Les redécouvertes américaine et française du stratège atypique David Galula

14 octobre 2019

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Photo : C'est la guerre d'Irak (2003) qui a permis de redécouvrir l'apport stratégique de David Galula (c) Pixabay
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Les redécouvertes américaine et française du stratège atypique David Galula

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Docteur en histoire, spécialiste de la guerre d’Algérie. Il a travaillé sur la pacification des SAS et est l’auteur de la première biographie historique publiée aux États-Unis en 2011, puis en France, sous le titre David Galula. Combattant, espion, maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire, Économica, 2012. Il est également chercheur en géopolitique, il a publié La Guerre française contre le terrorisme islamiste, éd. Giovanangeli, 2016.

En 2003, après l’invasion de l’Irak par les États-Unis dans le but de renverser la dictature de Saddam Hussein, les troupes américaines sont rapidement perçues comme des troupes d’occupation et confrontées à une guérilla et à un terrorisme urbain jouant sur la fibre nationaliste, tribale et islamiste. Alors que la guerre contre l’armée irakienne, un ennemi conventionnel, avait été un indéniable succès, les Américains perdent la phase de stabilisation du pays contre un ennemi asymétrique. Conscient des limites des méthodes militaires américaines, le général Petraeus décide de modifier en 2006, avec succès, la doctrine d’emploi des unités américaines en s’appuyant notamment sur les écrits de l’officier français David Galula.

Pendant dix années, David Galula observe les guérillas en Asie et en Grèce avant d’en tirer des enseignements tactiques qu’il met en œuvre au début de la guerre d’Algérie (1954-1962). Repéré par le haut-commandement, il sert dans un service interministériel de 1958 à 1961 pour lutter contre la subversion du FLN en France, en Algérie et la déstabilisation des colonies africaines francophones. Il démissionne de l’armée et part aux États-Unis où ses écrits serviront à l’armée américaine pour la guerre du Vietnam (1955-1975) avant qu’ils ne resurgissent au moment de la guerre en Irak (2003-2011).

David Galula est devenu un « véritable mythe » au regard des défis posés par les guérillas aux armées modernes dans les conflits du début du XXIe siècle. L’application de ses enseignements en Irak a pourtant biaisé la manière dont les militaires et l’opinion publique le percevaient. Or, en revenant aux sources, les historiens ont pu remettre dans son contexte la réflexion de cet officier atypique en s’appuyant sur des documents d’époque et les comparer avec d’autres sources pour évaluer plus objectivement l’efficacité de son action de pacification.

I. Officier atypique et penseur

Un proverbe chinois, repris dans un roman écrit sous pseudonyme par David Galula, résume parfaitement sa vie « Dans la sécurité, n’oublie pas le péril ; dans la paix, n’oublie pas la rébellion ». David Galula est un véritable personnage de fiction dont la vie mériterait à elle seule un film. Jeune officier sorti de Saint-Cyr, il est renvoyé de l’armée par les lois antisémites du maréchal Pétain. Protégé très probablement par l’armée, il sert comme espion dans un service de renseignement de l’armée au Maroc pour détecter et neutraliser les espions allemands. Réengagé dans la Première armée d’Afrique, il participe aux combats pour libérer l’île d’Elbe et combat en Franche-Comté et à la bataille de Mulhouse. Avec son unité, il participe à l’invasion de l’Allemagne.

Analyste des méthodes de contre-insurrection

Sélectionné avec d’autres officiers de l’infanterie coloniale, il part avec le premier sinologue, Jacques Guillermaz en Asie. Il apprend le mandarin en Inde et devient attaché militaire ayant pour objectif d’observer les combats de la guerre civile entre nationalistes et maoïstes en Chine. Il lit les premiers écrits de Mao à partir de la traduction anglaise de son ami l’officier américain Samuel B. Griffith [simple_tooltip content=’A.A. Cohen, Galula, Praeger, 2012, p. 122.’] 1[/simple_tooltip], commandant du 3e régiment de Marine de la province du Qingdao, le traducteur de L’art de la guerre de Sun Tzu [simple_tooltip content=’Sun Tzu, -traduction Samuel B. Griffith – L’art de la guerre, Flammarion Champs classiques, 2008.
Blog Sun Tzu France, Yann Couderc, « Samuel Griffith, l’homme qui fit découvrir Sun Tzu à l’Occident », 13 janvier 2016.
https://suntzufrance.fr/samuel-griffith-lhomme-qui-fit-decouvrir-sun-tzu-a-loccident/#more-3581′] 2[/simple_tooltip]. Il étudie leurs applications sur le terrain en se déplaçant au plus près des combats. Arrêté et emprisonné par l’armée communiste, il discute des méthodes de combat avec le général Cheng Geng, un des meilleurs généraux de Mao et futur conseiller militaire du général indochinois Vo Giap (1950). Il observe les méthodes maoïstes d’endoctrinement des prisonniers et d’encadrement de la population. Il est nommé à Pékin, un poste stratégique, où il a pour mission, avec d’autres officiers français, de prévoir l’arrivée au pouvoir de Mao et l’avancée des troupes communistes chinoises aux frontières de l’Indochine française. En effet, le haut-commandement militaire français sait pertinemment que si l’armée maoïste contrôle la frontière indochinoise, la bataille contre le Vietminh pour contrôler la frontière sino-indochinoise sera perdue. Ce sera effectivement le cas avec la désastreuse retraite de la Route coloniale n°4 en 1950.

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David Galula demande à servir comme observateur de l’ONU, de 1949 à 1950, pendant la guerre civile grecque (1946-1949). Puis, il est nommé attaché militaire à Hong-Kong en 1951 où il observe la population chinoise et les trafics en tout genre dans le protectorat britannique qu’il décrit dans un roman sarcastique Les moustaches du Tigre écrit en 1965 sous le pseudonyme de Jean Caran[simple_tooltip content=’Jean Caran, Les moustaches du tigre, Flammarion, 1965.’] 3[/simple_tooltip]. David Galula recueille des renseignements sur la Chine et la situation en Asie du Sud-Est. Il assiste aux cocktails des ambassades, où il fréquente les célèbres journalistes américains Henry Luce et Joseph Alsop du Saturday Evening Post et côtoie les officiers britanniques et américains qui combattent en Malaisie, en Corée du Sud et aux Philippines ou encore des officiers français de retour d’Indochine. Il aurait ainsi rencontré le colonel américain Edward Lansdale (expert de la lutte anti-guérilla aux Philippines), le général William H. Westmoreland, commandant des forces américaines au Vietnam du Sud de 1965 à 1968 et le général Salan, commandant des forces françaises au nord de l’Indochine (1952-1953), à Hong-Kong ou lors de deux déplacements à Manille aux Philippines, selon son épouse[simple_tooltip content=’Anne Marlow, “David Galula, his Life and Intellectual Context, Strategic Studies Institute”, US Army War College, 27 August 2010, pp. 34-36.’] 4[/simple_tooltip]. En apparence isolée, l’île de Hong-Kong est le meilleur observatoire au carrefour de toutes les guérillas et des tactiques de contre-insurrection de l’Asie du Sud-Est. Il obtient ensuite sa mutation pour participer à la guerre d’Algérie (1954-1962) pour pouvoir participer, en 1956, à la pacification de la Kabylie et ainsi expérimenter 16 ans d’observation et de réflexions sur les conflits asymétriques.

De la théorie à la pratique : le secteur du Djebel Aïssa Mimoun

Nommé capitaine à la troisième compagnie du 45e BIC (Bataillon d’infanterie coloniale) dans le secteur du Djebel Aïssa Mimoun en Kabylie d’août 1956 à février 1958, il applique huit étapes, évoquées dans son ouvrage Contre-insurrection, qui lui permettent de pacifier son secteur.


Les huit étapes de la tactique de contre-insurrection de David Galula

Première étape : « Concentrer suffisamment de forces ».
Deuxième étape : « Affecter un volume de troupes suffisant pour empêcher tout retour en force des insurgés et installer des unités dans chaque hameau ».
Troisième étape : « Nouer des liens avec la population et contrôler ses mouvements pour briser les liens avec la guérilla ».
Quatrième étape : « Détruire l’organisation politique locale des insurgés ».
Cinquième étape : « Organiser des élections locales pour désigner de nouveaux dirigeants provisoires ».
Sixième étape : « Tester la fiabilité des dirigeants en leur confiant des missions précises. Remplacer les mous et les incompétents et distinguer les bons. Organiser des unités de défense passive ».
Septième étape : « Regrouper les dirigeants au sein d’un mouvement politique national et les former ».
Huitième étape : « Rallier ou neutraliser le reliquat des insurgés ».


Lorsque David Galula prend le commandement de sa compagnie au Djebel Aïssa Mimoun situé au nord-est de Tizi-Ouzou, il constate que « les soldats étaient coupés de la population » et ne faisaient rien en dehors des opérations. S’il affirme que la population est au nombre de 15 000, elle est en réalité dans son sous-secteur au nombre de 7 000. Si on ajoute les secteurs voisins, on atteint les 12 000 habitants. Lorsqu’on lit Galula, on pense qu’il est le seul à pacifier. En réalité, il y a dans chaque secteur, un officier des Sections administratives spécialisées (SAS) chargé de prendre contact avec la population et d’améliorer ses conditions socio-économiques (la deuxième partie de la troisième phase de la contre-insurrection). La mission qu’il veut attribuer à ses soldats, d’« être à la fois travailleur social, conducteur de travaux, instituteur, infirmier et même chef scout » est du ressort de la SAS qui doit normalement la réaliser en coordination avec l’unité de secteur.

Une unité de 25 combattants de l’ALN (Armée de libération nationale) maintient l’insécurité dans le secteur de David Galula. Elle brûle une école, monte des embuscades contre l’armée et met en place des cellules de l’OPA (Organisation politico-administrative) dans les villages pour surveiller les suspects et collecter l’impôt révolutionnaire. Cette unité de l’ALN fuit le contact et fait des coups de main d’opportunité mais elle semble bien contrôler la population. Au Djebel Aïssa Mimoun, on est dans des combats de basse intensité, ce qui bien loin d’être le cas d’autres régions incontrôlables de l’Algérie où les militaires sont systématiquement accrochés par la guérilla de l’ALN dans les massifs montagneux ou dans les régions frontalières. Les opérations de bouclage et de ratissage de l’armée échouent, tandis que les doctrines de pacification confuses ou peu adaptées n’ont aucune efficacité sur la situation sécuritaire.

Pour la première phase de concentration de militaires sur la zone d’opération, David Galula a la chance d’être dans une région prioritaire sur le plan des opérations (la Kabylie) et donc d’être bien quadrillée par de nombreuses unités. Dans la deuxième phase, il disperse ses sections dans les hameaux pour empêcher des combattants de l’ALN d’y pénétrer et pour que les militaires soient en contact direct avec la population. Il occupe cinq villages en réduisant le nombre d’hommes par section. Si chaque village est contrôlé, le risque d’une telle dispersion est de rendre son dispositif moins efficace sur le plan militaire en cas d’opérations contre l’ALN. David Galula met alors en place une tactique de convergence des unités en cas d’embuscade sur une de ses unités. Il complète le dispositif par la mise en place d’une unité mobile d’une vingtaine d’hommes, sorte de commando de chasse, à l’échelle du bataillon pour traquer l’ALN. Il recrute des Algériens au sein d’une harka : ces combattants habillés en civils circulent en permanence plusieurs jours de suite sur le modèle de l’ALN. Même si la sécurité est à nouveau assurée, il subsiste des embryons d’OPA. David Galula regrette de ne pas avoir les moyens de contrôler l’information à destination de la population locale pour accompagner ses succès.

En rétablissant le contact avec la population, David Galula espère rétablir l’autorité de la France, couper les liens entre la rébellion et la population et obtenir des renseignements sur l’ALN et l’OPA pour pouvoir les détruire dans l’étape suivante. Pour se rapprocher de la population, la SAS ouvre des écoles dans les différents villages sécurisés par les unités du capitaine Galula. Les effectifs scolarisés augmentent progressivement de 600 en 1956, à plus de 1 000 élèves en 1957, contre 60 avant 1954. Des chantiers permettent d’embaucher une centaine de chômeurs. Des vivres sont distribués aux nécessiteux. Une aide médicale gratuite est proposée dans les différents villages : 500 personnes sont soignées par mois, et non par semaine comme l’écrit abusivement David Galula. Mais le manque de moyens (crédits pour les chantiers, les locaux inadaptés pour l’école) freine les effets bénéfiques de la pacification.

Ce soutien à la population se double cependant de son contrôle dans cette étape : les habitants sont recensés pour pouvoir les identifier et repérer les étrangers au village. Chaque village est quadrillé et attribué à un groupe de militaires qui connaît exactement les habitants. Les habitants ne peuvent circuler sans laissez-passer. Les personnes hostiles ou sympathisantes de la France sont clairement identifiées.

La quatrième étape qui consiste à détruire les forces ennemies repose sur les renseignements récoltés au quotidien par l’armée. Les renseignements affluent sur les lieux de refuge de l’ALN et les noms des responsables de l’OPA qui collectent l’impôt révolutionnaire. Des opérations et des arrestations visent donc les lieux indiqués et les personnes citées. L’OPA ne reste, pendant ce temps, pas inactive : après avoir lancé un appel au boycott de l’école, elle décide de contrecarrer l’action de la SAS en demandant l’envoi massif des enfants à l’école pour montrer l’inefficacité des autorités à répondre aux besoins et les mettre en porte-à-faux. David Galula n’évoque pas ce fait qui relativise son interprétation de la croissance exponentielle des effectifs d’élèves ! La population suivant les consignes de grève du FLN, David Galula interdit qu’elle quitte les villages et l’oblige à travailler sur des chantiers pour connaître les noms des responsables des OPA. Il finit par obtenir leurs noms et il les fait arrêter. Mais contrairement à ce qu’affirme David Galula, il subsiste des OPA ou elles se reconstituent systématiquement après leur décapitation.

David Galula passe à l’étape suivante et nomme des responsables locaux dans chaque commune quitte à leur forcer la main, en effet les responsables des communes sont menacés de mort par le FLN. Mais le chef de SAS s’aperçoit que ce ne sont pas des notables des quatre communes qui sont nommés et qu’ils ont peu d’influence sur leur communauté, pire certains délégués sont même des sympathisants du FLN.

Dans la sixième étape, David Galula explique qu’il faut tester les élus pour identifier leur loyauté et leur efficacité. Mais faute de volontaires pour les remplacer, ils sont maintenus en place. L’autonomie de décision des maires est réduite car faute de compétences, ils choisissent parfois des projets coûteux et inutiles (mairie, mosquée) mais il y va de leur crédibilité, et surtout de celle de David Galula et du chef de SAS, pour rendre efficace la municipalisation, quitte à aller contre ses propres principes de laisser faire les élus. Deux autodéfenses et une harka sont créées pour protéger les écoliers, les élus et le village des menaces de l’ALN. On assiste alors à un repli des combattants de l’ALN dans le secteur voisin mais ils continuent à s’infiltrer dans le secteur de Galula, malgré quelques opérations (la huitième étape).

Même si toutes les initiatives de David Galula n’aboutissent pas toujours, elles suscitent l’intérêt de ses supérieurs, des journalistes français et américains. Le plus original dans l’action de Galula est la nécessité à chaque étape de maîtriser la communication à l’égard des forces loyalistes, de la population du théâtre d’opérations et des insurgés, mais également de la population de métropole. Il accorde aussi une grande importance aux différents vecteurs qui peuvent influencer la population : les discussions, les affiches, les tracts, le cinéma, la presse nationale et internationale (Joseph Alsope pour l’Heralde tribune), la radio (il enregistre le témoignage d’un prisonnier diffusé par Radio Alger). Il reçoit lui-même les journalistes et prend l’initiative de les inviter. Il communique même en direction de l’armée en rédigeant un article pour la revue militaire Contacts qui reçoit « un accueil très favorable du corps des officiers », selon le sous-lieutenant du contingent Gérard Bélorgey qui en prend connaissance par ce biais.
Devenu commandant, il est nommé adjoint du chef de bataillon de la deuxième compagnie du 9e RIC en avril 1958. À ce poste, il a moins d’autonomie d’action que comme capitaine responsable d’un sous-quartier. Il participera aux manifestations de mai 1958 en organisant le transfert de la population algérienne de son secteur sur le forum d’Alger pour créer un mouvement politique algérien (la septième étape). Les Comités de salut public demandent de maintenir l’Algérie française et arrivent à faire tomber la IVe République en faisant appel au général de Gaulle pour appliquer leur politique.

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De 1958 à 1960, David Galula est nommé à la Division de l’information à l’état-major de la Défense national, service interministériel auprès du Premier ministre à l’initiative du général Ély, chef d’état-major des forces armées, qui l’avait remarqué lors d’une visite de son secteur. Il s’occupe plus particulièrement de la radio, média très influent sur l’opinion dans les années 50-60, et du système de brouillage radiophonique en Afrique francophone. Ce contrôle de l’information est primordial, « Il s’agit de conserver la maîtrise de l’information et des attentes de l’opinion. Galula avait vu cela avant l’avènement d’internet », comme l’écrit le lieutenant-colonel Nagl[simple_tooltip content=’Général Petraeus et lieutenant-colonel Nagl, « David Galula, le Clausewitz de la contre-insurrection », p. V-XV, préface à David Galula, Contre-insurrection. Théorie et pratique, Économica, 2008.’] 5[/simple_tooltip]. À ce poste, David Galula est consulté pour lutter contre le terrorisme urbain et la subversion du FLN en métropole. Le 12 août 1958, il propose la mise en place, dans les quartiers algériens de la région parisienne, d’officiers ayant l’expérience de la guerre d’Algérie. Si certaines propositions sont irréalisables (création d’autodéfenses, encadrement de la population), d’autres sont plus pertinentes et sont mises en place, comme l’action sociale pour renouer le contact (aide au logement et assistance pour trouver un emploi) et la nécessité de faire de l’officier l’intermédiaire principal auprès des administrations. Des officiers des SAT (Sections administratives territoriales) installés à Paris, Lyon et Marseille auprès de la population algérienne qui luttent avec efficacité contre la pression politique et financière du FLN en métropole[simple_tooltip content=’Gregor Mathias, La France ciblée. Terrorisme et contre-terrorisme pendant la guerre d’Algérie, Vendémiaire, 2017, p. 65-69.’] 6[/simple_tooltip].

En 1960, David Galula fait son École de guerre à l’École d’état-major de Norfolk et est invité à faire une conférence à l’école des forces spéciales à Fort Bragg. Alors que la théorie de la guerre révolutionnaire est mise au placard en France, dès 1960, avec la dissolution des 5ème Bureaux de l’Action psychologique et que les théoriciens français de la Guerre révolutionnaire sont marginalisés en France, David Galula, l’un d’entre eux, le moins connu en France, connaît un succès Outre-Atlantique, avec Roger Trinquier. L’indépendance programmée de l’Algérie et des colonies françaises sonnent le glas en France des théoriciens de la contre-insurrection, c’est donc tout logiquement que David Galula démissionne de l’armée française en 1961 pour rejoindre le Nouveau Monde et faire bénéficier les Américains de son expertise.

II. David Galula au prisme de la vision binaire américaine : du Winner de la guerre d’Irak au Loser de la guerre d’Afghanistan

Alors que l’Irak sombre dans le chaos, le général Petraeus, appelé le « général de la dernière chance » ou le « roi David », réussit, en 2004, à pacifier la région de Mossoul, alors que le reste de l’Irak sombre dans le chaos. On lui demande alors de généraliser sa méthode à l’armée américaine.

« David Galula, le Clausewitz de la contre-insurrection »

En 2005, le général Petraeus est nommé commandant du Centre d’études interarmes (Combined Arms Center) de Fort Leavenworth, au Kansas. Réfléchissant sur les différentes méthodes de contre-insurrection, le général Petraeus affirme avoir découvert David Galula en 2006, après son expérience de Mossoul, par l’intermédiaire du lieutenant-colonel Nagl[simple_tooltip content=’Driss Ghali, David Galula et la théorie de la contre-insurrection, Éditions Complicités, 2019, interview en mai 2016, p. 149.’] 7[/simple_tooltip]. Le général Petraeus fait alors rédiger un manuel de la contre-insurrection, le FM-3.25, pour l’armée américaine dont « la pensée de Galula est la source principale du manuel », selon le lieutenant-colonel Nagl, un de ses rédacteurs[simple_tooltip content=’Général Petraeus et lieutenant-colonel Nagl, « David Galula, le Clausewitz de la contre-insurrection », p. V-XV, préface à David Galula, Contre-insurrection. Théorie et pratique, Économica, 2008.’] 8[/simple_tooltip]. En 2007, le général Petraeus est nommé commandant des troupes américaines en Irak et applique avec succès sa stratégie pour stabiliser le pays en proie à la guerre civile et aux attentats d’Al-Qaïda. En 2008, la doctrine de contre-insurrection est appliquée par l’ensemble de l’armée américaine et le général Petraeus est nommé au Centcom, le commandement de l’armée américaine pour les guerres d’Irak et d’Afghanistan de 2008 à 2010. Il remplace le général McChrystal à la tête des troupes en Afghanistan de 2010 à 2011. Son prédécesseur avait demandé, en vain, l’envoi de 30 000 à 40 000 soldats pour saturer le terrain et lutter plus efficacement contre la guérilla talibane.

Durant cette période de la redécouverte militaire de David Galula, deux auteurs vont écrire une hagiographie sur David Galula, la journaliste Anne Marlow et l’officier canadien Alan A. Cohen. Anne Marlow interroge Ruth Morgan, la veuve de David Galula décédée en 2011 et consigne dans un court opuscule la vie de David Galula[simple_tooltip content=’Anne Marlow, “David Galula, his Life and Intellectual Context, Strategic Studies Institute”, US Army War College, 2010, 73 p.’] 9[/simple_tooltip]. Quant à Alan A. Cohen, il décrit dans Galula. La vie et les écrits de l’officier français qui a défini l’art de la contre-insurrection le moindre détail sur la vie de David Galula jusqu’à la caricature en s’appuyant sur les documents familiaux et de tous ceux qui l’ont côtoyé. L’ouvrage qui se veut exhaustif se garde de toute critique et prend même soin de ne pas citer un ouvrage plus critique paru un an auparavant chez le même éditeur[simple_tooltip content=’Alan A. Cohen, The Life and Writings of the French Officier who Defined the Art of Counterinsurgency, Praeger, 2012.’] 10[/simple_tooltip]…

La contre-insurrection, un mythe mortel ?

La carrière éphémère du général Petraeus à la tête de la CIA jusqu’en 2012, à la suite d’un scandale sexuel, l’enlisement de l’armée américaine en Afghanistan et le manque de résultats probants ont fait passer de mode la contre-insurrection, tandis que les critiques ont pris de l’ampleur de 2010 à 2013.

Le colonel Gian Gentile[simple_tooltip content=’Jean-Dominique Merchet, « Un entretien avec le colonel Gentile (US Army) opposant à la contre-insurrection », 12 juin 2010 et 28 janvier 2015. http://secretdefense.blogs.liberation.fr/2010/06/12/gentile/’] 11[/simple_tooltip], officier et historien de l’armée américain est un des premiers à avoir critiqué la contre-insurrection américaine. Il a été officier d’opérations d’une brigade à Tikrit en 2003 et commandant d’un escadron en 2006 à Bagdad. À l’école d’officiers de West Point, il dirige le département d’histoire militaire. Dès 2010, il critique le manuel de contre-insurrection et les enseignements tirés de la contre-insurrection en Malaisie par l’armée britannique ou au Vietnam par l’armée américaine. « La COIN [acronyme anglophone de contre-insurrection] est devenue pour l’armée une croyance religieuse » qu’il faut déconstruire. Pour le colonel Gentile, « les élites et les opinions ont commencé à croire aux promesses de la COIN, comme si c’était une religion avec sa bible [FM 3-24], ses grands prêtres [Le général Petraeus, le lieutenant-colonel Nagl], le Messie [D. Galula] et ses convertis »[simple_tooltip content=’Gian Gentile, Wrong Turn. America’s deadly embrace of counterinsurgency, New Press, 2013, p. 6.’] 12[/simple_tooltip]. David Galula serait totalement « surévalué », même si son ouvrage est utile pour comprendre la guérilla maoïste, son apport conceptuel demeure faible et il n’est en rien équivalent à Clausewitz. Son ouvrage Contre-insurrection est perçu comme « le code magique » pour venir à bout de la guérilla. En réalité, en Irak, le financement des milices sunnites, la fin des quartiers mixtes à Bagdad entre sunnites et chiites où avait lieu la plupart des attentats, l’affaiblissement des milices chiites et la lassitude des sunnites de l’extrémisme religieux et de la violence de la branche irakienne d’Al-Qaïda, transformée plus tard en État islamique expliquent, pour le colonel Gentile, le succès de l’armée américaine. David Galula ne serait pas pour grand-chose dans cette victoire américaine. Cette vision critique du colonel Gentile est pourtant encore marginale au sein de l’armée américaine.

Après deux ans de recherche sur dans les archives françaises, nous publions aux États-Unis en 2011, les résultats de nos recherches sous le titre David Galula en Algérie, la théorie face aux faits[simple_tooltip content=’Gregor Mathias, David Galula in Algeria. Theory versus Practice, Praeger, 2011.’] 13[/simple_tooltip]. L’ouvrage surprend dans un contexte où la contre-insurrection est la stratégie à la mode dans l’armée américaine et que tous les plus hauts responsables militaires américains adhèrent à la nouvelle doctrine.

Les ouvrages critiques sur David Galula du colonel Gentile en 2012 et de l’universitaire Douglas Porch de 2013[simple_tooltip content=’Douglas Porch, Counterinsurgency. Exposing the Myths of the New Way of War, Cambridge University Press, 2013, pp. 176-187.’] 14[/simple_tooltip] reprennent nos principales critiques pour leurs études mais tombent dans l’autre excès en rejetant une partie de l’apport conceptuel de la contre-insurrection,notamment l’approche globale de la lutte contre la guérilla qui doit se faire sur le plan militaire, politique et social, économique et médiatique.

Par rapport à d’autres stratèges plus brillants, David Galula a l’avantage d’être un très bon pédagogue. Ses écrits sont compréhensibles et faciles à appliquer comme une recette de cuisine par tous les échelons de l’armée américaine, c’est ce qui explique son succès Outre-Atlantique. La contre-insurrection expérimentée au Djebel Aïssa Mimoun se situe dans un contexte de guerre asymétrique de basse intensité, ce n’est évidemment pas le cas de l’Afghanistan où les combats sont de moyenne ou de forte intensité. Cela n’invalide en rien la réflexion de David Galula. En juillet 2015, le capitaine de réserve John D. Ford, juge au sein d’un tribunal militaire américain, ayant servi en Afghanistan écrit un article intitulé « Lire Galula en Afghanistan »[simple_tooltip content=’John D. Ford, “Reading Galula in Afghanistan”, War on the Rocks, 25 février 2015. https://warontherocks.com/2015/02/reading-galula-in-afghanistan/?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter’] 15[/simple_tooltip] : la guerre en Afghanistan, loin d’invalider les enseignements de David Galula de son ouvrage Contre-insurrection, prouve qu’il a eu raison sur l’importance de la légitimité du gouvernement et des insurgés et surtout sur la géographie qui a été favorable à la guérilla afghane alors qu’en Irak, elle jouait plutôt pour la contre-insurrection.

Les Talibans afghans ont bénéficié de la frontière avec les provinces tribales de la frontière afghano-pakistanaise, lieu de refuge et d’entraînement des combattants et de leurs chefs. Les provinces tribales n’ont d’ailleurs jamais été contrôlées par l’armée pakistanaise, malgré quelques inefficaces incursions. La guérilla utilise la montagne à son avantage, selon David Galula. Le relief montagneux afghan a été l’autre atout des Talibans alors même que les voies de communication sont de mauvaise qualité dans le pays et n’aide pas la contre-insurrection. Les villages enclavés sont donc difficiles à contrôler et servent l’hiver de lieux de repos pour les insurgés et de points d’appui pour les attaques en période estivale. Enfin la population afghane étant rurale et dispersée, il est impossible de la contrôler. « Les chances de succès de la contre-insurrection dépendent des conditions géographique et humaine du terrain », favorables à la contre-insurrection en Irak mais défavorables à celle-ci en Afghanistan. Le capitaine John D. Ford valide l’analyse de David Galula concernant les conditions de la victoire de l’insurrection que l’on trouve au début de l’ouvrage Contre-insurrection mais n’évoque pas la fin de l’ouvrage qui décrit les opérations que doit mener la contre-insurrection, tactique qui a subi les feux de la critique.

III. David Galula redécouvert par son pays d’origine : traductions et analyses

Pendant très longtemps, David Galula ne pouvait être lu que dans la langue de Shakespeare. David Galula est invité par la Rand en avril 1962 pour un colloque sur la contre-insurrection organisé par Stephen Hosmer avec notamment Frank Kitson, officier britannique expert de la contre-insurrection en Malaisie et au Kenya et Edvard Lansdale, expert de la contre-insurrection aux Philippines. Impressionné par la réflexion de David Galula, Stephen Hosmer lui demande de rédiger un ouvrage sur son expérience de pacification pour la Rand, un think tank de l’armée américaine, ce sera Pacification in Algeria (1963). Chercheur associé à l’université d’Harvard, David Galula rédige un ouvrage plus conceptuel Counterinsurgency Warfare: Theory and Practice, publié par Praeger en 1964. Henry Kissinger, docteur en science politique à Harvard, futur responsable de la politique étrangère américaine comme Secrétaire d’État des présidents américains Richard Nixon et Gerald Ford de 1972 à 1977, écrit à David Galula qu’il considère « Votre ouvrage est très bon. Je pense qu’il s’agit d’un effort fondamental [pour comprendre la guérilla] »[simple_tooltip content=’Alan A. Cohen, The Life and Writings of the French Officier who Defined the Art of Counterinsurgency, Praeger, 2012, p. 220.’] 16[/simple_tooltip]. N’ayant pas eu de poste comme chercheur à Harvard, David Galula entre à Thomson en 1964 où il vend des radars à l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord). Atteint d’un cancer, il décède le 11 mai 1967 à l’Hôpital américain de Paris.

David Galula en français dans le texte !

David Galula, très bon anglophone, a écrit en langue anglaise ses deux ouvrages pour un public de militaire américain. Il faudra attendre plus de 40 ans après sa mort pour qu’on puisse enfin le lire en français.

L’officier de cavalerie Philippe de Montenon[simple_tooltip content=’Le colonel de Montenon a été le chef de corps du 13e RDP (régiment de dragons parachutistes), une des unités des Forces spéciales françaises, de 2015 à 2017. Après avoir suivi les sessions de l’Institut des hautes études de Défense nationale en 2018-2019, il a été nommé adjoint du commandant de la cyberdéfense, le 1er septembre 2019.’] 17[/simple_tooltip] fait partie des officiers qui font l’École de Guerre à l’étranger. Au Command and General Staff College de l’US Army de Fort Leavenworth, le général Petraeus a imposé, dès 2006, comme lecture obligatoire l’ouvrage de David Galula sur la contre-insurrection. Le colonel de Montenon le découvre et pressé par ses camarades américains de promotion de le présenter, il doit avouer qu’il ne le connaît pas. Il n’est d’ailleurs pas le seul, aucun historien de la guerre d’Algérie ne connaissait son existence. Seul Gérard Chaliand, observateur et analyste des guérillas du Tiers-monde des années 60 à 80, le cite dans un ouvrage de stratégie publié en 1979[simple_tooltip content=’Gérard Chaliand, Stratégies de la guérilla. Anthologie historique de la Longue Marche à nos jours, éd. Mazarine, 1979.
Gérard Chaliand, Les guerres irrégulières XX-XXIe siècle, Folio actuel, 2008. Une grande partie du texte de Galula est traduite par Juliette Minces à la même période.’] 18[/simple_tooltip]. Le colonel de Montenon prend alors l’initiative de traduire Contre-insurrection, théorie et pratique et de le faire publier par Économica en 2008 pour le faire connaître au public français.

Si la réaction au sein des milieux militaires français est, au début, positive du fait que des Américains mettent en valeur un « Frenchie » ; les officiers ayant travaillé sur les différentes formes de pacification pendant la conquête coloniale en Afrique, pendant la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie sont beaucoup plus mitigés sur les écrits de Galula. Ils trouvent l’apport conceptuel relativement pauvre et estiment que David Galula n’est pas au niveau d’autres penseurs de l’École française de la guerre révolutionnaire[simple_tooltip content=’Ivan Cadeau, « Lecture. David Galula. Théorie et pratique », Revue historique des Armées, n°259, 2010.
https://journals.openedition.org/rha/7009′] 19[/simple_tooltip] comme André Beaufre, Jacques Hogard, Charles Lacheroy, Lucien Poirier, Maurice Prestat, André Souyris, Roger Trinquier[simple_tooltip content=’Bertrand Valeyre et Alexandre Guérin, « De Galula à Petraeus. L’héritage français dans la doctrine américaine de contre-insurrection », Cahier de la recherche doctrinale, mai 2009.’] 20[/simple_tooltip], voire Jean Nemo[simple_tooltip content=’Gregor Mathias, « David Galula et Jean Nemo, deux visions différentes de la contre-insurrection en Algérie ? », p. 231-242, Antoine Champeaux (dir.), Les maquis de l’histoire. Guerre révolutionnaire, guerres irrégulières, Lavauzelle, 2010.’] 21[/simple_tooltip].

Il faudra encore attendre huit ans, en 2016, pour que les éditions Les Belles lettres prennent l’initiative de mettre à disposition du grand public, dans la collection « Mémoires de Guerre », le récit de David Galula sur son expérience de pacification en Kabylie. L’écrivain Julia Malye[simple_tooltip content=’https://juliamalye.ink/about.html’] 22[/simple_tooltip], fille de François Malye, directeur de la collection et journaliste au Point, traduit l’ouvrage illustré de documents photographiques communiqués par le fils de David Galula, Daniel Galula rencontré au Nevada. Malheureusement, l’ouvrage ne dispose que d’une analyse descriptive de la méthode de contre-insurrection et d’aucune évaluation objective de la tactique mise en place. Malgré la recension du Monde du 7 avril 2016, Pacification en Algérie suscite peu d’intérêt ou de débats, car la mode de David Galula est passée et qu’entre temps, il a été abondamment étudié.

Retour aux sources de la pensée de David Galula

Entre 2008 et 2016, au lieu de rester sur les éléments hagiographiques de David Galula venus d’Outre-Atlantique, deux historiens français vont étudier David Galula à partir des sources primaires américaines et françaises. Élie Tenenbaum, docteur à Science Po, actuellement chercheur à l’IFRI (Institut français des relations internationales), auteur d’une thèse sur l’influence française sur la stratégie américaine de contre-insurrection de 1945 à nos jours[simple_tooltip content=’Élie Tenenbaum, Partisans et centurions. Une histoire de la guerre irrégulière au XXe siècle, Perrin, 2018.’] 23[/simple_tooltip], étudie les archives militaires américaines. Élie Tenenbaum démontre qu’après avoir été publié par la Rand et Praeger, David Galula, décédé en 1967, n’est pas oublié. Pacification in Algeria est confiée, par la Rand, pour analyse à Charles Bohannan, consultant de la Rand, expert de la contre-insurrection aux Philippines, qui estime qu’il est futile de vouloir appliquer au Vietnam l’approche de David Galula qui nécessite trop d’effectifs militaires. Henry Cabot Lodge, ancien ambassadeur au Sud-Vietnam, propose au président américain Lyndon Johnson en mars 1968 d’organiser la société sud-vietnamienne pour qu’elle résiste à la subversion communiste en s’inspirant de la bataille d’Alger du général Massu et de l’ouvrage Contre-insurrection de David Galula. Le général Creighton W. Abrams met en place l’opération CORDS (Civil Operations and Revolutionary Development) pour organiser et aider la population du Sud-Vietnam dans sa partie civilo-militaire et le programme Phoenix destiné à démanteler les cellules du Vietcong au sein de la population dans sa partie policière et répressive (torture et assassinats). Cette expérience de contre-insurrection au Vietnam est loin d’être oubliée puisque le général Petraeus en fait le thème de son doctorat préparé à l’université de Princeton en 1987 sur les leçons du Vietnam pour l’armée américaine, tandis que le lieutenant-colonel Nagl rajoute au Vietnam l’expérience britannique en Malaisie pour sa thèse soutenue en 1997 à l’université d’Oxford. Ces deux officiers retrouvent, directement pour le lieutenant-colonel Nagl ou indirectement pour le général Petraeus, l’influence de David Galula sur les méthodes de contre-insurrection au Vietnam et vont donc l’utiliser à nouveau en Irak et en Afghanistan. Pour Elie Tenenbaum, David Galula est moins un « Clausewitz de la contre-insurrection » qu’un « remarquable passeur », il démontre « le caractère transnational de la pensée stratégique, du rôle des échanges et des transferts d’expérience dans la formulation de la doctrine et de leur influence sur les pratiques militaire » [simple_tooltip content=’Ibid., p. 12, pp. 279-280, p. 318-319, p.409.
Élie Tenenbaum, « Pour une généalogie atlantique de la contre-insurrection », pp. 23-61, Georges-Henri Bricet des Vallons (dir.), Faut-il brûler la contre-insurrection ?, Choiseul, 2010.’] 24[/simple_tooltip] .

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C’est par la traduction de Philippe de Montenon que nous prenons connaissance de l’existence de David Galula et que nous décidons, en 2009, d’effectuer une recherche dans les archives auprès de la SAS du Djebel Aïssa Mimoun, secteur militaire de David Galula, et qui recense de manière bihebdomadaire les actions effectuées par la SAS et par les unités de secteur du capitaine Galula auprès de la population. Le Journal des marches et des opérations (JMO) de son unité retrace également l’action du capitaine Galula. Nous retrouvons des articles inédits de David Galula, ainsi que les références exactes des articles du Monde qui critiquent l’action David Galula sans jamais le citer. Nous interrogeons l’officier SAS Claude Pfirrmann (décédé en 2013) qui a travaillé avec David Galula et l’auteur de l’article du Monde, Gérard Bélorgey, ancien énarque et ancien président de Radio France Outre-mer (décédé en 2015), qui a critiqué le « capitaine de Kabylie », en 1957. Ces sources jettent un autre éclairage sur l’action de David Galula : elles permettent de compléter ou de contredire le récit de David Galula sur sa pacification en Algérie. Elles permettent d’avoir une vision plus objective sur son action de pacification qui, même si elle est originale, n’est pas toujours probante, notamment en raison de l’infiltration de sympathisants du FLN parmi les supplétifs qu’il recrute et les élus qu’il nomme. Ces infiltrations seront fatales à son successeur qui sera tué dans une embuscade.

En analysant les résultats et les difficultés de sa pacification au Djebel Aïssa Mimoun, nous avons pu affirmer que sur les huit étapes de la contre-insurrection, une étape avait un succès indéniable (le contact avec la population), trois étapes étaient des succès à court terme mais des échecs à long terme (une unité dans chaque hameau, la lutte contre l’OPA et l’ALN), deux étapes étaient des échecs (désigner des élus et tester leur fiabilité et leur efficacité), deux étapes ne relevaient pas de sa compétence et n’avaient pas d’efficacité avérée (concentration des troupes et formation d’un mouvement politique national)[simple_tooltip content=’Gregor Mathias, David Galula. Combattant, espion, maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire, Économica, 2012, p. 163-168.’] 25[/simple_tooltip]. Enfin il est illusoire de croire, comme l’affirme David Galula, que 14 mois suffisent pour pacifier un secteur, nous avons pu étudier que dans d’autres secteurs d’Algérie une période de trois années est suffisamment longue pour tirer le bilan d’une action de pacification menée par un officier.
Le succès passé et récent de David Galula tient plus à ses qualités de pédagogue et à sa méthode de contre-insurrection qui reprend, sans jamais les citer, les préceptes d’Antoine Argoud, de Jean Nemo, du maréchal Lyautey, de Lawrence d’Arabie, du journaliste Servan Schreiber et les méthodes maoïstes d’organisation de la population pour les appliquer concrètement en Kabylie.

Le retour du prophète en son pays

En une dizaine d’années, David Galula est passé du statut de grand penseur de stratégie de la contre-insurrection au penseur impuissant à empêcher l’ensablement de l’armée américaine en Afghanistan. Il aura pourtant permis à l’armée française de redécouvrir les penseurs français de la guerre révolutionnaire mis sous le boisseau avec le processus de décolonisation de l’Algérie en 1960 et la participation de certains de leurs membres au putsch contre le général de Gaulle en avril 1961. La confrontation des armées occidentales aux guérillas et à la subversion islamiste au Liban en 1982-1984, en Somalie en 1992-1993, en Afghanistan dès 2001, en Irak en 2003-2011, dans la bande sahélo-saharienne à partir de 2013, nécessite une approche globale à la fois militaire, politique, diplomatique, économique, sociale et surtout médiatique pour obtenir le soutien de l’opinion publique et de la population du théâtre d’opérations. David Galula donne des clés de lecture pour comprendre les ressorts de la guérilla et une méthode simple pour agir contre elle dans un monde complexe ; c’est la raison pour laquelle David Galula est revenu à la mode aux États-Unis comme en France.

David Galula, né à Sfax en Tunisie, s’est installé avec sa famille au Maroc ; il étudie par la suite au lycée Lyautey de Casablanca. En 2019, Driss Ghali, un ingénieur marocain, rend hommage à cette figure franco-marocaine de notre histoire commune en publiant David Galula et la théorie de la contre-insurrection[simple_tooltip content=’Driss Ghali, David Galula et la théorie de la contre-insurrection, Éditions Complicités, 2019.
Site de la revue Conflits, Interview de Driss Ghali par Jean-Baptiste Noé, « David Galula, le théoricien de la contre-insurrection », 6 août 2019. https://www.revueconflits.com/driss-ghali-contre-insurrection-galula/’] 26[/simple_tooltip]. Il retrace l’itinéraire de David Galula et cite les témoignages du fils de David Galula et du général Petraeus. Il insiste sur l’apport de David Galula à la lutte contre le terrorisme islamiste et à l’importance de la communication, un aspect essentiel de la pensée de David Galula trop souvent oublié dans les études portant sur ce stratège atypique. Driss Ghali nous offre un très bon ouvrage de vulgarisation sur la vie et la pensée de David Galula pour le public français et marocain.

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