Nous vivons une époque qui verse régulièrement dans le catastrophisme. Même si ce n’est pas vraiment nouveau, cela s’avère particulièrement marqué dans notre société contemporaine et cela induit des comportements souvent irrationnels.
Mais dans ce petit livre philosophique, Alexis Rostand évoque avec mystère une autre forme de catastrophe, plus profonde et liée à notre condition, celle-là.
Alexis Rostand, Au-delà de la catastrophe, Boleine, mai 2025, 150 pages.
Une époque propice aux états d’esprit anxiogènes
Le phénomène n’a rien de nouveau. Réelles ou imaginaires, on a souvent évoqué les grandes peurs de l’an Mille. On se souvient aussi avec amusement et bienveillance des prédictions étonnantes de Paco Rabanne sur l’arrivée de l’apocalypse. Bien sûr, ce sont loin d’être les seules manifestations d’anxiété collective liées aux grandes anticipations de catastrophes annoncées, mais elles sont assez révélatrices de ce que l’esprit humain est capable de concevoir lorsqu’il n’est plus tout à fait dans la pleine rationalité.
Aujourd’hui, les peurs sont multiples, amplifiées certainement par l’effet de diffusion massive permis notamment par les réseaux sociaux. Mais c’est en particulier dans le domaine de l’écologie que se sont développés les syndromes les plus marqués, allant jusqu’à susciter des phénomènes marqués, à l’image de l’éco-anxiété, véritable marqueur de notre époque. Bien que pourtant « l’imaginaire de la pluie et du beau temps » existe depuis des lustres.
Qu’il s’agisse de mythologie du déluge, de décadence, de démographie (souvenons-nous de Robert Thomas Malthus), d’immigration, nombreuses sont les sources d’inquiétude face à un avenir qui remettrait en cause le monde tel que nous le concevons, nous conduisant vers des formes de chaos.
Les attitudes face à la catastrophe
La catastrophe, nous dit Alexis Rostand, est liée au malheur et la tragédie de l’existence. Par nature relativement imprévisible, elle revêt différentes formes, allant des grandes catastrophes (le Déluge) aux affres de l’existence d’un simple individu.
Mais pour l’auteur, il s’agit avant tout d’étudier les manières différentes d’appréhender l’existence, selon la perception qu’on en a :
« Les traditions philosophiques et politiques sont ainsi largement déterminées par ce rapport au progrès ou à la chute, au point que l’on peut y trouver l’une des lignes de fracture les plus valables pour distinguer les clivages partisans : le progressisme n’envisageant pas que l’avenir ne puisse être plus radieux que le présent, tandis que le conservateur voit s’éloigner avec nostalgie un passé dont il veut retenir ce qui lui semblait valable et beau. Dans un cas comme dans l’autre, l’aiguillon de la catastrophe nous aide à situer, sur l’échiquier des idées, les différents acteurs de ce jeu d’ombre, opposant ceux qui pensent s’en éloigner et ceux qui se désolent de s’en rapprocher chaque jour davantage ».
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Dès lors, chacun s’évertue à tenter de déjouer le sort et d’éviter la catastrophe. Un peu à l’image de l’homme révolté, pourrait-on penser avec Albert Camus, qui refuse la résignation pour privilégier la réaction à l’absurdité de notre condition. Mais lorsqu’elle survient, peut alors émerger un cycle de violence, relève l’auteur, qui peut s’apparenter à ce que René Girard nous enseignait à travers ses analyses sur le rôle du bouc émissaire. Une violence qui manifeste toute l’ambivalence de cette notion de catastrophe.
La catastrophe en tant qu’événement
Alexis Rostand, à travers des développements mi-philosophiques, mi- poétiques, inspirés par l’histoire, la culture, de grands auteurs, mais aussi le christianisme, choisit d’appréhender la notion de catastrophe en tant qu’événement plutôt que comme processus. Il se réfère ainsi à un lieu et à une époque précis. En l’occurrence, plutôt que de s’inscrire dans l’étude d’un processus de décadence, il entend explorer une perception d’un phénomène. Aujourd’hui plutôt qu’hier, et en Europe plutôt qu’ailleurs.
« Aujourd’hui peut-être plus encore tandis que le constat d’un affaiblissement objectif de l’Europe semble très largement partagé. Démographiquement, politiquement, économiquement, spirituellement, le continent apparaît affaibli au moment même où, dans un singulier retournement historique, les anciennes civilisations orientales qu’elle aura redécouvertes, en partie soumises et largement « européanisées », vivent une sorte de renaissance ».
Une analyse qui peut s’inspirer de la démarche de Pétrarque qui, en son temps, chercha à constituer « un pont entre deux âges, puisant dans le passé les leçons qui permettent d’anticiper un avenir encore incertain », lorsqu’il contribua à faire redécouvrir les vestiges de l’époque romaine, symbole même de la mystique des lieux attachés à la catastrophe.
« Témoins historiques d’affrontements séculaires, ils portent la marque de conflits de toute sorte dont l’humanité subsistante est l’héritière ».
Mais la catastrophe est avant tout une rupture radicale révélant, ou nous rappelant, notre fragilité. Sa représentation, selon l’auteur, colore notre existence, nous place dans l’attente de son avènement. De l’Apocalypse, aux philosophies de la fin de l’Histoire, en passant par les tremblements de terre ou autres remises en cause d’un monde dans lequel nous évoluons, il évoque tout ce qui détermine notre condition. En particulier la séparation. Celle notamment d’avec les êtres chers que nous aimons.
Des affres qui conduisent à la recherche fréquente et destructrice de paradis artificiels (drogue, alcool), ou du conformisme par adhésion au groupe (et souvent à l’idéologie), à moins d’opter pour les vertus (plus exigeantes) de l’amour, central – rappelle-t-il – dans l’œuvre de Camus, et antithèse de la catastrophe.
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La recherche du point de fuite
Par une forme d’enchaînement subtil et délicat, Alexis Rostand passe de l’amour à la beauté, à la recherche du point de fuite qui mène à l’immortalité. Celles des œuvres d’art, de la littérature, de la pensée des grands auteurs, qui permettent de faire converger le regard vers la compréhension de la catastrophe, à travers une vision relativement mystique, proche du sacré, qui – s’inspirant en partie de l’œuvre de Jean-François Mattei – conduit à la conversion du regard par ce que recèle la culture. La lecture, notamment, conduit au dépassement de soi, à la possibilité d’échapper à la catastrophe (de l’ignorance, de la violence et du vacarme du monde), par la rencontre du fini (le lecteur) et de l’infini (le savoir contenu dans les livres).
Car la catastrophe est avant tout spirituelle, entend montrer l’auteur, et l’espérance le moyen de la dépasser.