Dans le sud de la Hongrie, les populations s’organisent face à l’immigration clandestine

30 juin 2023

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Migrants à la frontière de la Hongrie (c) Pierre-Yves Baillet

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Dans le sud de la Hongrie, les populations s’organisent face à l’immigration clandestine

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Les riverains de la frontière serbe se sentent pratiquement abandonnés par l’État central. Alors que le nombre de passages illégaux est en hausse depuis l’année dernière, les autorités hongroises n’allouent pas de moyens supplémentaires pour y faire face. Les habitants se plaignent d’avoir une police en sous-effectif et en manque d’équipements ainsi qu’un gouvernement qui refuse de dédommager les dégâts causés par les migrants tout en pointant du doigt les défaillances serbes. 

Dans le sud du pays, à la frontière serbe, les populations hongroises s’organisent pour lutter contre l’immigration clandestine. Plusieurs communes ont créé des associations locales de Gardes civils [Polgaror]. Ces auxiliaires viennent en soutien d’une police jugée, par des élus et la population, en sous-effectif et mal équipée. Composées de volontaires, ces unités se considèrent comme une force de sécurité communautaire et évoluent principalement dans les zones rurales et les petites communes. Leur mission est de patrouiller le long de la frontière près de leur localité, d’intercepter les migrants et de prévenir la police, seule habilité à les arrêter, à les interroger et à les transférer hors du pays, vers la Serbie. 

Le rôle des Polgaror

Les Polgaror ne sont pas des forces de police officielles et ne possèdent pas les mêmes droits, notamment dans l’utilisation de la force. Ils agissent sous la supervision et la coordination de la police et sont considérés comme des auxiliaires. En tant que bénévoles et issus d’associations locales, ces gardes civils ne reçoivent pas de salaire ou de soutien financier de l’État hongrois. Ils sont soutenus par des dons offerts par les mairies locales et les particuliers. À la fin de l’année 2022, le gouvernement a suspendu les opérations de l’armée hongroise sur la frontière serbe. Les forces armées ont été remplacées par une nouvelle unité de police spécialement créée pour lutter contre l’immigration clandestine, les « border hunters ». Leur principale mission consiste à détecter, appréhender et dissuader les passeurs et les migrants de franchir la frontière. 

(c) Pierre-Yves Baillet

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Selon le gouvernement, à la fin de l’année 2022, plus de mille cinq cents personnes avaient postulé pour rejoindre ce régiment. Aujourd’hui, son effectif s’élèverait à plusieurs milliers d’hommes et de femmes. Cependant, malgré la sympathie des populations locales envers les forces de police et la mobilisation de volontaires, les habitants considèrent qu’elles sont en sous-effectifs face aux dizaines de milliers de clandestins. Le chef de la police municipale de Szeged annonce avoir interpellé plus de 51 000 personnes depuis le début de l’année1. Des chiffres contestés par certains locaux, dont Tibor Papp, maraîcher près du village du Ruzsa : « Selon les agents en patrouille dont j’ai fait la connaissance, il s’agirait en réalité de trois ou quatre mille migrants qui passeraient chaque jour la frontière et la police en arrêteraient en moyenne entre huit-cents et neuf-cents par jour. 2» Au-delà des risques sécuritaires engendrés par la violente compétition que se livrent les différentes filières de passeurs, l’immigration clandestine bouleverse l’économie locale. 

Une économie locale bouleversée

En effet, les passages d’un nombre important de migrants ont un impact non négligeable sur l’économie locale. Les cultures, vivrières ou arboricoles, sont piétinées par des migrants qui recherchent le chemin le plus direct pour rejoindre les passeurs qui doivent les emmener en Europe. Les personnes qui traversent illégalement la frontière trouvent leur nourriture et leur eau sur le chemin. Ils ramassent fruits et légumes dans les serres et les plantations, endommagent les systèmes d’irrigation pour pouvoir s’abreuver, surtout durant l’été en période de forte chaleur. 

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Certains cultivateurs ont dû changer leur type de production pour protéger leur gagne-pain. Ils ont par exemple abandonné la culture du melon, consommable une fois mure, pour se tourner vers la pomme de terre qui est immangeable crue. Mais ces tactiques ne peuvent pas les protéger complètement. Selon Papp Renáta, maire de la petite ville d’Ásotthalom, depuis mai 2022, les passages des clandestins auraient engendré plus de 271 000 euros de dégâts pour cette seule localité. Les agriculteurs locaux ont, à leurs frais, installé des clôtures, des caméras et des détecteurs de mouvements pour tenter de protéger leurs récoltes. Malgré plusieurs requêtes auprès des ministères de l’Agriculture et de l’Intérieur, le gouvernement hongrois refuse de rembourser les dégâts. Une position dénoncée par les populations locales, frustrées par les choix de leur gouvernement. Les agriculteurs interrogés soulignent ne pas avoir d’animosité envers les migrants eux-mêmes. Ils pointent du doigt le danger que représentent les passeurs qui n’hésitent pas à s’en prendre violemment aux locaux comme aux migrants. Ainsi, ils accusent aussi la Serbie d’instrumentaliser la question migratoire à l’instar du Président turc Recep Tayyip Erdoğan. 

(c) Pierre-Yves Baillet

Instrumentalisation serbe ? 

La Serbie est l’un de principaux points d’accès vers l’Europe. Certains migrants, comme les Afghans et les Syriens, doivent traverser la Turquie et franchir la mer Égée pour y parvenir. D’autres nationalités ont l’avantage de pouvoir y séjourner sans visa et s’y rendent par avion. Une situation décriée par les habitants vivant le long de ses frontières comme les Hongrois. Cependant, pour le chercheur Árpád Párducz, spécialiste des questions migratoires dans les Balkans au centre de recherche Migraciokutato Intézet de Budapest, la Serbie n’utilise pas les migrants comme levier politique. Il explique que : « La Serbie a hérité d’un grand nombre d’accords d’exemption de visa de la Yougoslavie, mais ne les remet pas en cause. En réponse à des pressions de l’Union européenne, la Serbie a accepté de modifier sa politique en matière de visas d’ici la fin de l’année, mais pour le moment il n’y a pas de changements3 ». Árpád Párducz précise que selon lui, les défaillances serbes ne sont pas une stratégie d’influence, mais qu’elles sont le résultat à la fois d’un manque de moyens et de la corruption de certains officiels et de membres des forces de sécurité. Cela révèle la complexité des problèmes liés à l’immigration clandestine. Les populations qui en sont victime restent dépendantes de solutions régionales qui nécessitent la participation de tous les pays situés sur la route des Balkans.

1 Entretiens réalisés en juin 2023.

2 Ibid. 

3 Ibid. 

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Migrants à la frontière de la Hongrie (c) Pierre-Yves Baillet

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À propos de l’auteur
Pierre-Yves Baillet

Pierre-Yves Baillet

Journaliste indépendant spécialisé sur la géopolitique du Moyen-Orient.

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