Héritier du Bauhaus, développé à New York, Knoll est l’image d’un design moderne qui non seulement revisite les formes mais surtout modifie l’espace intérieur. Une philosophie qui s’est ensuite imposée dans le monde occidental
Le design et l’architecture intérieure sont d’abord des philosophies avant d’être des objets et des formes. Pour Knoll, sa philosophie s’enracine dans le Bauhaus allemand et les conceptions américaines. Cette entreprise a non seulement révolutionné le design mais aussi imposée une conception de l’aménagement intérieur.
Florence Knoll et l’esprit du Bauhaus au service du design contemporain
Knoll naît en 1938 à New York, fondée par Hans Knoll, un jeune entrepreneur allemand formé dans la tradition du Bauhaus. Son idée est simple : créer du mobilier adapté à l’architecture moderne qui s’impose alors, celle du verre et de l’acier, des lignes épurées et des espaces ouverts. Dès l’origine, Knoll collabore avec de grands designers européens émigrés aux États-Unis, comme Mies van der Rohe, Eero Saarinen ou Harry Bertoia, pour donner forme à ce rêve d’un monde fonctionnel et élégant. Mais c’est avec l’arrivée de Florence Knoll, née Schust, que l’entreprise change de dimension. Architecte, designer et chef d’orchestre, elle fera de Knoll une référence mondiale du mobilier moderne.
Formée à la Cranbrook Academy of Art, haut lieu du design américain, Florence Schust fut l’élève d’Eliel Saarinen, puis étudia auprès de Ludwig Mies van der Rohe et Marcel Breuer, tous issus du Bauhaus. Ces maîtres lui transmettent une conviction : le design doit servir la vie quotidienne en harmonisant beauté et fonction. En 1946, elle épouse Hans Knoll et devient le cerveau créatif de la société. Sous sa direction, Knoll ne se contente plus de fabriquer des meubles : la marque conçoit des espaces complets. Florence crée le département Knoll Planning Unit, une équipe d’architectes d’intérieur, de graphistes et de décorateurs qui repensent l’organisation du travail, la circulation dans les bureaux, la lumière, l’équilibre entre privé et collectif. C’est une révolution silencieuse : les intérieurs d’entreprise deviennent rationnels, lumineux, élégants.
Repenser l’intérieur
Florence Knoll conçoit elle-même de nombreuses pièces, d’une sobriété presque architecturale : tables aux pieds fins, fauteuils cubiques, canapés sans ornements. Ses créations incarnent ce qu’elle appelle le « total design » : une vision d’ensemble où chaque objet s’intègre au tout. Pour elle, un meuble n’existe pas pour lui-même mais comme élément d’un espace cohérent, harmonieux et humain.
L’influence du Bauhaus traverse tout l’univers de Knoll. Comme Walter Gropius ou Mies van der Rohe, Florence Knoll croit que l’art et l’industrie ne doivent pas s’opposer. Le design doit être accessible, reproductible, utile, mais sans jamais renoncer à la beauté. Chez Knoll, cette philosophie se traduit par un vocabulaire formel simple : lignes droites, angles précis, structure apparente, absence d’ornement superflu. Les matériaux parlent d’eux-mêmes : cuir, acier, bois clair, verre. Chaque objet est pensé pour durer, pour résister au passage du temps.
Des objets devenus des classiques
Le fauteuil Barcelona de Mies van der Rohe, la Tulip Chair d’Eero Saarinen ou la Diamond Chair de Harry Bertoia — tous édités par Knoll — incarnent cette alliance parfaite entre rigueur géométrique et sensualité des formes. Florence Knoll, de son côté, apporte une touche plus chaleureuse et domestique : elle humanise le modernisme. L’espace devient à la fois fonctionnel et accueillant.
Sous sa direction, l’entreprise conquiert les États-Unis de l’après-guerre. Les sièges sociaux de General Motors, CBS, IBM ou Seagram adoptent les aménagements Knoll, synonymes de prestige et d’efficacité. La marque s’impose comme la signature du bureau moderne : clair, aéré, rationnel, où la circulation et la lumière sont pensées comme des outils de productivité et de bien-être. Florence Knoll applique les principes du Bauhaus à la vie quotidienne des entreprises : elle ne crée pas pour exposer, mais pour habiter et travailler mieux. Elle disait souvent : « Je n’ai jamais pensé faire du design, je voulais seulement résoudre des problèmes d’aménagement. » C’est dans cette modestie fonctionnelle que réside la force de sa vision.
Après la mort de Hans Knoll en 1955, Florence poursuit seule la direction de l’entreprise, qu’elle hisse au rang d’institution mondiale. Elle prend sa retraite en 1965, laissant un héritage immense : une méthode, un regard, une philosophie du design total. Knoll demeure aujourd’hui l’une des marques de mobilier les plus respectées, et nombre de ses pièces sont devenues des classiques du XXᵉ siècle exposés dans les musées.
Plus qu’une esthétique, une façon de penser l’espace
Plus qu’une esthétique, Florence Knoll a imposé une manière de penser l’espace : claire, humaine, rationnelle, fidèle à la promesse du Bauhaus selon laquelle la forme suit la fonction. Son œuvre illustre l’idée qu’un espace bien conçu n’est pas seulement beau — il est civilisé.
Presque un siècle après la naissance du Bauhaus, Knoll reste l’une de ses incarnations les plus vivantes. Dans un monde saturé d’objets, la marque continue de rappeler qu’un bon design est celui qui sert la vie, la clarté et la durabilité. Les meubles Knoll, encore produits aujourd’hui, ne sont pas des reliques modernistes : ils sont la preuve que la simplicité, la rigueur et la justesse des proportions peuvent traverser les époques sans perdre leur pouvoir d’évidence.
Florence Knoll disait que « le design n’est pas la décoration, mais une discipline ». Cette phrase résume toute une éthique : celle d’un art à la fois précis et poétique, rigoureux et accueillant, où le beau n’est jamais un luxe mais une nécessité.









