La Chine arme le Burkina Faso

24 novembre 2025

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La Chine arme le Burkina Faso

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Discrètement mais avec un calcul stratégique précis, la Chine a livré des systèmes d’armes avancés au Burkina Faso : des véhicules blindés VN22B, des lance-roquettes SR5 et des mortiers PLL-05. Il s’agit de l’une des plus importantes livraisons d’armes de Pékin à un pays africain en 2025.

Par Dr. Glenn Agung Hole. Maître de conférences en entrepreneuriat, économie et gestion, Université du sud-est de la Norvège & professeur honoraire à l’Université d’État Sarsen Amanzholov de l’est du Kazakhstan.

Article paru sur Geopolitika. Traduction de Conflits.

Cette livraison ne se limite pas à une aide militaire. C’est un signal géopolitique – une expression claire du fait que l’Afrique est en train de s’éloigner d’un système d’aide occidental marqué par le moralisme, les retards et les conditions, pour se tourner vers des partenaires qui tiennent réellement leurs promesses.

Là où l’Occident propose des séminaires sur les « réformes démocratiques », la Chine livre du matériel, de la technologie et des infrastructures. Tandis que les projets d’aide européens s’enlisent dans la bureaucratie et les rapports d’évaluation, Pékin fournit une sécurité concrète, de l’énergie et une capacité industrielle. Pour les pays africains du Sahel, confrontés au terrorisme, à la migration et à l’effondrement de l’État, la différence entre les paroles et les actes est littéralement une question de vie ou de mort.

L’aide occidentale – de bonnes intentions, de mauvais résultats

Plus de soixante ans se sont écoulés depuis la décolonisation du continent africain, mais de nombreux pays restent piégés dans une dépendance économique et politique vis-à-vis de leurs anciens colonisateurs. Le modèle d’aide occidental, censé renforcer les capacités locales, a paradoxalement consolidé la faiblesse.

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L’aide a souvent rendu les États africains dépendants de transferts temporaires, assortis de conditions telles que la « bonne gouvernance » ou des « indicateurs d’égalité des genres », qui ont peu à voir avec les défis réels du pays. Il en est résulté un vaste complexe bureaucratique de l’aide, où les autorités locales passent plus de temps à satisfaire les donateurs internationaux qu’à résoudre les problèmes nationaux.

Au lieu de stimuler la production locale, l’aide occidentale l’a souvent affaiblie. Les produits bon marché issus de programmes financés par l’aide ont évincé les producteurs locaux, tandis que les consultants internationaux ont été mieux rémunérés que les experts nationaux.

L’Afrique n’a pas besoin de nouveaux rapports de consultants ou de présentations PowerPoint sur la durabilité. Ce dont le continent a besoin, ce sont des machines, de l’énergie, de la technologie et de la sécurité. La Chine l’a compris.

L’approche chinoise : stratégique, pragmatique et efficace

La politique chinoise envers l’Afrique a toujours reposé sur le principe du bénéfice mutuel plutôt que sur la charité. C’est le cœur même de la stratégie de Pékin : des intérêts réciproques qui engagent les deux parties.

À travers l’Initiative « la Ceinture et la Route » (BRI), la Chine a investi dans des ports, des chemins de fer, des centrales électriques et des réseaux numériques dans plus de 40 pays africains. Il ne fait aucun doute que cela confère à Pékin une influence économique et géopolitique, mais contrairement à l’aide occidentale, la Chine livre du concret.

Pour des pays comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger – qui ont connu l’échec occidental et le retrait français – la Chine représente un partenaire qui n’exige pas de loyauté idéologique, mais des résultats pratiques. Pékin dit : Vous avez besoin de sécurité – voici les armes. Vous avez besoin d’énergie – voici la centrale. Vous avez besoin de commerce – voici la route.

L’Occident, en revanche, dit : Vous avez besoin de démocratie, d’égalité et de réformes – voici un séminaire et un bureau de projet à Bruxelles.
La différence est brutale, mais réelle. Et les dirigeants africains la perçoivent.

De la parole à l’action – la nouvelle alliance africaine

La livraison chinoise au Burkina Faso est plus qu’un simple achat d’armes. C’est une déclaration politique d’indépendance. Comme plusieurs autres pays du Sahel, le Burkina Faso choisit de s’éloigner d’un monde où l’Occident définit le développement, pour nouer des partenariats avec ceux qui respectent la souveraineté nationale.

Depuis 2021, de nombreux pays de la région ont expulsé les forces françaises et coopèrent de plus en plus avec la Russie et la Chine. Ce n’est pas une expression d’antagonisme envers l’Occident, mais une exigence de respect. Beaucoup de dirigeants africains estiment que l’Occident a perdu tout intérêt pour l’Afrique, sauf comme théâtre de posture morale ou d’expérimentation climatique.

La Chine, au contraire, offre un soutien concret, sans s’immiscer dans les affaires intérieures. Pour de nombreux gouvernements africains, c’est une libération.

Un tournant pour la région du Sahel

Le Sahel a connu au cours des dix dernières années une crise sécuritaire croissante. Les insurgés islamistes, les réseaux criminels et l’affaiblissement des structures étatiques ont créé un vide que ni l’ONU, ni l’UE, ni la France n’ont su combler.

La Chine voit désormais une occasion d’établir une nouvelle architecture de sécurité, dans laquelle les pays africains disposent à la fois de l’équipement et de la formation nécessaires pour se défendre eux-mêmes. Ce modèle rompt avec la pensée occidentale, où la sécurité a toujours été importée de l’extérieur.

Au Burkina Faso, la junte militaire a clairement affirmé que la sécurité du pays ne pouvait être sous-traitée. La Chine offre précisément cela : un cadre d’autoprotection et d’affirmation nationale.

Si cette stratégie réussit, elle pourrait servir de précédent pour d’autres pays africains. Une Afrique qui se défend, agit et construit par elle-même est une Afrique qui ne se laisse plus dicter par la logique de l’aide venue d’Europe.

Un nouvel ordre mondial en gestation

Ce que l’on observe aujourd’hui au Sahel est une miniature d’une transformation mondiale plus vaste. L’ordre unipolaire qui a émergé après la guerre froide – dominé par les États-Unis et l’Union européenne – est en train de se fissurer. À sa place émerge un monde multipolaire, où la Chine, la Russie, l’Inde et plusieurs puissances moyennes forment leurs propres alliances.

Dans cette nouvelle configuration, l’Afrique joue un rôle de plus en plus crucial. Le continent est riche en ressources naturelles, en énergie et en jeunesse. Il n’est plus un simple bénéficiaire d’aide, mais un acteur géopolitique doté d’un véritable pouvoir de négociation.

La Chine le comprend. L’Occident l’ignore.

Pékin investit dans les infrastructures, l’énergie et la défense – des éléments qui renforcent la capacité étatique. L’Occident investit dans des campagnes, des ONG et des « programmes de sensibilisation ». La différence de mentalité est totale.

Pour Pékin, l’Afrique n’est pas un « projet » – c’est un partenaire d’avenir. Pour l’Occident, l’Afrique demeure un « problème » à résoudre.

Affirmation africaine et fierté nationale

L’approche chinoise trouve un fort écho dans l’héritage historique de la conférence de Bandung de 1955, où des pays d’Asie et d’Afrique se sont unis autour des principes de non-ingérence, de souveraineté et de coopération économique.

Ce fut le début du mouvement des non-alignés – une révolte contre la domination coloniale et la politique de la guerre froide. Soixante ans plus tard, nous assistons à une version moderne de ce même mouvement, désormais soutenue par la technologie et la capacité économique.

Le Burkina Faso n’est que le dernier exemple de ce changement de paradigme. Lorsque les pays africains choisissent aujourd’hui de s’associer à la Chine, ce n’est pas parce qu’ils souhaitent des modèles autoritaires, mais parce qu’ils recherchent le respect et une indépendance véritable.

La réaction de l’Occident – panique morale et aveuglement

Les réactions des capitales occidentales ont été prévisibles. Pékin est accusé « d’acheter de l’influence », de « saper la démocratie » et de « militariser l’Afrique ». Mais derrière cette moralisation se cache une réalité dérangeante : l’Occident perd son emprise.

Au lieu de se demander pourquoi l’Afrique s’éloigne, on préfère la soupçonner. Or la réponse est évidente : l’Afrique en a assez de la politique symbolique, du double discours et de l’échec de l’aide au développement.

Pour de nombreux dirigeants africains, l’aide occidentale apparaît comme une tentative de contrôle, non de soutien. L’offre chinoise – « nous construisons, vous décidez » – est donc perçue non comme une contrainte, mais comme une libération.

La stratégie à long terme de la Chine

Il serait naïf de croire que la Chine agit sans intérêt propre. Mais la différence réside dans la réciprocité. Pékin sait que la croissance future de l’Afrique créera de nouveaux marchés, des routes commerciales et des soutiens diplomatiques dans les forums internationaux.

La Chine propose des prêts, de la technologie et de la sécurité – et obtient en retour l’accès aux ressources et un appui politique. C’est une pure logique géoéconomique, telle que l’avait décrite Albert O. Hirschman dès les années 1940 : le pouvoir se construit par l’interdépendance, non par la domination.

L’Occident, lui, a cherché à préserver son influence par l’asymétrie – en maintenant l’Afrique dans une position de gratitude éternelle. Cette époque est désormais révolue.

Un continent en marche vers sa propre puissance

L’Afrique se trouve aujourd’hui au seuil de quelque chose de grand. Avec plus de 1,4 milliard d’habitants et la population jeune la plus dynamique du monde, le continent n’est plus un objet de la politique mondiale, mais un sujet à part entière.

La coopération entre la Chine et le Burkina Faso peut être vue comme le début d’un nouveau chapitre – celui où les pays africains reprennent le contrôle de leur propre destin. Avec les armes, la technologie et les infrastructures désormais disponibles, le continent peut commencer à définir sa propre politique de sécurité, sans tutelle occidentale.

Cela ne signifie pas que la Chine soit exempte de défauts. Mais cela signifie que l’Afrique dispose désormais d’alternatives.

Un choix entre réalisme et illusion

L’Occident est confronté à un choix stratégique : continuer à moraliser et perdre du terrain, ou affronter la Chine par une véritable concurrence – fondée sur l’investissement, le commerce et le respect de la souveraineté africaine.

Jusqu’à présent, ni l’Union européenne ni les États-Unis ne semblent avoir pris la mesure du problème. Ils parlent de « partenariat démocratique », mais n’offrent guère plus que des réunions et des résolutions. La Chine, au contraire, agit dans le silence – et gagne du terrain.

Il n’est donc pas surprenant que de nombreux Africains qualifient aujourd’hui la Chine de nouveau partenaire de libération. Là où l’Occident parle, la Chine livre. Là où l’Occident condamne, la Chine construit. Là où l’Occident propose de l’aide, la Chine propose une coopération.

Conclusion : l’Afrique se tourne vers ceux qui agissent

L’accord d’armement du Burkina Faso avec la Chine n’est pas un phénomène isolé. Il reflète un changement structurel profond dans l’équilibre mondial des pouvoirs.

L’Afrique est en train de se libérer des conceptions occidentales de ce que devrait être le développement. Au lieu de la « bonne gouvernance » et de « l’harmonisation des donateurs », elle choisit désormais l’efficacité, le partenariat et l’action.

Pour la première fois depuis des décennies, le continent semble prendre en main sa propre sécurité et son avenir. Et dans ce contexte, la Chine apparaît comme l’acteur qui comprend réellement les besoins fondamentaux de l’Afrique : le respect, les infrastructures et une véritable capacité d’autodéfense.

Ce n’est pas la fin du rôle de l’Occident en Afrique – mais c’est la fin de son monopole sur l’avenir du continent.

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