La baisse durable de la natalité dans les pays développés alimente de nombreuses inquiétudes, tant du côté des décideurs publics que des économistes. Si les évolutions culturelles, le marché du travail ou le coût de l’éducation sont régulièrement invoqués, un facteur essentiel demeure trop souvent relégué au second plan : le poids du logement dans les décisions familiales.
L’étude de Benjamin K. Couillard[1] (2025) démontre que la hausse continue des loyers a exercé un effet majeur sur le recul de la fécondité américaine, en particulier pour les familles nombreuses. Elle fournit aussi des pistes fortement étayées sur les politiques de construction les plus pertinentes pour inverser cette tendance.
Le constat central de cette recherche est que les ménages avec enfants, et plus encore ceux qui envisagent d’en avoir plusieurs, sont très sensibles aux prix de l’immobilier. Le logement constitue un coût fixe que chaque enfant supplémentaire renchérit, ne serait-ce qu’en raison de la nécessité d’obtenir un espace plus grand. Selon les estimations du modèle, si les loyers américains étaient restés stables depuis 1990, le pays aurait enregistré treize millions de naissances supplémentaires, soit une hausse de 11 % par rapport au niveau observé. La montée des loyers explique à elle seule plus de la moitié de la chute de la fécondité entre les années 2000 et 2010, et a fait reculer la part des adultes de 20 à 29 ans ayant des enfants de près de sept points. En intégrant finement les mécanismes de tri résidentiel, qui poussent les familles à déménager vers des zones moins coûteuses, l’étude parvient à isoler avec précision l’effet propre du logement sur la démographie.
Le logement : clef de la démographie
Un autre apport fondamental concerne le rôle différencié des types d’unités. Les petites surfaces, en particulier les studios et appartements d’une chambre, influencent surtout la formation des ménages. Rendre ces logements plus accessibles encourage les jeunes adultes à quitter le domicile parental, mais rend aussi la vie en solo plus attractive, sans effet direct sur la décision d’avoir un enfant. Les grandes surfaces constituent en revanche un déterminant décisif : leur rareté et leur coût élevé freinent immédiatement l’agrandissement des familles. L’analyse montre que la hausse des loyers touche tous les segments, mais que l’insuffisance de logements familiaux est particulièrement pénalisante pour la fécondité.
L’un des résultats les plus frappants de l’étude réside dans la comparaison entre deux politiques de construction : d’un côté, accroître l’offre de petites unités ; de l’autre, favoriser la construction de grands logements adaptés aux familles.
Pour un investissement public équivalent, la seconde stratégie génère 2,3 fois plus de naissances. En chiffres absolus, une politique centrée sur les grandes unités produirait environ 4,7 millions de naissances supplémentaires sur trois décennies. En facilitant l’accès à des logements spacieux et abordables, elle diminue directement le coût associé à l’arrivée d’un nouvel enfant, là où l’augmentation des petites unités agit surtout sur la mobilité résidentielle des adultes.
Interprétée comme une réduction des taxes ou comme une facilitation réglementaire, cette politique visant à créer davantage de grands logements présente un rapport coûts-bénéfices relativement favorable. L’auteur l’estime à environ une naissance pour 160 000 dollars, ce qui place cette stratégie parmi les outils démographiques les plus efficaces, bien que coûteux, disponibles pour les pouvoirs publics. Elle se distingue particulièrement des politiques familiales traditionnelles comme les aides financières, dont les effets sur la fécondité sont faibles voire inexistants.
Ces conclusions s’inscrivent dans un contexte où la structure des ménages s’est profondément transformée. L’augmentation des cohabitations entre adultes, la montée des configurations familiales non traditionnelles et la raréfaction des partenariats durables rendent impérative une approche multidimensionnelle de la fécondité. Couillard propose un modèle tenant compte des transitions de vie relatives au couple, à la parentalité, à la cohabitation et au choix de localisation.
Pour les décideurs publics, les implications sont claires. La politique du logement ne peut plus être pensée séparément de la politique familiale. Si un pays souhaite stabiliser sa démographie, il doit considérer l’accès au logement familial comme un déterminant direct de la natalité. La réduction des contraintes réglementaires qui freinent la construction de grandes unités est une voie d’action efficace et relativement peu coûteuse. En France, les nombreuses contraintes qui pèsent sur le logement ainsi que la loi SRU sur les logements sociaux, empêchent la construction de grands logements neufs et pénalisent les familles.
L’ensemble des résultats de Couillard invite à repenser les liens entre politique urbaine et démographie. Le coût et la disponibilité des logements familiaux ne sont pas de simples variables économiques : ils sont au cœur des arbitrages qui déterminent si, quand et combien d’enfants les familles choisissent d’avoir. Dans une période où le vieillissement démographique pèse sur les équilibres économiques et sociaux, considérer le logement comme un levier démographique devient une nécessité stratégique.
[1] Benjamin K. Couillard, “Build, Baby, Build: How Housing Shapes Fertility”, 2025. Université de Toronto.









