Lors du 64ᵉ anniversaire de l’indépendance du Gabon, le président Brice Clotaire Oligui Nguema a appelé à une « renaissance de la dignité nationale » fondée sur la réforme des mentalités et l’émergence d’un « Gabonais nouveau ».
Ce thème, inspiré par l’histoire et les valeurs du pays, guide depuis 2023 l’action politique du régime issu de la transition.
A retenir
Le président Brice Clotaire Oligui Nguema fait de la « renaissance de la dignité nationale » et de l’émergence d’un « Gabonais nouveau » le cœur de son projet politique depuis 2023.
En s’appuyant sur les grandes figures de l’histoire du Gabon pour restaurer la fierté nationale, il cherche à réaffirmer la souveraineté du pays, à renforcer l’unité et à proposer un nationalisme moderne, centré sur les valeurs, distinct du panafricanisme radical de certains États voisins.
À l’occasion du 64e anniversaire de l’accession à l’Indépendance du Gabon, dans son discours¹ du 17 août 2024, le deuxième thème, sur 52 développés par le président de la Transition, le général Brice Clotaire Oligui Nguema était celui « de la renaissance de la dignité nationale », ce qui ne pourra se faire qu’en faisant « émerger un nouveau type de Gabonais en réformant la mentalité ».
Il concluait en saluant « l’histoire de notre pays, écrite depuis la nuit des temps par nos ancêtres ». Ce thème de la dignité, du Gabonais nouveau et des personnages inspirants est le fil rouge de la méthode pour « l’essor vers la félicité »³ promis par le nouveau régime. Il a guidé toute l’action politique du chef de Transition et maintenant, Président de la Ve République, Oligui Nguema, depuis le renversement du régime d’Ali Bongo, le 30 août 2023.
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Avec la prise du pouvoir au Gabon par le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), en 2023, la définition de l’identité gabonaise a donc été au cœur du projet politique des nouvelles autorités. Destiné à rassembler les Gabonais autour de valeurs, ce projet se manifeste autour de la mise en valeur de figures de l’Histoire du Gabon. Si la démarche n’est pas nouvelle, les États sahéliens de l’AES, en particulier, promeuvent également de grandes figures historiques pour rassembler et galvaniser leur population, la démarche gabonaise est différente et singulière et mérite d’être étudiée.
L’image ternie du Gabon le questionnement des Gabonais sur leurs valeurs
Les derniers mois avant la chute du président Ali Bongo avaient été marqués par une série d’évènements dont la fréquence et la portée avaient révélé, ou confirmé, aux Gabonais, le déclassement de leur pays, l’affaiblissement des capacités régaliennes de leur État et porté atteinte à leur réputation :
Le premier a été, en septembre 2021, le renvoi par l’ONU du contingent de 450 Casques bleus gabonais de la MINUSCA, en Centrafrique, après des accusations d’exploitation et d’abus sexuels, privant le pays de sa seule opération extérieure ; les demandes formulées par l’ONU pour que les autorités gabonaises prennent des mesures énergiques et l’absence de réponse convaincante avaient précipité le retour du contingent gabonais à Libreville ; si beaucoup de Gabonais l’avaient ressenti comme une injustice⁴, cet évènement avait alimenté un débat sur l’humiliation nationale subie, mais également sur l’état de la discipline⁵ au sein des forces et sur l’inertie des autorités pour corriger des comportements déviants, pourtant signalés depuis plusieurs années ;
le second a été, le 29 décembre 2022, la rupture de la ligne ferroviaire du Transgabonais après un glissement de terrain ; si les coupures sont assez fréquentes et un sujet régulier de mécontentement⁶, son ampleur et le fait que cet incident se soit déroulé en fin d’année dans un moment de moindre mobilisation, avait révélé au pays son extrême vulnérabilité économique et logistique, les flux dans les deux sens de minerai, de bois… mais également de médicaments, de légumes ou d’eau minérale… ayant été arrêtés pendant plusieurs jours ; journalistes, opposants et observateurs n’avaient pas manqué de relever, en parallèle, la vétusté du réseau routier⁷ ou le manque de moyens militaires ; la situation avait finalement été résolue moins par une coordination des opérations et un engagement massif de l’État que par une auto organisation du secteur privé et informel ; à cette occasion, une campagne de presse virulente s’était développée, dans les médias gabonais, pour demander, par exemple, où étaient les moyens aériens⁸ de l’armée gabonaise en comparant au grand désavantage du pouvoir en place, l’état du parc aérien militaire dans les années 1980 et 1990 et aujourd’hui⁹.
le troisième a été le naufrage, dans la nuit du 8 au 9 mars 2023, d’un ferry, l’Esther Miracle, se rendant de Libreville à Port-Gentil ; si cette catastrophe maritime n’était pas la première, son ampleur qui en a fait la plus meurtrière¹⁰ de l’histoire contemporaine du pays ; les interrogations sur la vétusté connue du navire, sur la négligence des ministères et administrations concernés par la navigation et la communication erratique des autorités ont provoqué une forte indignation des Gabonais ; ont été pointés : la législation non respectée sur le transport, l’avidité des exploitants ayant surchargé le bâtiment de passagers, le laxisme administratif qui n’a pas permis d’avoir le nombre exact de passagers embarqués, la lenteur des secours, le manque de moyens des FDS… Comme le soulignait L’Union, « grâce au concours des partenaires économiques, un système a été mis en place pour un ratissage total de l’épave du navire »¹¹ ce qui a souligné plus encore la faiblesse de l’État réduit à s’appuyer sur le secteur privé ; malgré trois jours de deuil et le limogeage du ministre des Transports, la population en a nourri un grand ressentiment.
Le dernier est lié aux problèmes d’électricité récurrents au Gabon après plusieurs années de mauvaise gestion et de scandales financiers qui se traduisent par des coupures et délestages qui exaspèrent la population. Au-delà des désagréments de la vie quotidienne, les Gabonais vivent ces coupures comme une humiliation qui les ramène à la situation que vivent plusieurs capitales de pays ouest-africains, ce qui est pour eux un symbole concret de leur déclassement. Cette crise s’est doublée d’une autre quand, le 22 mai 2023, Ousmane Cissé, un Sénégalais, a été nommé Directeur général de la SEEG¹². Une fronde populaire et une campagne de communication a exigé le départ de cet étranger¹³ qui aurait spolié des Gabonais de souche et tout aussi compétents, d’un emploi lucratif, alimentant le thème d’un pouvoir gabonais qui privilégierait une « Légion étrangère » – selon une expression courante à Libreville – aux dépens de ses propres concitoyens. Face à la pression populaire et syndicale, Ousmane Cissé avait dû présenter sa démission trois jours seulement après sa nomination¹⁴.
Ces événements ont agi fortement sur la population exposant les dysfonctionnements du pays : remise en cause de la discipline des armées, altération de la réputation du pays à l’international, incapacité des autorités à faire respecter les lois, connivences entre les milieux politiques et affairistes, faiblesse, voire désintérêt de l’exécutif pour les problèmes concrets des Gabonais, préférence pour les étrangers au détriment des nationaux… Mais si ces évènements ont révélé aux Gabonais la faiblesse de l’État à travers son manque d’autorité, son manque de moyens et l’usure d’un « système Bongo » à bout de souffle, ils ont aussi révélé une forme de désintérêt collectif des Gabonais pour le bien commun et l’égoïsme de certains d’entre eux. Le CTRI ne l’a pas oublié.
L’appel aux grandes figures de l’Histoire pour être « uni dans la concorde et la fraternité »¹⁵
Le renversement d’Ali Bongo a donc déclenché un vaste débat sur la question identitaire et les valeurs. Lors de son investiture comme président de la Transition¹⁶, le 4 septembre 2023, le général Oligui Nguema a clairement affirmé sa volonté de restaurer la dignité du peuple gabonais, en insistant sur la préférence nationale dans les postes de responsabilité et dans l’économie, tout en précisant que cette position n’était pas xénophobe, mais visait à réaffirmer la souveraineté nationale¹⁷. Les perspectives politiques nouvelles induites par le changement de régime ont donc amené les Gabonais à remettre au premier plan la question de l’octroi de la nationalité, de l’appropriation des terres et de l’accaparement de l’économie par des étrangers, de l’influence politique des diasporas étrangères dans le pays… et sur la place des Gabonais dans leur propre pays. Ce thème de l’identité et des valeurs a été un des principaux traités lors du dialogue national inclusif¹⁸ ouvert par le CTRI en avril 2024, certains participants se laissant même aller à des propositions qui ont fait craindre un moment que le pays ne se lance dans une politique de gabonité qui n’aurait rien eu à envier à la funeste et xénophobe ivoirité qui avait animé la vie politique d’Abidjan quelques années auparavant. Le CTRI avait rapidement repris la main sur le sujet, indiquant que les conclusions du DNI n’avaient qu’une valeur indicative. Parallèlement, le CTRI, s’il a promis de rendre la primauté aux Gabonais dans leur propre pays n’a pas hésité non plus à dénoncer les travers des Gabonais qui veulent tous être fonctionnaires, délaissent l’agriculture ou les emplois de services qui sont laissés aux étrangers, et en particulier aux ressortissants ouest-africains souvent appelés péjorativement les Westafs.
Parmi les mesures mises en œuvre par le régime pour restaurer la fierté et la solidarité afin de faire émerger un nouveau sentiment national et galvaniser le patriotisme, l’appel aux grandes figures de l’Histoire, a donc été un axe central de sa communication. L’objectif était de créer un Panthéon de figures historiques incarnant chacune une qualité à laquelle pourrait se référer chaque Gabonais.
Dans un article du 10 juin 2024, L’Union, principal quotidien national au Gabon, décrit parfaitement la démarche adoptée à l’occasion d’un déplacement du général Oligui Nguéma à Franceville, où il avait honoré le guerrier Awandji Wongo, personnalité historique locale qui s’était opposée à la pénétration coloniale. Le quotidien indiquait que, depuis sa prise de pouvoir, le général Oligui Nguéma « attache du prix à honorer de la plus belle et digne des manières, la mémoire des personnalités ayant marqué, du haut de leurs postures et talents, la vie de notre pays » et « qu’à travers ces personnages, le président de la Transition entend aussi, quelque part, inviter ses compatriotes, notamment ceux de la jeune génération, à s’approprier certaines vertus de ces grands hommes ». Chacune des figures citées se voyait attribuer une qualité : « l’abnégation de Léon Mba, La tolérance d’Omar Bongo Ondimba, le dévouement de Georges Damas Aléka »¹⁹, *« le sens élevé de l’engagement du capitaine Charles Ntchoréré, la perspicacité de Pierre Mamboundou Mamboundou »²⁰, « la combativité de Wongo, l’attachement au terroir de Vyckoss Ekondo etc. »²¹
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Depuis, le Panthéon s’est encore étoffé, le général s’attachant à mettre en valeur dans chaque région une ou plusieurs personnalités. Le 13 juillet 2024, à Tchibanga, le président Oligui Nguema inaugure une statue de Gaspard Yanga « supposé être né au Gabon le 15 mai 1545 »²², meneur d’une rébellion d’esclaves en 1570, au Mexique, « manière d’intégrer et de renforcer le patriotisme, de conserver notre patrimoine, les valeurs culturelles et l’histoire de notre pays dans les mémoires et pour les générations futures »²³.
Plus tard, au cours de son adresse à la Nation du 16 août 2025²⁴, à l’occasion du 65e anniversaire de l’Indépendance, le président Oligui Nguema , rend de nouveau un hommage appuyé à au guerrier Wongo, à Léon Mba et à une nouvelle figure : Ogoula Iquaqua, chef Orungu déporté pour ses dénonciations du colonialisme. Le président indique à cette occasion que : « leur courage, leur sacrifice et leur vision doivent continuer de nous inspirer », pour inciter les Gabonais à affronter les défis contemporains²⁵.
Le 29 août 2025, à l’occasion du deuxième anniversaire du « Coup de Libération »²⁶, le président Oligui Nguema prononce un discours²⁷ à Tchibanga, où il convoque la mémoire du guerrier Nyonda Makita, cette fois-ci pour pour justifier la lutte contre les formes modernes de servitude économique et politique : « Comme Nyonda Makita, qui refusa de plier devant l’envahisseur, nous devons aujourd’hui refuser de nous plier devant toute forme moderne de servitude »²⁸.
La démarche porte et inspire la population qui se réapproprie, recherche et réhabilite des figures historiques. En témoigne, par exemple, cet engagement de l’Institut Culturel Hispano-Lusophone, à Libreville, qui milite pour la création d’un « panthéon des héros gabonais »²⁹. Il s’agit de faire connaître « toute personne ou groupe de personnes dont le courage et les exploits méritent d’être célébrés », en s’appuyant sur le recensement des établissements ayant des noms historiques. Il milite également pour le lancement d’une « Caravane nationale des héros »³⁰, en hommage au président Oligui Nguema « pour sa contribution à la restauration de la dignité nationale ». Les laudateurs du nouveau régime, comme ceux des précédents, versent parfois encore dans un travers bien gabonais : le kounabélisme³¹.
Le capitaine Charles N’Tchorere (1896-1940) qui est une figure singulière au destin aussi brillant que tragique, occupe une place prédominante dans ce Panthéon. S’étendre sur sa biographie est nécessaire pour comprendre le rayonnement de cette figure. Pur produit de la méritocratie coloniale³², il s’élève socialement grâce à son éducation et aux circonstances provoquées par la Première Guerre mondiale. À la déclaration de guerre en 1914, il quitte le Kamerun, alors colonie allemande où il travaille, pour rejoindre le Gabon. En 1916, il se porte volontaire pour le front en Europe et opte définitivement pour la carrière des armes. Promu adjudant en 1919, il prend part aux combats du Maroc. Entré à l’école d’officiers de Fréjus, il en sort major en 1922. Désigné pour le Levant, le lieutenant N’Tchorere est gravement blessé lors des opérations en Syrie. Il est cité en 1925 à l’ordre de la division et décoré de la Croix de guerre. Il rejoint plus tard le Soudan français et est promu capitaine en 1933. Affecté au 1er RTS³³, à Saint-Louis-du-Sénégal, il commande, en particulier, l’école d’enfants de troupe³⁴. En 1939, il demande à servir de nouveau au front. Envoyé dans la Somme, il prend le commandement de la 7e compagnie du 53e RICMS. Le 7 juin 1940, à la tête de sa compagnie retranchée dans le village d’Airaines, près d’Amiens, le capitaine N’Tchorere résiste aux assauts allemands jusqu’à l’épuisement des munitions. Fait prisonnier, pour avoir revendiqué le droit d’être traité en officier français, il est abattu à bout portant par un Allemand³⁵ dans un acte de pur racisme.
Le général puis président Brice Clotaire Oligui Nguema , président de la Transition au Gabon, a exprimé à plusieurs reprises une profonde admiration pour le capitaine Charles N’Tchorere.
Le 2 juin 2024, lors de sa visite officielle en France, le général Oligui Nguema se rend à Airaines, dans la Somme, pour participer aux commémorations des combats de juin 1940. Il y dépose une gerbe de fleurs au pied du monument dédié au capitaine N’Tchorere. Lors de cette cérémonie, il déclare : « Charles N’Tchorere est un héros national. J’ai tenu à être le premier chef d’État gabonais à venir honorer sa mémoire ici à Airaines. Sa figure est ancrée dans notre jeunesse gabonaise. Elle est hautement représentée au Gabon »³⁶.
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Le 7 juin 2024, à l’occasion du 84e anniversaire de la mort du capitaine N’Tchorere, le général Oligui Nguema préside une cérémonie d’hommage à Libreville. Il inaugure un square rénové qui met particulièrement en valeur la statue de N’Tchorere. Il remet, à titre posthume, en reconnaissance de son sacrifice pour la liberté et l’égalité, la médaille de l’ordre de la Panthère Noire à sa famille. Il saisit cette occasion « pour rappeler aux soldats et aux citoyens gabonais l’importance de ces idéaux dans la construction d’une nation forte et responsable »³⁷.
Les références au général de Gaulle, explicites ou implicites, sont également nombreuses. Le général Oligui Nguema multiplie les discours et les gestes qui laissent transparaître une admiration marquée pour le chef de la France libre, même si ces références sont souvent circonstancielles, détournées et servent avant tout à justifier son parcours politique. Le 5 août 2024, lors de la cérémonie des « Grandes Couleurs » de la garde républicaine, il déclare : « qui a libéré la France ? ce n’est pas le général de Gaulle ? Était-il civil ou militaire ? »* et montrant ses épaulettes : « Il avait les mêmes étoiles que qui ? […] S’ils disent merci à de Gaulle, ils doivent aussi me dire merci »³⁸, affirmant qu’on pouvait le comparer à de Gaulle, mais aussi à Sankara et Rawlings. Le 3 mars 2025, en annonçant sa candidature à l’élection présidentielle, il déclare : « J’ai entendu vos appels, je vous ai écoutés et croyez-moi, je vous ai compris »³⁹, toute la presse souligne alors cette référence à de Gaulle. Mais le geste qui le relie le plus directement au général de Gaulle est la création, sous son impulsion, le 31 juillet 2024, d’un « Ordre de la Libération » directement inspiré de celui fondé en 1940 par le chef de la France libre. Destiné à distinguer les personnes et collectivités ayant contribué au « coup de libération » du 30 août 2023, ses récipiendaires portent le titre de « Compagnons de la Libération ».
Que le nouveau régime s’inspire de figures aussi éminentes que le capitaine Charles N’Tchorere et ou le général Charles de Gaulle n’est pas étonnant. Il y a d’abord, la culture martiale du général Oligui Nguema. Militaire lui-même, professionnel reconnu et respecté de la troupe et de la population, il admire et une grande partie du peuple gabonais avec lui, ces figures héroïques qui ont tout abandonné pour se consacrer au salut de la Nation et en lesquelles il se reconnaît. Mutatis mutandis, le général Oligui Nguema établit donc un parallèle entre son entrée « dans l’aventure, comme un homme que le destin jetait hors de toutes les séries » — pour paraphraser de Gaulle — et celle, jadis, de ces illustres figures. Mais aussi, pour le Gabon, une des premières colonies ralliées à de Gaulle après de rudes combats fratricides à Libreville, le souvenir de la France libre est très présent. Cette page de l’histoire est bien connue des Librevillois et est inscrite jusque dans la toponymie de la capitale : camp de Gaulle, avenue du colonel Parant, quartier batterie 4… En promouvant ces figures, le nouveau régime capitalise sur une histoire positive dont le sens s’accorde à ses ambitions politiques.
Il est une dernière catégorie de figures historiques à laquelle le nouveau régime fait référence : les présidents Léon Mba et Omar Bongo⁴⁰. En les valorisant, le président Oligui Nguema, dans une dialectique téléologique, inscrit son action dans la continuité de celle des premiers dirigeants et renforce sa légitimité. Pour beaucoup, ces présidents incarnent un âge d’or : celui de l’Indépendance et de la prospérité. Une époque où les Gabonais « tous unis dans un pays libre, prospère »⁴¹, selon le refrain très connu du chant du parti démocratique gabonais⁴², étaient les habitants d’un pays riche qui rayonnait dans la sous-région. Des personnages dont le parcours et le bilan ne sont pas discutés⁴³. Certaines limites ne sont pas franchies.
Enfin, dans ce Panthéon, peu de références aux figures du panafricanisme. Si certains de ces thèmes chers aux panafricanistes sont parfois mobilisés par le nouveau régime, c’est plus pour satisfaire à un certain conformisme, pour des raisons diplomatiques ou pour servir un objectif politique local. Ainsi, le Président de la Transition Oligui Nguema participe, au Sénégal, en décembre 2024, à la commémoration du massacre de Thiaroye. Il rend hommage aux tirailleurs africains tués en par l’armée française en 1944, affirmant que : « c’est notre devoir de raconter notre histoire, de réparer l’injustice et de préserver la mémoire de ceux qui ont lutté pour la liberté »⁴⁴, mais sans en négliger ni l’importance, ni la portée, il intègre l’évènement dans sa matrice : connaître l’Histoire, mais ne pas en faire un sujet victimaire qui empêcherait le Gabon d’aller de l’avant. De la même manière, lorsqu’il cite le Président ghanéen, Jerry John Rawlings : « quand le peuple est écrasé par ses dirigeants, avec la complicité des juges, c’est à l’armée de lui rendre sa liberté » ou Desmond Tutu : « si vous êtes neutres, devant une situation d’injustice, c’est que vous avez choisi d’être du côté de l’oppresseur »⁴⁵, voire Thomas Sankara, c’est essentiellement pour justifier sa prise du pouvoir en mobilisant des personnalités prestigieuses qui parlent à beaucoup d’Africains.
Un nationalisme contemporain qui pourrait rayonner au-delà du Gabon
Le nouveau régime, dans une démarche syncrétique mêlant figures locales de la résistance à la colonisation aussi bien que d’autres issues de la transformation coloniale, associant des figures africaines et même européennes avec de Gaulle tout en réhabilitant les présidents qui s’étaient succédé avant lui à la tête du Gabon, propose un nationalisme novateur. En se réappropriant son Histoire longue⁴⁶, tout en considérant que la période coloniale, matrice douloureuse, certes, n’est qu’une fraction de cette Histoire, le pays se tourne résolument vers l’avenir. Dans la promotion de ces figures historiques, il n’y a pas de pathos : chaque personnage incarne une vertu et dans la période historique qui était la sienne, ce qui est valorisé, c’est que « chacun d’entre eux a fait sa part avec les moyens dont il disposait et a obtenu ce qu’il pouvait dans l’adversité »⁴⁷ comme le président Oligui Nguema l’exprimait lors de son adresse à la Nation le 16 août 2025. C’est une démarche didactique concrète, non victimaire, à hauteur d’homme, dont l’objectif est d’édifier les Gabonais. Il s’agit de les inviter à s’inspirer de chacun de ces personnages pour contribuer à développer, chacun selon ses capacités et moyens, le pays, en s’appuyant sur une fierté et une solidarité retrouvées.
Cette démarche est d’autant plus originale qu’on peut la considérer, en creux, à l’aune de celle adoptée par les pays de l’Alliance des États du Sahel. L’AES, comme le Gabon, mobilise les figures historiques, mais pour reconstruire un passé souvent fantasmé, en promouvant des figures à l’historicité ou aux exploits souvent contestables quand la démarche n’est pas ouvertement révisionniste. Une démarche qui s’appuie sur un panafricanisme excluant — par définition — toute influence étrangère, les poussant vers toujours plus d’une *« pureté africaine »* qui serait débarrassée de toute scorie occidentale, en particulier. Un modèle qui fixe à ses populations des objectifs impossibles à atteindre. Le modèle gabonais, inscrit dans la contemporanéité, constitue donc une alternative dangereuse à celle de l’AES. Leurs dirigeants et les puissants influenceurs qui les soutiennent ne s’y sont pas trompés. Après avoir tenté, au moment du changement de régime en 2023, d’attirer, sans succès, le CTRI dans leur orbe, ils critiquent maintenant une Ve République peu encline à s’inspirer de régimes qui ont toujours été un repoussoir et l’objet de plaisanteries de la part des Gabonais : ces Westafs dont les capitales sont toujours privées d’eau et d’électricité malgré les rodomontades de leurs nouveaux régimes.
Cette démarche, gabono-centrée, à portée exclusivement intérieure que s’est fixé le régime gabonais, en promouvant des figures de l’Histoire du pays pour rassembler les Gabonais, pourrait paradoxalement faire du pays un modèle et lui assurer un rayonnement surprenant s’il atteint les objectifs démocratiques, éducatifs et économiques qu’il s’est fixés.
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¹ Indépendance du Gabon : Intégralité du discours à la nation du général Oligui Nguema – Info241.com
² Ancrage dans l’état de droit, accès universel à l’éducation et à la santé, revitalisation de l’espoir des jeunes et restructuration de l’espoir des jeunes.
³ Paroles de l’hymne national gabonais, La Concorde : *« Uni dans la Concorde et la fraternité ; éveille toi Gabon, une aurore se lève ; encourage l’ardeur qui vibre et nous soulève ! C’est enfin notre essor vers la félicité »*.
⁴ L’humiliation a été d’autant plus importante que les troupes gabonaises étaient présentes depuis 25 ans en RCA et y avaient subi des pertes.
⁵ N13736-29-09-2021-004.pdf
⁶ [https://medias241.com/setrag-le-deraillement-de-trop/](https://medias241.com/setrag-le-deraillement-de-trop/)
⁷ Moquerie sur les RS au sujet de la société autoroutière du Gabon qui n’avait réhabilité que 51 km de la Transgabonaise en 2 ans sur un réseau qui compte 780 km jusqu’à Franceville.
⁸ Isolation accidentelle du G2 et du G7 : L’aviation militaire gabonaise est sous-équipée, presqu’à l’indigence aéronautique | Gabonreview.com | Actualité du Gabon |
⁹ Dans un article du 08/01/2023, intitulé *« Quand la terre se fâche, le pays est nu »*, le quotidien national L’Union, résumant l’humeur des Gabonais sur les réseaux sociaux, concluait par : *« après tout cela, se demandent les internautes, quelle faiblesse, cette affaire de train va-t-elle encore mettre à nu ? »*
¹⁰ Bilan officiel : 30 morts, 7 disparus et 124 rescapés. Mais probablement beaucoup plus.
¹¹ L’Union du 17 mars 2023.
¹² Société d’énergie et d’eau du Gabon.
¹³ SEEG : Ousmane Cissé démissionne 4 jours après sa nomination | Gabonreview.com | Actualité du Gabon |
¹⁴ [https://www.lenouveaugabon.com/fr/energies/2605-19759-seeg-le-senegalais-ousmane-cisse-demissionne-quelques-jours-apres-sa-nomination](https://www.lenouveaugabon.com/fr/energies/2605-19759-seeg-le-senegalais-ousmane-cisse-demissionne-quelques-jours-apres-sa-nomination)
¹⁵ Référence à l’hymne gabonais : La Concorde.
¹⁶ Investiture du président de la transition au Gabon : discours de Brice Clotaire Oligui Nguema – Gabon Matin
¹⁷ Gabon Transition : la restauration de la dignité du peuple, les aspirations et la consolidation de l’unité nationale au centre des engagements de Brice Oligui Nguema – Focus Groupe Media
¹⁸ Afin d’opérer une profonde réforme des institutions, le CTRI a convoqué, en avril 2024, un *« Dialogue national inclusif »* regroupant plus de 600 représentants pour discuter des 38 000 propositions obtenues aussi bien des gabonais vivant à l’intérieur du pays que de ceux de la diaspora.
¹⁹ Georges Damas Aléka (1902-1982) : figure politique, produit de la méritocratie coloniale, très engagé dans les droits de l’Homme et la lutte contre les discrimination, surtout connu pour avoir été auteur et compositeur de l’hymne national du Gabon : *La Concorde*.
²⁰ Pierre Mamboundou Mamboundou (1946-2011) : figure tenace de l’opposition politique, ministre et plusieurs fois candidat à l’élection présidentielle.
²¹ Vyckoss Ekondo (1951-2023) : chanteur populaire, figure artistique et promoteur du Tandima, un style mêlant musique traditionnelle et danse initiatique, engagé contre la xénophobie et qui a rayonné bien au-delà du pays.
²² *Gaspar Yanga : l’esclave Gabonais révolutionnaire au Mexique | Gabonreview.com | Actualité du Gabon* |
²³ [https://gabonmediatime.com/gabon-la-statue-de-gaspard-yanga-au-coeur-dune-polemique/](https://gabonmediatime.com/gabon-la-statue-de-gaspard-yanga-au-coeur-dune-polemique/)
²⁴ [https://union.sonapresse.com/fr/independance-65-oligui-nguema-salue-la-memoire-des-figures-de-la-resistance](https://union.sonapresse.com/fr/independance-65-oligui-nguema-salue-la-memoire-des-figures-de-la-resistance)
²⁵ Ogoula Iquaqua (1902-1980) : élève brillant qui doit arrêter ses études pour prendre sa place à la tête de la communauté Orungu dans la région de Port-Gentil ; il s’oppose à l’administration coloniale et est déporté en Oubangui Chari où il se rapproche de Léon Mba ; de retour au Gabon, il milite après l’Indépendance pour la reconnaissance de la mémoire de sa communauté pour démontrer qu’avant l’arrivée des colons, les populations avaient déjà une Histoire.
²⁶ Expression qui remplace dans les éléments de langage du CTRI celui plus péjoratif et connoté coup d’état.
²⁷ *Fête de la Libération 2025 : Oligui Nguema entre mémoire historique et souveraineté économique* | Gabonmediatime.com | Actualités Gabon
²⁸ Nyonda Makita (vers 1870-1911) : figure de la résistance à l’avancée coloniale dans la province de la Nyanga.
²⁹ [https://www.youtube.com/watch?v=pdqgbOs1Vsg](https://www.youtube.com/watch?v=pdqgbOs1Vsg)
³⁰ *L’ICHL honore les héros gabonais et préserve la mémoire nationale* – Gabon Mail Infos
³¹ Néologisme gabonais inspiré par le nom d’un groupe féminin d’animation culturelle du Haut-Ogooué Kounabéli, (années 1970-1980) dirigé entre autres par l’ex-Première dame, Joséphine Kama-Bongo (première épouse du président Albert Bernard Bongo) et membre influent du PDG. Ces groupes, chantaient, dansaient, et vantaient les actions supposées ou réelles du président ; aujourd’hui, mot qui décrit l’attitude de personnes qui, en attribuant toutes les réussites au seul chef de l’Etat et en flattant sa personnalité de façon démonstrative et publique, recherchent ses faveurs.
³² Fait rare dans l’administration coloniale, il est déjà de nationalité française lorsqu’il meurt en 1940.
³³ 1er régiment de tirailleurs sénégalais.
³⁴ Son rayonnement dépasse le cadre gabonais, le Sénégal donne en 1975 le nom de N’Tchorere au prestigieux Prytanée militaire de Saint-Louis dont sont issus des figures de la nouvelle administration, comme le Colonel Ulrich Manfoumbi Manfoumbi, porte-parole du CTRI : *Saint Louis: Le Prytanée Militaire Charles N’thioréré célèbre son parrain – LAQUESTION.INFO*
³⁵ Des Allemands excédé par la résistance de cette unité commandée par un africain et par le fait que le capitaine NTchorere puisse, de plus, leur répondre dans leur propre langue.
³⁶ Un partenariat culturel et mémoriel a été signé entre Libreville et la commune d’Airaines, renforçant les liens historiques entre les deux pays autour de la mémoire de N’Tchoréré.
³⁷ *Hommage Patriotique : Le Général Oligui Nguema inaugure le Square N’Tchoréré à Libreville* – Gabon Mail Infos
³⁸ *Quand Oligui Nguema se compare à Charles De gaulle* – YouTube
³⁹ *Gabon : « je vous ai écoutés, je vous ai compris », après des références à De Gaulle, Oligui Nguema se « rêve » en bâtisseur* – Insidenews241
⁴⁰ Renforcé par des liens personnels : aide de camp du président Omar Bongo, le général Oligui Nguema accompagnera le président durant les huit dernières années de sa présidence et jusque sur son lit de mort.
⁴¹ *Chants Du Parti Démocratique Gabonais – Rénovation ~ Les Pensées D’Albert-Bernard Bongo*
⁴² Fondé en 1953,par Albert Bernard Bongo et qui a dominé la scène politique gabonaise jusqu’en 2023.
⁴³ Léon Mba, n’était pas un chaud partisan de l’Indépendance et le gaspillage de la manne pétrolière par Omar Bongo mériterait d’être questionné.
⁴⁴ *Oligui Nguema honore les héros oubliés de Thiaroye : un acte de mémoire et d’histoire* – DIGITAL NEWS GA
⁴⁵ Investiture du président de la transition au Gabon : discours de Brice Clotaire Oligui Nguema – Gabon Matin
⁴⁶ Le Gabon, fait unique en milieu équatorial possède un bijou archéologique avec la grotte d’Iroungou qui abrite des restes humains et des artefacts datant du XIVe siècle N14339-29-09-2023-016.pdf
⁴⁷ [https://union.sonapresse.com/fr/independance-65-oligui-nguema-salue-la-memoire-des-figures-de-la-resistance](https://union.sonapresse.com/fr/independance-65-oligui-nguema-salue-la-memoire-des-figures-de-la-resistance)











