Atlas, éducation culturelle et livres lus à Rome. Aperçu des livres de la semaine
Parution de deux atlas au CNRS éditions
Au moment où les recompositions démographiques et les mutations géopolitiques redessinent nos horizons intellectuels, deux ouvrages récemment parus aux CNRS Éditions offrent des clés de lecture essentielles. D’un côté, L’Atlas de la population française sous la direction de Yoann Doignon, restitue avec rigueur la cartographie d’une société en transition, vieillissante, mobile, traversée de fractures territoriales et de nouvelles dynamiques métropolitaines. De l’autre, L’Atlas des mondes musulmans médiévaux, dirigé par Sylvie Denoix et Hélène Renel, invite à un voyage érudit au cœur d’un espace civilisationnel multiple, qui fut l’un des grands moteurs de la mondialisation pré-moderne. Ensemble, ces deux atlas rappellent combien la carte demeure un outil irremplaçable pour saisir la complexité des sociétés humaines, qu’il s’agisse d’un pays contemporain ou d’un ensemble civilisationnel révolu mais encore riche de résonances.
Le premier atlas se veut ambitieux dans la mesure où il propose une radiographie fouillée de la population française. Grâce à une cartographie renouvelée, l’ouvrage met en lumière les tendances profondes qui traversent la société : vieillissement accéléré, déclin relatif de certains territoires ruraux, renforcement des métropoles, recomposition des mobilités et des formes familiales. Les auteurs articulent avec clarté données statistiques, analyses territoriales et explications socio-économiques, permettant de comprendre non seulement où vivent les Français, mais comment les dynamiques démographiques structurent les inégalités spatiales.
L’un des apports majeurs réside dans la capacité de l’atlas à dépasser les clichés : oui, la France vieillit, mais selon des rythmes très contrastés ; certes, les métropoles concentrent les forces vives, mais elles ne sont pas immunisées contre les tensions sociales ou le coût du logement ; oui, les mobilités augmentent, mais elles ne profitent pas uniformément aux mêmes catégories sociales. L’approche visuelle, rigoureuse et pédagogique, révèle ainsi une France plurielle, traversée de lignes de force parfois invisibles à l’œil nu.
L’occasion de rappeler que la question démographique n’est jamais neutre : elle informe les politiques publiques, éclaire les fractures territoriales et engage des choix de société. Cet atlas contribue, par la précision de ses cartes et la sobriété de son analyse, à restituer la complexité d’un pays en pleine mutation.
Le second atlas, remarquable, offre une plongée visuelle et intellectuelle dans l’un des espaces les plus dynamiques du Moyen Âge : les mondes musulmans, de l’Atlantique à l’Indus. Sous la direction de Sylvie Denoix et Hélène Renel, l’ouvrage conjugue une cartographie de grande qualité et une synthèse historique exigeante, montrant la diversité politique, culturelle et économique de ces territoires du VIIᵉ au XVe siècle. Loin de figer un « monde islamique » homogène, les auteurs retracent une mosaïque de formations impériales, de cités marchandes, de réseaux savants et de circulations qui ont façonné la première mondialisation.
L’intérêt majeur de l’atlas réside dans sa capacité à visualiser les dynamiques historiques. Il met en évidence l’expansion des califats, l’autonomisation des pouvoirs régionaux, les routes caravanières et maritimes, les centres urbains. Mais aussi la diffusion des savoirs. Les cartes rendent palpable l’ampleur des échanges et la profondeur des liens tissés entre l’Afrique subsaharienne, la Méditerranée, l’Asie centrale et l’Inde. Agrémentée d’une belle iconographie, chaque planche éclaire un aspect : économie de l’or, de l’esclavage, et des épices, géopolitique des frontières, pouvoirs locaux, mouvements intellectuels, diversité des sociétés.
L’ouvrage, conçu pour un large public tout en reposant sur les recherches les plus récentes, redonne leur consistance aux dynamiques internes de ces mondes souvent lus à travers des prismes eurocentrés. Il rappelle la richesse des circulations savantes, la créativité des élites urbaines, mais aussi les tensions, rivalités et recompositions constantes. Par la clarté de son propos et la beauté de ses cartes, cet atlas constitue une référence indispensable pour comprendre un espace dont les héritages irriguent encore nos représentations contemporaines.
Tigrane Yégavian
Les auteurs de Conflits publient
Arnaud Florac, Romée de Saint-Céran, Éducation minimum 2, Magnus, 2025, 21 €
Un pense-bête pour se doter des connaissances élémentaires en culture générale, dans le domaine de la littérature, de l’histoire, de la politique. Tel est l’objectif de cette Éducation minimum, qui revient après un tome 1 réussi. Le style est alerte, mordant, acide. Servi par un texte vif et de brefs chapitres (Arnaud Florac) et des dessins qui se lisent comme autant d’effets de style (Romée de Saint-Céran), Éducation minimum veut faire découvrir les trésors oubliés de la culture française. On y trouve ainsi des textes sur Jean Gabin et Romy Schneider, sur Jean d’Ormesson et Paul Claudel, une diatribe bien sentie contre Cyrano de Bergerac et des propos qui s’attaquent aux mythes républicains. Certains y trouveront quelques morceaux de nostalgie, d’autres les souvenirs d’un pays grand et beau. Preuve en est que la littérature et la culture aident à sortir de la médiocrité de la vie quotidienne et à viser plus haut.
Romée de Saint-Céran est l’auteur des croquis et Une de Conflits.
Lu à Rome
Histoire de goût
Massimo Montanari, Amaro. Un gusto italiano, Editori Laterza, 2023, 13 €
Un livre de l’historien de l’alimentation Massimo Montanari qui pose un sujet fondamental : l’amer est le goût de l’Italie. Des amaro, liqueurs prisent en digestif ou avec le café, de l’artichaut et des légumes vendus sur les marchés, dont la chicorée, des radis, l’amer est partout alors qu’ailleurs en Europe cette saveur est combattue, et souvent prise à partie par le sucré. Montanari revient dans des chapitres courts et incisifs sur cette histoire alimentaire qui, comme à chaque fois avec l’alimentation, renvoie aux histoires politiques et sociales. C’est un voyage dans les modes de vie, les cultures, les savoir-faire et une découverte d’une alimentation populaire, qui se maintient à Rome et en Italie. Loin des glaces, des pâtes et des pizzas, l’amer est le véritable goût de l’Italie.
Atlas des vins
Un atlas mondial du vin pour aller au-delà du vignoble français et pour découvrir la diversité des plantations de vignes et des productions de vins. Cet atlas a deux mérites principaux : le premier est d’opérer un voyage dans le temps et le second de réaliser un voyage dans l’espace. L’ouvrage est organisé selon une frise chronologique, ce qui permet de partir des lieux d’origine du vin, le Caucase, la Géorgie et de se déployer jusqu’aux vignobles d’aujourd’hui, par exemple en Thaïlande et à Madagascar. A quoi s’ajoute une dimension géographique, avec des cartes complètes et détaillées des vignobles, présentant les lieux, les productions, les cépages et les modes de consommation. Ce que démontre cet atlas c’est que la production mondiale de vin est concentrée entre trois pays : Italie, France, Espagne, elle se déploie de plus en plus. En Amérique latine et en Océanie bien sûr mais aussi en Asie, avec la Chine et l’Asie centrale, ainsi qu’en Afrique, où quelques renouveaux se font jour, notamment au Maroc et en Égypte. Cet atlas permet de voyager dans le monde du vin et, en voyage dans les pays producteurs de vin, il permet de mieux comprendre les régions et les cépages et donc de pouvoir apprécier les productions locales.
Paysages
Alain Roger, Court traité du paysage, Folio essais, 2017.
L’auteur est décédé en octobre 2025, après avoir consacré sa vie à l’étude des paysages et de leurs représentations. Ce livre, paru en 2017, est donc l’aboutissement de ses travaux et de ses années de recherche. Il est écrit dans un style vif, dense, complet. Il s’agit bien d’un court traité et l’auteur s’en explique dès l’introduction : inutile de délayer ou de produire des sommes, il s’agit de dire l’essentiel et de capter l’idée. C’est ce que réussi parfaitement cet ouvrage, qui permettra notamment de mieux comprendre les paysages ruraux ainsi que les paysages urbains, là où l’Italie a joué un rôle majeur, tant dans le développement de la peinture que de l’architecture.










