Arabie saoudite Pakistan, la grande alliance

7 octobre 2025

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : (SPA/Handout via Xinhua) - Wang Haizhou -//CHINENOUVELLE_CmxztpE000005_20250919_PEPFN0A001/Credit:CHINE NOUVELLE/SIPA/2509190746

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Arabie saoudite Pakistan, la grande alliance

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Le Pacte de défense mutuelle, signé entre l’Arabie saoudite et le Pakistan, ne cesse de susciter des questions et des interrogations. Entretien avec le Dr Ashok Behuria pour analyser les raisons d’un tel accord.

Entretien avec le Dr Ashok Behuria, coordinateur, South Asia Centre Senior Fellow, Manohar Parrikar Institute for Defence Studies and Analyses (MP-IDSA).

Propos recueillis par Henrik Werenskiold. Traduction de Conflits.

Au cours de la dernière décennie, l’Inde a considérablement renforcé ses liens avec l’Arabie saoudite, tant dans le domaine de la sécurité énergétique que dans celui de la lutte contre le terrorisme. Considérez-vous ce nouveau pacte de défense entre l’Arabie saoudite et le Pakistan comme un revers potentiel pour ces progrès ?

L’Inde et l’Arabie saoudite ont en effet noué des liens solides au cours de la dernière décennie, passant d’un partenariat principalement axé sur l’énergie à une coopération multiforme englobant la lutte contre le terrorisme (groupes de travail conjoints depuis 2015), les dialogues sur la défense (comme le protocole d’accord sur la coopération militaire en 2019) et les investissements stratégiques (participation de 15 milliards de dollars de Saudi Aramco dans la raffinerie de Ratnagiri, dans l’État du Maharashtra). Le commerce bilatéral est passé de 27,5 milliards de dollars pour l’exercice 2015 à plus de 40 milliards de dollars ces dernières années.

Dans ce contexte, l’accord de défense mutuelle stratégique (SMDA) conclu entre l’Arabie saoudite et le Pakistan le 17 septembre semble freiner ce processus d’engagement, compte tenu de la posture hostile persistante d’Islamabad à l’égard de l’Inde. Cependant, en réalité, ce n’est peut-être pas le cas. Il s’agit peut-être d’un revers stratégique, mais pas d’une rupture totale. Il est vrai que le traité pourrait permettre au Pakistan d’utiliser les ressources saoudiennes pour renforcer son appareil de défense et de sécurité et conduire à une coopération plus étroite entre les services de renseignement saoudiens et pakistanais, offrant ainsi au Pakistan la possibilité d’influencer négativement la perspective saoudienne sur l’Inde.

Cependant, l’Arabie saoudite a souligné que le pacte ne visait aucun tiers et ne montrait aucune intention de s’impliquer dans les différends indo-pakistanais, signalant ainsi son intention de poursuivre la voie de l’engagement avec New Delhi. Sur le plan diplomatique, cela pourrait ralentir la dynamique des forums de sécurité plus larges du Golfe auxquels l’Inde souhaite participer, mais le poids économique des relations entre l’Arabie saoudite et l’Inde, fondées sur une dépendance mutuelle, devrait pousser les deux pays à renforcer leur engagement malgré ce pacte. Poussé par les besoins de l’Inde et la politique de diversification de l’Arabie saoudite, le pacte n’aura aucun impact sur le commerce à l’avenir.

Au mieux, il pourrait accélérer la diversification de l’Inde, par exemple en renforçant ses liens avec les Émirats arabes unis et le Qatar. Il faut garder à l’esprit que le mantra de Riyad consistant à « élargir les partenariats » (avec l’Occident, la Chine, la Russie et désormais le Pakistan) suggère qu’elle considère l’Inde comme un partenaire complémentaire et non concurrentiel. Selon toute vraisemblance, les dialogues économiques de haut niveau, tels que le Conseil de partenariat stratégique indo-saoudien de 2024, se poursuivront sans relâche, avec de nouveaux engagements dans les domaines des énergies renouvelables et des technologies.

Le prince héritier et Premier ministre saoudien Mohammed bin Salman Al Saud (à droite, au premier plan) rencontre le Premier ministre pakistanais en visite, Shehbaz Sharif, à Riyad, le 17 septembre 2025.

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L’accord a été signé quelques jours seulement après l’attaque israélienne contre le Qatar. Pensez-vous que les États du Golfe sont en train de recalibrer leurs politiques de sécurité d’une manière qui pourrait marginaliser le rôle de l’Inde dans la région ?

Il est vrai que les États du Golfe semblent recalibrer leurs politiques de sécurité, poussés par l’érosion de la confiance dans les garanties américaines, et certains analystes estiment que ce changement pourrait marginaliser l’influence de l’Inde dans la région, même si cela dépendra en grande partie de l’évolution du pacte saoudo-pakistanais et de son extension à des domaines préjudiciables aux intérêts indiens. Le fait que le SMDA ait été signé huit jours seulement après l’attaque sans précédent menée par Israël contre Doha, au Qatar, le 9 septembre, illustre cette tendance et marque une évolution vers des alliances diversifiées qui pourraient compliquer le positionnement stratégique de New Delhi sans pour autant la mettre complètement à l’écart.

La dynamique sécuritaire dans la région élargie semble changer et cette frappe semble briser les « tabous régionaux », poussant les capitales du Golfe à rechercher des alternatives telles que les capacités militaires (et nucléaires implicites) du Pakistan pour dissuader les menaces provenant d’Iran ou d’Israël. La tendance à un engagement accru en matière de défense avec la Chine et la Russie pourrait également s’accélérer.

Dans ce contexte, l’influence de l’Inde dans le Golfe restera forte, même si elle pourrait se sentir obligée de réévaluer en permanence l’impact négatif du SMDA sur les intérêts de la sécurité nationale indienne. Alors que les États du Golfe privilégient désormais l’autodissuasion, le poids économique de l’Inde empêchera probablement son exclusion totale des calculs de sécurité régionaux, même si elle sera désormais particulièrement vigilante quant à l’intégration du Pakistan dans le domaine de la sécurité du Golfe.

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Le pacte stipule explicitement que toute agression contre l’un des deux pays sera considérée comme une agression contre les deux. Du point de vue de l’Inde, ce pacte introduit-il un nouveau dilemme en matière de sécurité, en particulier si les tensions avec le Pakistan reprennent le long de la ligne de contrôle ?

L’Inde n’a aucune politique expansionniste vis-à-vis du Pakistan et n’a pas l’intention d’entrer en guerre avec lui. Selon de nombreux analystes pakistanais, toutes les guerres passées ont été déclenchées par le Pakistan. Les affrontements entre l’Inde et le Pakistan le long de la ligne de contrôle, qui résultent pour la plupart de l’agression pakistanaise, ont été limités et n’ont pas dégénéré. Par conséquent, un traité défensif tel que le SMDA ne devrait pas menacer l’Inde en tant que tel.

De plus, l’Inde et l’Arabie saoudite se comprennent suffisamment pour ne pas mal interpréter les mesures de sécurité d’urgence qu’elles doivent prendre dans des situations imprévues. Par exemple, les mesures antiterroristes indiennes en cas d’attaque terroriste odieuse provenant du Pakistan ne seraient pas interprétées par les Saoudiens comme une « agression » envers le Pakistan, même si ce dernier aimerait le présenter ainsi. Par conséquent, le pacte ne va pas changer le comportement de l’Inde en termes de réaction spontanée à toute attaque terroriste à l’avenir.

Quelles pourraient être les implications si une nouvelle attaque terroriste du type de celle de la vallée de Pahalgam avait lieu et que l’Inde estimait devoir attaquer à nouveau le Pakistan pour riposter ? Le pacte de défense va-t-il relever le seuil à partir duquel une action militaire indienne contre le Pakistan serait jugée nécessaire ?

Dans le cas d’un Pahalgam 2.0, la réponse de l’Inde serait proportionnée (comme cela serait jugé adéquat) principalement pour répondre aux éléments terroristes opérant depuis le sol pakistanais, avec pour objectif principal de détruire leurs infrastructures et d’éliminer leurs dirigeants. Le SMDA n’aura pas beaucoup d’impact sur le comportement de l’Inde, car les forces de sécurité indiennes ont leurs propres doctrines et plans bien établis à mettre en œuvre en cas de crise de ce type.

Si une nouvelle guerre éclatait entre le Pakistan et l’Inde, pensez-vous que l’Arabie saoudite pourrait essayer de faire pression sur l’Inde par d’autres moyens économiques, tels que la restriction des exportations de pétrole, afin de soutenir son allié pakistanais ?

Ce sont là des spéculations. Il n’y a aucune possibilité d’une guerre totale entre l’Inde et le Pakistan. Si une telle guerre éclatait, ce serait à cause de la volonté du Pakistan plutôt que d’un projet indien. Dans ce cas, le SMDA ne s’appliquerait pas. Le pacte ne stipule pas que les Saoudiens et les Pakistanais se joindraient aux guerres qu’ils déclencheraient contre un autre pays.

L’Arabie saoudite a essayé de maintenir des relations équilibrées avec l’Inde et le Pakistan. Cet accord pourrait-il rapprocher Riyad d’Islamabad, ou pensez-vous que l’Arabie saoudite continuera à compartimenter ses relations avec les deux pays ?

L’Arabie saoudite a maintenu des relations indépendantes et sans lien entre l’Inde et le Pakistan. Elle devrait continuer à le faire dans les jours à venir.

L’Inde a établi de solides relations commerciales et d’investissement avec le Golfe, notamment avec Saudi Aramco et d’autres acteurs. Une coopération militaire accrue avec le Pakistan pourrait-elle compliquer la diplomatie économique de l’Inde dans le Golfe ?

Heureusement, les pays du Golfe ne considèrent pas leurs relations avec l’Inde à travers le prisme du Pakistan. Leurs relations avec l’Inde se sont développées sans être influencées par la coopération substantielle en matière de sécurité que le Pakistan entretient avec de nombreux pays de la région.

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Comment cet accord pourrait-il interagir avec l’influence croissante de la Chine au Pakistan (via le CPEC) et dans le Golfe ? Pourrait-il donner à Pékin un plus grand poids dans la sécurité du Golfe, affectant indirectement les intérêts de l’Inde ?

La Chine s’est montrée très prudente dans la région et au-delà. Il sera intéressant d’observer comment elle réajustera ses politiques vis-à-vis de la région, au cas où des pactes similaires au SMDA dans la région entraîneraient le Pakistan dans une alliance de facto de type islamo-OTAN.

Il est toutefois peu probable que la Chine laisse ses relations avec la région être dictées par les politiques du Pakistan, même si les deux pays entretiennent des liens « plus profonds que l’océan et plus hauts que les montagnes », comme ils le disent eux-mêmes. La Chine a certes l’opportunité de vendre son matériel militaire, mais malheureusement, ses équipements ne jouissent pas d’une bonne réputation dans la région.

Le pacte entre l’Arabie saoudite et le Pakistan a-t-il renforcé l’influence géopolitique de la Chine en Asie du Sud ?

Il serait naïf d’imaginer que la politique de la Chine envers la région découle de celle du Pakistan. Le pacte est né d’une dynamique sécuritaire dans laquelle la Chine n’a aucun rôle à jouer. Par conséquent, la Chine pourrait ne pas être encline à s’aventurer dans les eaux troubles de la région et à compromettre ses intérêts commerciaux.

Cela pourrait-il conduire à un rapprochement plus fort entre l’Inde et l’Iran, compte tenu des relations tendues entre Téhéran, Riyad et Islamabad ?

L’Inde devra peut-être être plus vigilante quant à l’évolution de la défense et de la sécurité dans la région, sans pour autant chercher à modifier ou à ajuster trop fortement son approche diplomatique actuelle.

Considérez-vous ce pacte comme un facteur de stabilisation pour le Golfe et l’Asie du Sud, en dissuadant les conflits, ou comme un élément susceptible d’ajouter davantage d’instabilité à une région déjà fragile ?

Reste à voir dans quelle mesure il dissuadera Israël dans les jours à venir. À mon avis, il ne l’empêchera peut-être pas de mener ses attaques antiterroristes sans respecter les frontières souveraines. La région est déjà trop instable et il semble qu’Israël n’hésitera pas à exploiter toutes les informations exploitables.

Quelles mesures l’Inde devrait-elle prendre sur le plan diplomatique pour s’assurer que ses intérêts ne soient pas compromis par ce nouvel alignement sécuritaire entre l’Arabie saoudite et le Pakistan ?

L’Inde devrait continuer à faire ce qu’elle a fait toutes ces années. La politique de l’Inde dans le Golfe a évolué, passant d’une approche purement énergétique et transactionnelle à un partenariat stratégique global et multiforme sous l’actuel gouvernement Modi. Ancrée dans la politique « Look West » (regarder vers l’Ouest) officialisée vers 2005 sous le précédent gouvernement de Manmohan Singh, cette approche a mis l’accent sur les engagements bilatéraux plutôt que sur les enchevêtrements régionaux, équilibrant l’interdépendance économique avec une coopération prudente en matière de sécurité afin d’éviter les conflits dans le Golfe.

Les principales caractéristiques de cette politique sont les suivantes : sécurité énergétique et interdépendance économique, bilatéralisme et dissociation du Pakistan, renforcement de la coopération en matière de sécurité et de défense, diversification au-delà des hydrocarbures et multi-alignement. L’Inde devrait poursuivre ce processus avec encore plus de zèle.

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