Chine-Europe : le grand tournant. David Baverez

26 août 2021

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Chine-Europe : le grand tournant. David Baverez

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Vivant à Hong Kong depuis 2012, actif dans l’investissement financier et dans l’art chinois contemporain, essayiste et conférencier, David Baverez est un connaisseur de la Chine. Son dernier ouvrage Chine-Europe : le grand tournant défend une idée pour le moins originale : Chine et Europe ont tout à gagner à travailler ensemble, pour affronter victorieusement les défis du XXIe siècle et équilibrer leurs relations avec les États-Unis.

On voit tout de suite que cette thèse est principalement fondée sur la politique de Donald Trump qui avait quasiment tourné le dos au vieux continent. Qu’en est-il aujourd’hui à l’heure où Joe Biden se tourne au contraire vers l’Europe, mais cette fois-ci pour l’enrôler dans sa croisade contre la Chine ? Ni pro ni antichinois, son livre est avant tout une invitation, adressée au lectorat occidental, à combler son déficit de connaissance vis-à-vis de la Chine. L’essayiste a une conviction : le XXIe siècle devrait voir se construire entre la Chine et l’Europe le même pont que celui que le XXe siècle a réussi à ériger entre États-Unis et Europe. Convient-il de le suivre dans cette direction, à l’heure où la Chine est le deuxième pays le moins bien perçu en France, derrière la Corée du Nord, et devant la Russie, 62% des sondés exprimant une opinion négative ou très négative à son égard ?

Pour défendre sa thèse, qui ne manque pas d’audace, car ne le cachons pas, elle s’inscrit contre la tendance actuelle de l’Europe de durcir sa position face à la Chine, en suspendant la ratification de l’accord sur les investissements qu’elle a signé, le 30 décembre avec la Chine. David Baverez imagine une série de dialogues fictifs , très vivants et directs, ce qui leur confère une réelle densité entre le Président Xi Jinping et des Européens venus de pays et de professions différents tels qu’un journaliste français, un industriel allemand, un Lord anglais, une universitaire italienne, ou encore investisseur disruptif suédois. En tirant les conclusions de ces dialogues disruptifs, l’auteur imagine que Xi Jinping s’adresse à ses collègues du Politburo, en leur livrant les conclusions de ses discussions avec ces représentants des élites européennes. Loin de croire que l’Europe représente un continent vieillissant, sur le déclin, peu assuré sur son avenir le leader chinois, est-on étonné trouve qu’elle est pleine de ressources, regorge de talents, de start up. Simplement il lui manque de l’audace, des financements et un vaste marché en expansion. On l’aura compris : la Chine et l’Europe sont complémentaires, plus que rivales ou adversaires. Les mutations technologiques, qui s’accélèrent et qui bouleversent en profondeur l’actualité comme la décennie à venir, doivent rapprocher l’Europe et la Chine, dans l’acceptation des différences, des divergences. La balle est donc dans le camp européen. A-t-elle mieux profité du retour de la Chine sur l’échiquier mondial, entamé lors de la crise financière de 2008, qui l’a peu affecté et qui s’accélère avec la pandémie ? Alors que la quasi-totalité des économies du monde, ne devrait dépasser leur niveau de 2019, qu’en 2022, le PIB chinois lui sera de 10% supérieur. 30% de la croissance mondiale durant les dix prochaines années viendront de la Chine Le lecteur sera abondamment abreuvé de descriptions détaillées de tous les secteurs où la Chine se positionne déjà comme leader, ou aspire à l’être, 5 G (elle compte déjà 100 millions d’abonnés) Intelligence artificielle, trains à grande vitesse (elle investit chaque année 100 milliards de dollars dans ses infrastructures ferroviaires panneaux solaires. (elle possède près de la moitié du marché mondial), s’y ajoute les datas centers, l’Internet des objets industriels, l’ultra -haut voltage, et enfin les batteries pour véhicules électriques. Chaque année son PIB s’accroît de l’équivalent du PIB de la Russie ! Elle compte déjà 1500 centres de R&D de sociétés étrangères sur son territoire. Dix mille start-ups sont créées quotidiennement en Chine. 1700 milliards de dollars de dépenses annuelles d’infrastructures auxquelles vont s’ajouter 400 milliards pour les « nouvelles infrastructures », numériques essentiellement. La moitié des licornes valorisées à plus d’un milliard de $ sont chinoises, ainsi que la moitié des brevets mondiaux liés à la blockchain. 60% de la fibre déroulée et 82% des panneaux solaires produits dans le monde.

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On voit que l’empire du Milieu se positionne plus en « rival systémique « , que comme partenaire stratégique, selon la qualification donnée par l’UE, en avril 2019, bousculant les équilibres mondiaux sur le plan géopolitique, économique et financier.
L’Europe, qui se prétend autonome et entend s’affirmer sur la scène internationale, plaide le leader chinois doit donc étudier de manière objective ce système, reposant sur des principes généralement à l’opposé des siens de manière à en identifier les faiblesses et les forces, quand bien même celles-ci viendraient remettre en cause ses convictions les plus profondes.
Il semble nécessaire de repenser structurellement les fondations de la relation entre Europe et Chine pour construire au XXIe siècle le « Grand Pont en avant ». Bien d’autres questions sont abordées au cours de ces échanges de vues, aussi vifs qu’instructifs. Cependant bien des questions gênantes comme la liberté muselée à Hong Kong, la répression des Ouïgours au Sinkiang, les menaces croissantes sur Taiwan, la main mise sur bien des îlots de la mer de Chine méridionale sont passées sous le tapis. Pékin nie farouchement l’existence de camps de travail forcé, définis comme des « centres de formation professionnelle spécifiques aux musulmans »

La question centrale est de savoir si le vieillissement rapide de la Chine ne va pas l’handicaper durablement. Les pays développés ont généralement atteint le stade du grand âge lorsqu’ils avaient des revenus élevés autour de 30 000 $ par habitant, alors qu’ils ne sont que 10 000 en Chine. Le vieillissement devrait peser sur le système des retraites et affaiblir la demande immobilière dans les villes secondaires. Le décrochage démographique vis-à-vis de l’Inde ne sera pas sans conséquences. De même le fort contrôle social exercé par le pouvoir n’est-il pas de nature à freiner le potentiel de croissance ? En tout cas, David Baverez présente une approche unique, non pas celle d’un sinologue, politologue ou sociologue confirmée, tournant son regard vers le passé, mais celle d’un investisseur occidental vivant quotidiennement en Chine et habitué à défricher les disruptions à venir.

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En reconnaissant la Chine populaire en janvier 1963 le général de Gaulle a agi en pionnier. L’Europe, dont la Chine est devenue le premier partenaire commercial au trimestre 2020, sera-t-elle à la hauteur du défi chinois qui se présente à elle et peut-elle dissocier son intérêt économique et technologique de la défense de ses valeurs ? Après tout, est-ce un hasard si Huawei vient d’implanter son premier centre de recherche en France ? Encore faudrait-il que la Chine fasse bien des efforts en s’ouvrant à une enquête sur les origines du Covid–19 et en réduisant les aides qu’elle accorde à ses entreprises publiques, qui agissent librement sur les marchés européens, qu’elle ouvre davantage ses secteurs dans les services, la santé, les énergies renouvelables…

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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