, dans l’imaginaire collectif français, les États-Unis sont vus comme un pays sans protection où les pauvres et les malades sont laissés à eux-mêmes, Julien Damon, revenant sur l’histoire, démontre qu’il n’en est pas ainsi. Aux États-Unis, la sécu existe depuis 1935 et Franklin Roosevelt et elle demeure, comme en France, une fierté nationale. Mais avec des particularités, dont la première est de s’occuper davantage de retraite que de santé.
Un ouvrage bref, facile à lire, avec ce qu’il faut de chiffres, de données et de doctrine pour être compréhensible et digeste. Un ouvrage indispensable pour comprendre ce qu’est la Sécurité sociale et comment elle fonctionne. 80 ans après sa naissance, il serait temps que les Français apprennent à mieux la connaître.
Olivier Marchon (dir.), Frontières bizarres de la France, Autrement, 2025, 25 €
Une revue de géopolitique aime forcément les cartes, puisqu’elles sont à la fois le fruit de notre travail et notre support intellectuel. Un nouvel atlas est toujours le bienvenu, notamment dans la collection Autrement qui propose depuis plusieurs années des atlas de grande qualité.
Ce numéro prend quelques pas de côté en proposant un atlas de la France particulier. Évocation de frontières bizarres, de résidus historiques, de villes mal découpées. L’un des grands intérêts de cet atlas est de montrer la France dans toute sa diversité : pas seulement l’Hexagone, mais aussi les outre-mer, qui sont fondamentaux pour la puissance française. Pour tous ceux qui pensent que les Français sont fâchés avec la géographie, il faut se plonger dans ce livre qui est une façon incongrue et originale de redécouvrir l’histoire et la géographie.
Publication des auteurs de Conflits
Tigrane Yegavian, Escales arméniennes, Erick Bonnier, 2025, 25 €
Les Arméniens sont un peuple monde qui, conséquence du fait diasporique, sont présents sur tous les continents. Ce faisant, parler de l’Arménie ne consiste pas à évoquer uniquement l’État arménien, délimité par des frontières caucasiennes, mais les liens et les relations que ces personnes entretiennent entre elles et la façon dont elles font perdurer leurs traditions et leurs cultures à travers le monde. Avec cette question existentielle : comment s’intégrer sans se fondre ?
Il ne s’agit pas d’un énième livre larmoyant sur la cause arménienne, mais d’une présentation dynamique, complexe et plurielle de ce qu’est l’Arménie et de ce que sont les Arméniens, au-delà de la seule Arménie géographique.
Tigrane Yegavian a donc sélectionné des articles parus dans France – Arménie pour présenter cette Arménie multiple, en escales, de Chypre à Alep, de l’Amérique latine à l’Europe. Des escales géographiques et temporelles pour voyager dans l’Orient arménien qui peut se retrouver très loin de ses bases. Mais toujours avec la conscience claire de ce que signifie être Arménien.










