<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> « Cette guerre est une guerre mondiale »

3 juillet 2020

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Le général De Gaulle au micro de la BBC à Londres © Wikimedia
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« Cette guerre est une guerre mondiale »

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On doit au général De Gaule le célébrissime appel du 18 juin 1940. On y fait souvent allusion pour sa phrase « La France a perdu une bataille ! Mais la France n’a pas perdu la guerre. » Au-delà de ce propos, l’allocution de De Gaulle est ô combien riche en enseignements.

La volonté de résister

Si cette phrase n’est pas la plus célèbre de l’appel du 18 juin 1940, elle résume parfaitement ce qui divise la France en cet été tragique, et singulièrement ce qui oppose de Gaulle et Pétain. Le premier se projette dans la suite du conflit, répétant trois fois « La France n’est pas seule », évoquant l’Empire (colonial), l’Empire britannique « qui tient la mer et continue la lutte », ou encore « l’immense industrie des États-Unis », redevenue accessible depuis le vote de la loi « cash and carry » en novembre 1939 qui a levé l’embargo sur les armes. Le second déclare, prématurément et maladroitement, car cela démotivera les soldats qui tentent encore de résister çà et là : « Je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat[1]. » Et le 20 juin, alors que les armistices ne sont pas encore conclus, il propose son analyse de la défaite en prenant pour seule base explicative une comparaison avec la Première Guerre mondiale et en tirant une leçon avant tout morale et politique : « On a revendiqué plus qu’on a servi. » Là où de Gaulle, deux jours plus tôt, se place avant tout sur le terrain militaire et en tire un motif d’espoir : « Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. »

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Est-ce à dire que la rupture est consommée entre Pétain et de Gaulle dès la mi-juin ? C’est probable dans le for intérieur du général, mais ce n’est pas patent dans l’appel qu’il lance au soir du 18 sur les ondes de la BBC (l’appel est diffusé à 22 heures). Nous savons en effet, depuis l’enquête de Jacques Fourmy et les recherches de Christian Rossé et François Delpla (entre autres), qu’en l’absence d’enregistrement sonore, la seule transcription du texte prononcé est celle des services de renseignement helvétiques et diffère légèrement des enregistrements sonores et filmés, qui sont nettement postérieurs, ou des textes publiés par la suite, dont la  version « canonique » figée en août à partir du brouillon original maintes fois remanié – François Delpla a recensé cinq brouillons successifs.

Une construction fragile

Car en ce 18 juin, le secrétaire d’État à la guerre d’un gouvernement démissionnaire doit composer avec plusieurs impératifs. Le premier étant de ne pas déplaire au gouvernement britannique, qui lui offre l’accès à la BBC. Le ministre de l’information de Churchill, le francophile Duff Cooper, contrôle d’ailleurs le discours avant sa diffusion. Churchill ne veut en aucun cas se fâcher avec le gouvernement Pétain, en espérant qu’il puisse refuser l’armistice ou qu’au minimum il prendra toutes les précautions pour éviter que la flotte française ne tombe aux mains des Allemands ou des Italiens. Et quitte à accueillir un dissident, le Premier ministre britannique compte plutôt sur une personnalité plus connue et mieux appréciée que l’ombrageux général « à titre provisoire », comme Georges Mandel, ministre de l’Intérieur de Reynaud et qui a encouragé de Gaulle à partir, avant de tenter de préserver la flamme résistante dans l’empire colonial.

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L’accroche cinglante de l’appel que nous connaissons n’a donc jamais été prononcée. De Gaulle ne voulait de toute façon pas froisser les chefs militaires de l’empire, auxquels il devait s’adresser dans les jours suivants pour leur demander de continuer la lutte. Car en parlant de la résistance française, le général n’envisage aucunement un soulèvement populaire, ni ce que deviendra la Résistance qui s’improvise au même moment[2], sans même avoir connaissance de ce général parti en Angleterre. C’est bien un effort de guerre « classique » qu’il préconise, aux côtés des Britanniques, car il a compris que Churchill ne cèderait pas devant Hitler. Alors que Pétain et son entourage sont persuadés que la guerre va se terminer bientôt par une victoire allemande. Cette conviction les conduira à l’automne, devant le prolongement inattendu du conflit, sur la voie périlleuse de la collaboration d’État.

 


[1] Allocution radiodiffusée du 17 juin. Les deux tiers des 1,8 million de prisonniers français ont été capturés après cette funeste intervention.

[2] L’un des premiers actes résistants répertoriés est la distribution d’un tract artisanal à Brive par Edmond Michelet, le 17 juin, reprenant une phrase de Charles Péguy : « Celui qui ne se rend pas a raison contre celui qui se rend. »

À propos de l’auteur
Pierre Royer

Pierre Royer

Agrégé d’histoire et diplômé de Sciences-Po Paris, Pierre Royer, 53 ans, enseigne au lycée Claude Monet et en classes préparatoires privées dans le groupe Ipesup-Prepasup à Paris. Ses centres d’intérêt sont l’histoire des conflits, en particulier au xxe siècle, et la géopolitique des océans. Dernier ouvrage paru : Dicoatlas de la Grande Guerre, Belin, 2013.
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