Projet gazier au Mozambique : Londres se désengage, TotalEnergies sous pression

1 décembre 2025

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Projet gazier au Mozambique : Londres se désengage, TotalEnergies sous pression

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Le Royaume-Uni a annoncé lundi retirer un soutien financier pouvant atteindre 1,15 milliard de dollars au projet gazier mené par TotalEnergies au Mozambique, suspendu après une attaque djihadiste en 2021, invoquant une hausse des risques.

« Le gouvernement de Sa Majesté estime que ces risques ont augmenté depuis 2020 », explique le ministre du Commerce Peter Kyle dans une déclaration au Parlement. « Le financement britannique de ce projet ne servira pas les intérêts de notre pays », ajoute-t-il.

TotalEnergies est visé par deux procédures judiciaires dans le cadre de ce projet, suspendu à la suite d’une sanglante attaque djihadiste dans la ville de Palma en 2021, qui a fait environ 800 morts, selon l’ONG Acled.

Maître d’œuvre du projet et premier actionnaire avec 26,5 % des parts, le géant français des hydrocarbures espère reprendre en 2029 la production sur le site, qui représente un investissement de 20 milliards de dollars.

Il a réclamé fin octobre au gouvernement du Mozambique une compensation pour le surcoût lié au retard, qu’il évalue à 4,5 milliards de dollars, ainsi qu’une extension de la concession de dix ans, en plus d’un rattrapage des quatre ans et demi perdus.

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L’insurrection dans la province mozambicaine du Cabo Delgado, dans le nord de ce pays d’Afrique australe, menée par un groupe affilié à l’organisation État islamique, a causé plus de 6 300 morts depuis 2017, d’après un décompte de l’Acled.

c : ACLED

Que s’est-il passé ?

Le géant français des hydrocarbures fait l’objet en France d’une information judiciaire pour homicide involontaire après des plaintes de survivants et de familles de victimes de l’attaque de Palma en 2021, qui lui reprochent de ne pas avoir assuré la sécurité de ses sous-traitants.

Des soldats mozambicains chargés de protéger le site à l’époque ont par ailleurs été accusés d’exactions mortelles sur des villageois, selon des témoignages recueillis par Politico.

Le fait est qu’après les attaques djihadistes sur Palma et l’opération de l’armée mozambicaine dans la ville, un accord a été passé entre TotalEnergies et l’armée mozambicaine qui contrôlait le site : l’entreprise française devait payer et loger une unité spéciale chargée d’assurer la sécurité du site, la Joint Task Force (JTF).

Il semblerait que cette unité n’ait pas seulement sécurisé le site, mais aussi fait la chasse aux « djihadistes », dans un contexte de lutte ethnique. Plusieurs dizaines de civils accusés de complicité avec les djihadistes auraient ainsi été enfermés dans des conteneurs à l’entrée du site, affamés, torturés, voire exécutés par cette unité. Des faits dont TotalEnergies déclare ne pas avoir eu connaissance.

TotalEnergies a ainsi demandé en 2024 le lancement d’une enquête officielle au Mozambique, et dit coopérer avec les autorités judiciaires de ce pays ainsi qu’avec la commission nationale mozambicaine des droits de l’homme (CNDH).

L’entreprise française est dans ce cadre visée à Paris par une plainte pour « complicité de crimes de guerre, torture et disparitions forcées », déposée par l’ONG allemande European Center for Constitutional and Human Rights.

La province du Cabo Delgado, épicentre des violences

Depuis 2017, le nord du Mozambique est plongé dans une insurrection menée par des groupes affiliés à l’État islamique. Les violences ont fait plusieurs milliers de morts et provoqué un vaste déplacement de population, perturbant notamment les grands projets gaziers de la région. Malgré l’appui militaire du Rwanda et de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), la situation reste instable et les civils continuent de payer le prix du conflit.

La région littorale du Cabo Delgado, où ont lieu les attaques, est majoritairement habitée par le groupe ethnolinguistique des Mwani (en grande partie musulmans), tandis que l’élite politico-économique du Mozambique est dominée par les Makonde, généralement associés au pouvoir central et fortement représentés dans l’armée.

Les enjeux de l’affaire sont énormes. Ce projet porté par TotalEnergies, avec celui mené par l’Italien ENI et un autre d’ExxonMobil, devrait avoir un impact considérable sur la région. Ils « pourraient faire du Mozambique un des dix premiers producteurs mondiaux (de gaz), contribuant à 20 % de la production africaine d’ici 2040 », d’après un rapport du cabinet Deloitte de 2024.

Revue Conflits avec AFP

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