L’aérocombat : un atout militaire français – Entretien avec le général de division Bertrand Vallette d’Osia

8 novembre 2020

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Photo : Helicoptere Tigre en session tir (c) Sipa 00924586_000009
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L’aérocombat : un atout militaire français – Entretien avec le général de division Bertrand Vallette d’Osia

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Le général de division Bertrand Vallette d’Osia dirige l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT). Saint-Cyrien, breveté du collège interarmées de défense, il a notamment participé à l’opération Licorne et a occupé de nombreuses responsabilités au sein de l’état-major de la défense.

Propos recueillis par Étienne de Floirac

Qu’est-ce que l’ALAT ? Pourquoi une aviation dans l’armée de terre ?

 

L’armée de terre possède sa propre aviation, l’ALAT, qui est forte de 300 aéronefs et dont le savoir-faire opérationnel constitue une référence en Europe. Premier exploitant d’hélicoptères en Europe, elle rassemble deux tiers des hélicoptères du ministère des Armées, qui participent aux engagements de l’armée de terre et des forces spéciales en opération bien sûr, mais également sur le territoire national par exemple dans le cadre de la lutte contre les feux de forêt avec la mission Héphaïstos ou de la crise du Covid-19 avec des évacuations sanitaires à partir d’hôpitaux ou du porte-hélicoptères amphibie Dixmude dans les Antilles. Des unités (régiment d’hélicoptères de combat – RHC) et une formation commune (écoles de formation) assurent la communauté de culture qui rend native pour les équipages et son commandement la manœuvre des formations d’hélicoptères dans le cadre des opérations interarmes au sol et à proximité du sol : l’aérocombat.

Comment l’ALAT s’est-elle modernisée et adaptée aux conflits modernes ?

L’ALAT s’est adaptée au rythme de ses opérations. Ainsi, les RHC de la division aéromobile devaient initialement être capables d’agir vite et loin, en totale autonomie, comme en Irak en 1991 où deux RHC sont engagés en reconnaissance offensive devant les troupes au sol. Les unités ont été ensuite plus entraînées au combat asymétrique, dans des environnements particuliers comme le contre-terrorisme, en appui direct des forces engagées au sol, et leur équipement a été modernisé. Le Tigre a ainsi été immédiatement engagé dans un appui déterminant des forces au sol en Afghanistan. La nuit étant ouverte au combat par la modernisation des équipements, il fallait inventer une nouvelle sorte de combat aéromobile. L’intervention à partir de porte-hélicoptères en Libye a été rendue possible par la maîtrise de ce combat particulier lors de l’opération Harmattan. Modernisation des équipements et capacité d’adaptation de la doctrine aux nouvelles donnes géostratégiques restent aujourd’hui toujours essentielles pour mener demain des combats dans un environnement durci.

Comment peut-on définir l’aérocombat ?

L’aérocombat est d’abord un retour à la manœuvre de l’armée de terre. Un chef unique combine les aptitudes des unités interarmes, parmi lesquelles les unités de l’ALAT, pour obtenir les effets escomptés sur l’adversaire dans une manœuvre unifiée. Cette combinaison des mouvements et des feux des troupes au sol et juste au-dessus du sol est bien plus complexe que la manœuvre aéromobile, qui ne met en œuvre que des unités de l’ALAT très homogènes. Il s’agit bien d’une manœuvre où l’obtention des effets repose sur la synchronisation des opérateurs qui concourent à la même mission, dans le même espace et au même moment. Elle nécessite éventuellement des renforcements ou des prélèvements d’unités. Le plus souvent pour l’ALAT, il s’agira de détachement de sous-groupements aéromobiles (5 à 10 hélicoptères) ou de groupements aéromobiles (20 à 30 hélicoptères) ou encore de rattachements par exemple d’un régiment d’infanterie à la 4e brigade d’aérocombat.

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En quoi l’aérocombat permet-il à l’armée de terre de disposer d’une réelle supériorité opérationnelle ?

Pour l’armée de terre, l’aérocombat permet de disposer instantanément des avantages des unités d’hélicoptères : vitesse, puissance de feu, capacité de travailler dans la profondeur en s’affranchissant du terrain. Et ses avantages sont fusionnés avec ceux des troupes au sol : protection, manœuvrabilité, contrôle du terrain. Le chef interarmes peut à la fois imposer un rythme élevé, réorienter son dispositif et durer. Il dispose des atouts nécessaires pour bousculer un adversaire moins flexible, de la basse à la haute intensité.

Quelle coordination nécessite l’aérocombat ?

La coordination est un point majeur dans la réussite d’une manœuvre d’aérocombat. Dans un combat de haute intensité, l’espace proche du sol peut en effet être saturé par les projectiles et l’est de plus en plus par les drones. La coordination dans cette 3e dimension doit permettre de gérer la complexité et l’urgence. Il faut donc que le niveau tactique soit pleinement investi dans ce domaine. Bien sûr la coordination pour ce chef interarmes, c’est aussi et d’abord celle qui lui permet de fixer le rythme de la manœuvre conjointe des unités au sol et des unités aéromobiles. Le combat infovalorisédevient une nécessité voire une condition sine qua non. Les outils actuels comme le Sitalat (système d’information terminal de l’ALAT) permettent de franchir le premier pas dans ce type de combat.

Comment ce mode d’action s’est-il illustré dans les opérations récentes ? Pourriez-vous illustrer l’apport de l’aérocombat dans l’opération Barkhane ?

L’aérocombat est réellement pratiqué depuis plus de dix ans. En République de Côte d’Ivoire, certaines opérations ont déjà été menées par des bataillons ALAT renforcés de compagnies ou d’escadrons (ALAT menante). Rapidement les chefs interarmes ont saisi les opportunités de confier des sous-groupements à des groupements interarmes (ALAT concourante). L’opération Serval est l’illustration parfaite d’opération réussie d’aérocombat dans toutes ses dimensions, avec l’adaptation d’un groupement d’hélicoptères à la brigade et au profit du commandement des opérations spéciales. Barkhane, qui a succédé à l’opération Serval en 2014, dispose aujourd’hui d’un groupement tactique du désert aéromobile GTD-A, renforcé au moins d’un commando pour certaines opérations et renforçant quasi systématiquement les autres GTD le reste du temps.

Quels efforts, quelles contraintes, quelles obligations imposent la maîtrise de l’aérocombat (enjeux industriels, logistiques, financiers, économiques, politiques…) ?

La maîtrise de l’aérocombat a un coût. Manœuvre complexe, elle nécessite de la formation et de l’entraînement. Sans un niveau d’activité de préparation interarmes suffisant, les mécanismes de ce combat interarmes ne sont pas acquis, et la manœuvre se fige. C’est pour cette raison que l’exercice Baccarat est reconduit annuellement, regroupant entre 30 et 60 hélicoptères, au moins un régiment au sol, de nombreux appuis et une logistique importante. Bien entendu, autant que faire se peut, pour plus de réalisme, des unités aéromobiles étrangères sont intégrées, ainsi que l’appui aérien.

Il s’agit bien d’une manœuvre de masse, ce qui impose la mise à disposition d’un volume suffisant d’hélicoptères. L’effet tactique d’un héliportage d’un bataillon est certain, mais dans un environnement durci, c’est la brigade d’aérocombat entière qui est nécessaire. C’est tout l’enjeu de la cible d’hélicoptères de nouvelle génération de l’armée de terre : 115 hélicoptères de manœuvre et 147 hélicoptères de reconnaissance et d’attaque. Avec un armement qui doit être régulièrement modernisé et une avionique permettant de s’intégrer à la bulle Scorpion[1], ces hélicoptères de nouvelle génération sont le symbole d’une ALAT européenne de tout premier plan, qui sera apte à s’engager au sein d’un dispositif terrestre dans un conflit de haute intensité.

[1] Permettant de faire face et de garder l’ascendant sur l’ennemi, Scorpion renouvelle et accroît les capacités de combat de l’armée de terre. Scorpion, c’est l’atteinte d’un premier niveau de combat collaboratif grâce à la modernisation du cœur médian des unités de combat autour d’un système d’information et de commandement unique mettant en réseau l’ensemble des groupements tactiques interarmes (GTIA).

À propos de l’auteur
Etienne de Floirac

Etienne de Floirac

Étienne de Floirac est journaliste
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