Raffarin, un paradoxe chinois

21 janvier 2020

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Photo : Le lion au cœur de la Cité interdite, gardien de l'Empire du Milieu, (c) Pixabay.
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Raffarin, un paradoxe chinois

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Pays arriéré, faible et humilié il y a seulement un siècle, la Chine est en passe de devenir, grâce à une croissance spectaculaire, la première économie mondiale à l’horizon 2030-2040 selon diverses études et analyses. Elle est le plus important partenaire commercial de nombreux pays et son ascension fulgurante a des répercussions économiques, industrielles, financières, culturelles, politiques sur l’ensemble de la planète.

Lorsque la Chine s’est ouverte au monde, elle n’a pas été prise au sérieux. Seulement vue comme l’atelier du monde, doublé d’un immense marché, elle n’a jamais été perçue comme un concurrent potentiellement dangereux ni comme un partenaire stratégique. Mais c’était sans compter ses ambitions initiées par Mao Tse Tung, qui souhaitait rattraper le retard abyssal du pays, prolongées par Deng Xiao Ping, qui permit à la Chine de sortir de son isolement, maintenant poursuivies par Xi Jinping dans le cadre des nouvelles routes de la soie et à travers des investissements massifs ayant pour but de faciliter un entrisme en Europe qui permettra à l’économie chinoise d’accaparer la production afin de maximiser ses profits en utilisant son immense marché comme débouché commercial. Les acquisitions du port du Pirée, de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, de diverses terres arables ou viticoles en sont un exemple flagrant. Ce qui a pour conséquence un déficit commercial gigantesque en défaveur de l’Europe et les excédents commerciaux d’une Chine qui s’est fixé pour objectif d’être, dès 2050, une puissance économique, scientifique et technologique de premier rang comme l’a annoncé son président lors du discours d’ouverture du XIXe congrès du parti communiste en 2017.

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Jean-Pierre Raffarin découvre la Chine

Jean-Pierre Raffarin a découvert la Chine à partir des années 1970, d’abord à travers Hong-Kong et Macao. Il s’y est rendu à de très nombreuses reprises, développant des relations privilégiées. Il souligne le risque, dans son dernier ouvrage, Chine, le grand paradoxe, pour la « civilisation européenne » de se retrouver « menacée d’écrasement par les deux bulldozers du XXIe siècle » et la nécessité pour elle de trouver sa place dans ce nouvel équilibre mondial en utilisant la Chine comme levier d’une nouvelle ambition. Il suggère même que l’Europe ait pour rôle d’influencer la Chine, de lui permettre d’aller dans la « bonne direction », notamment en matière de droits de l’homme. L’Europe devrait coopérer, accompagner le développement de la Chine et accepter une part de sinisation comme elle a accepté une part d’américanisation depuis 1945.

Pourtant, l’ancien Premier ministre qui affirme que « la Chine pense que l’Europe est faible » voit son analyse se heurter à certaines limites : protectionnisme exacerbé de la Chine d’une part, intérêts divergents des pays européens, empêchant une riposte robuste et efficace d’autre part. L’Allemagne dont le commerce avec la Chine est excédentaire n’a naturellement pas la même propension à la fermeté vis-à-vis de la Chine. Les pays européens risquent d’être « le dindon de la farce » face aux deux « bulldozers » protectionnistes du fait du dogme libéral de la Commission européenne. Nous en avons d’ailleurs vu un exemple significatif récemment avec Alstom passant sous contrôle de General Electric.

On pourrait se demander en quoi le développement de la Chine, permis par les investissements occidentaux, a profité aux Européens. Désindustrialisation et pertes d’emplois en échange de produits bas de gamme bon marché. La Chine a joué son jeu d’État stratège et a tiré avantage de ces échanges. Les profits des grandes entreprises européennes justifient-ils en revanche l’hypothèque de l’avenir technologique du continent mis en danger par les transferts de technologie ? On est en droit se poser des questions sur le bien-fondé des positions d’un si « vieil ami » de la Chine comme les Chinois aiment le rappeler qui n’a peut-être pas su discerner, comme tant d’autres, que derrière la Chine millénaire et souriante avait surgi une Chine moderne aux ambitions démesurées, qui n’accepterait plus, dans le souvenir des humiliations du passé, de n’être que l’usine et le débouché commercial des Occidentaux.

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Comment régler les divergences d’intérêt ?

À la lecture des analyses de M. Raffarin, on arrive fatalement à un problème essentiel pour lequel n’est proposée aucune solution pratique : Les divergences des intérêts des États européens, le dogme du libre-échange de la Commission européenne et son refus d’une politique industrielle qui empêche l’émergence de champions telle que la Chine a su produire en si peu de temps. Le gigantisme des rivaux chinois des GAFA contraste de manière édifiante avec l’inexistence de tels rivaux en Europe. Dans son rôle d’état stratège, la Chine a joué de ses atouts et a su créer des géants. Ce que L’Europe n’a plus fait depuis Airbus et Ariane. Elle ambitionne maintenant de vendre des produits industriels et de haute technologie en Europe. Ce qui est facilité par la désindustrialisation du continent. On en arrive à se demander si les préconisations du Premier ministre du Président Chirac ne seraient pas de nature à affaiblir davantage l’Europe qui jouit pourtant du statut de principal partenaire commercial de la Chine dont nous avons déjà noté l’ambition de ne pas être dans une relation de dépendance.

Le libre-échange avec la Chine est défavorable aux pays de l’UE et ses principes se voient de plus en plus rejetés par les citoyens du Vieux-Continent au-delà même du seul impact économique. L’approche du Président des États-Unis, qui impose un rapport de force plus contraignant à la Chine en refusant par ailleurs le multilatéralisme, est une solution qui ne semble pas plus mauvaise que celle « de nourrir le crocodile en espérant être dévoré en dernier » comme semble soutenir M. Raffarin. La politique de Donald Trump produit des résultats bénéfiques pour les États-Unis, ne serait-ce qu’à court terme selon ses détracteurs les moins virulents. Les propositions de M. Raffarin semblent être une invitation à envisager l’avenir d’autre manière que par une inféodation volontaire à la Chine, alors qu’il rappelle lui-même volontiers nos divergences de fond avec l’Empire du milieu, qui remet en question l’universalité des Droits de l’homme, le système libéral, la démocratie et que le Président Xi Jinping insiste sur la prévalence du socialisme à caractéristiques chinoises. Il y a fort à parier que les recommandations de Jean-Pierre Raffarin se heurteront aux réticences grandissantes des nations.

Son mantra « l’Europe doit coopérer, accompagner le développement de la Chine et se préparer à accepter une part de sinisation comme elle a accepté une part d’américanisation après 1945 » est à considérer en regard de l’avertissement prémonitoire de Winston Churchill, à la veille de la Seconde Guerre mondiale « vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la guerre ».

Considérant la puissance de la Chine, nous aurions intérêt à choisir nos alliés avec soin.

À propos de l’auteur
Douglas McKillop

Douglas McKillop

Étudiant en sciences politiques.
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