<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Cannes et Nice victimes de sabotages

12 septembre 2025

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Cannes et Nice victimes de sabotages

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Samedi 24 mai, la ville de Cannes et sa région subissait une coupure totale de courant. Le lendemain, c’était au tour de Nice. Des sabotages revendiqués par « deux bandes d’anarchistes ». Conflits suit et analyse avec grande attention ce genre d’incidents, de plus en plus fréquents, qui se produisent sur le territoire français en s’en prenant à des infrastructures majeures.

Article paru dans le no58 – Drogues La France submergée

Entretien avec Daniel Dory, chercheur et consultant en terrorisme, membre du comité scientifique de Conflits

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé

En juillet 2024, des infrastructures de la SNCF ont été attaquées la veille de l’ouverture des JO, bloquant les principales lignes de TGV. Cette fois-ci, ce sont des transformateurs EDF qui ont été sabotés. Y a-t-il un lien entre ces actions ?

Daniel Dory. Pour aborder sérieusement cette question, il convient de commencer par distinguer deux sortes de « liens ». D’abord, ceux des auteurs directs des faits, à propos desquels on ne sait (publiquement) encore rien. Mais pour des raisons qu’on abordera plus tard, il est probable que s’agissant d’une mouvance hétérogène (écologiste radicale, libertaire, antifa, etc.) fortement décentralisée, les auteurs des sabotages récents aient sans doute une base locale. Ensuite, sur le plan idéologique, il est évident qu’une réelle parenté existe entre, par exemple, les sabotages des lignes TGV et des infrastructures d’internet en 2024, et les attentats récents du sud de la France. Or, malgré la nature et les caractéristiques de la menace que représentent ces actions, force est de constater que peu de recherches (théoriques et/ou à visée pratique) sont actuellement menées pour y faire face.

Ce sont toujours des points majeurs qui sont attaqués. Or ces infrastructures sont secrètes et camouflées. Cela signifie-t-il qu’il y a des complicités entre les saboteurs et des agents d’EDF et de la SNCF ?

Oui, et ce fait est remarquable. Pour saboter efficacement des infrastructures critiques en réseau (ferroviaires, électriques, d’internet, etc.), des connaissances spécialisées sont absolument indispensables. Ce qui suppose non seulement de pouvoir accéder à des informations en partie secrètes, mais surtout d’être en mesure d’en faire un usage opérationnel approprié. Ces deux contraintes suggèrent l’existence de complicités internes.

Quelle est la finalité d’une telle attaque ? Peut-on parler d’acte de terrorisme ?

Dans la mesure où il s’agit d’actes violents ayant pour but de communiquer des messages à diverses audiences, on peut considérer que ces actions entrent dans le champ du terrorisme. En effet, dans les cas qui nous occupent ici, on a affaire à des actions qui sont conçues pour bénéficier d’une publicité (nationale et internationale) maximale car associées à des événements tels que les Jeux olympiques et le Festival de Cannes. C’est la logique communicationnelle qui permet d’identifier l’ensemble des interactions qui constituent un complexe terroriste, bien plus que la gravité de l’acte en matière de morts, blessés et dégâts. Cela dit, en s’en prenant au réseau électrique d’une agglomération, les auteurs du sabotage sont susceptibles de provoquer des conséquences extrêmement graves dans tous les domaines de l’activité humaine.

Peu après les attaques à Nice, deux « bandes d’anarchistes » ont publié un manifeste de revendication sur le site nantais d’Indymedia. Que nous apprend ce texte et que nous dit-il de la nature des acteurs ?

Ce communiqué de revendication, bien écrit et à certains égards amusant en ce qu’il pastiche le discours sur le cinéma, évoque un assemblage idéologique à la confluence de la critique de la technologie de certaines fractions de l’écologie radicale (pouvant verser dans l’écoterrorisme) et la promotion de l’action directe propre notamment à des tendances de l’anarchisme insurrectionnaliste. Il est à remarquer que ces deux courants sont encore peu étudiés, tout au moins en France, où la recherche sérieuse sur le fait terroriste est peu développée pour une série de (mauvaises) raisons. Or, pour tirer profit des textes de revendication des actes terroristes de cette nature, des compétences méthodologiques et historiques sont indispensables.

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Le support de la revendication obéit, quant à lui, aux pratiques habituelles de cette mouvance. Indymedia, tout comme Reporterre qui accueillit le communiqué concernant les sabotages de juillet 2024 sont des sites populaires des mouvances qui nous intéressent ici, et qui jouissent en plus d’une ample sympathie dans la plupart des médias officiels, et en particulier ceux du service public.

Peut-on parler d’un écoterrorisme ? Peut-on établir des liens entre les actions violentes des écologistes radicaux et celles des mouvements révolutionnaires des années 1970, comme les Brigades rouges et la Fraction armée rouge ?

L’écoterrorisme, proprement dit, n’est que l’une des composantes d’un ensemble bigarré de mouvances dont les contours sont en perpétuelle transformation. Pour faire simple, on peut les rassembler sous la dénomination, volontairement imprécise, de « gauchismes violents ». L’anarchisme en est une des composantes, depuis ses versions pures de la fin du xixe siècle jusqu’aux diverses variantes de l’anti-autoritarisme libertaire qui caractérise la Nouvelle Gauche des années 1960-1980, à la marge duquel ont surgi des entités recourant au terrorisme, comme les Weathermen (États-Unis), la Fraction armée rouge (Allemagne), Lotta Continua (Italie), Action directe (France), etc.

Au cours des années 1990, lorsque l’engouement pour une révolution de style marxiste-léniniste s’estompa, d’autres causes serviront de catalyseurs de mobilisation intermittente (par exemple la Palestine) ou durable (les migrants et/ou l’environnement synthétisé dans le thème climatique…).

Les phénomènes que l’on observe actuellement ne sont donc vraiment compréhensibles que si l’on se réfère à une histoire longue, ou des causes idéologiques apparaissent et se recomposent au gré de situations géopolitiques (internes et externes) changeantes. De même, l’étude des modes opératoires (techniques des attentats) et des pratiques communicationnelles permet d’identifier des généalogies et des ruptures du plus haut intérêt. Cela fait l’objet de recherches en cours actuellement en vue d’une synthèse préliminaire.

Indymedia, le site qui a publié le manifeste, fut très actif lors de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Les événements qui s’y sont déroulés ont-ils servi de creuset à une génération de militants écologistes ?

Oui, Indymedia, dont il existe une grande quantité de ramifications, est l’un des sites qui permettent aux activistes de la mouvance (généralement pacifiques) de s’informer sur l’état des luttes (certaines non pacifiques). Et les sabotages récents en sont un exemple.

Il est donc important de distinguer, dans ce cas comme dans d’autres, les mouvances fluctuantes qui rassemblent des individus et groupes plus ou moins structurés idéologiquement, des noyaux actifs (généralement très peu nombreux) qui passeront à l’acte, éventuellement terroriste.

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Et à cet égard, l’anarchisme insurrectionnaliste est particulièrement intéressant, car il combine la promotion de l’illégalisme (vol comme expropriation, usage de drogues, squats, etc.), avec la priorité donnée à l’action directe. Ce qui, une fois encore, nous renvoie à la situation de la fin du xixe siècle, où des anarchistes idéologiques comme Émile Henry coexistent avec la bande à Bonnot.

Bien entendu, les moyens technologiques (et donc les capacités de nuisance) dont dispose actuellement le gauchisme violent sont sans commune mesure avec ceux du passé. Par exemple, internet est indispensable tant pour coordonner les actions des black blocs (technique de manifestation violente de la mouvance) que pour préparer les actions consistant à en sectionner les câbles de fibre optique.

Pour approfondir le sujet :

  1. Dory, Étudier le terrorisme, VA Éditions, 2024.
  2. Avilés Farré, M. Morán Pallarés, « ¿Ha vuelto Mateo Morral ? El anarquismo insurreccionalista del siglo XXI y sus antecedentes histόricos », Cuadernos de Historia Contemporánea, n° 38, 2016, p. 143-160.

Cahiers de Conflits, n° 8, « Écologie révolutionnaire », octobre 2024.

« Les attaques contre la SNCF avant les Jeux olympiques », entretien avec Daniel Dory, site de Conflits, 4 novembre 2024.

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À propos de l’auteur
Daniel Dory

Daniel Dory

Daniel Dory. Chercheur et consultant en analyse géopolitique du terrorisme. A notamment été Maître de Conférences HDR à l’Université de La Rochelle et vice-ministre à l’aménagement du territoire du gouvernement bolivien. Membre du Comité Scientifique de Conflits.

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