Donald Trump et le Pakistan : un double jeu ambivalent

16 août 2025

Temps de lecture : 8 minutes

Photo :

Abonnement Conflits

Donald Trump et le Pakistan : un double jeu ambivalent

par

Rapprochement entre l’administration Trump et le Pakistan. Intérêts communs pour le commerce et l’exploitation des matières premières, mais aussi volonté de disposer d’un soutien contre l’Iran et la Chine.

En bref

Rapprochement surprise à l’été 2025 entre l’administration Trump et le Pakistan, relation pourtant réputée chaotique. Islamabad flatte ouvertement Washington, allant jusqu’à proposer Trump au Nobel de la paix pour sa « médiation » lors d’une brève flambée indo-pakistanaise au Cachemire, tandis que la Maison-Blanche met en avant son rôle et promet des « échanges commerciaux ».

Un accord suit : baisse de tarifs à 19 % et promesses d’investissements américains (énergie, mines, tech, crypto), Trump évoquant même l’exploitation conjointe d’« immenses réserves pétrolières ». Le chef d’état-major pakistanais Asim Munir enchaîne les visites aux États-Unis, tout en tenant une rhétorique anti-indienne.

Cette séquence est à replacer dans l’historique en dents de scie de Trump vis-à-vis d’Islamabad (tweets hostiles en 2012 et 2018, compliments dithyrambiques en 2016, coopération avec Imran Khan en 2019). Le but ? Obtenir un appui régional face aux tensions Israël-Iran et réduire la dépendance américaine à la Chine pour les minerais critiques, le Baloutchistan suscitant l’intérêt. Mais il y a une volatilité structurelle des rapports États-Unis/Pakistan, gouvernés par des calculs de court terme.

Olivier Guillard, auteur de L’inquiétante République islamique du Pakistan (L’Harmattan, Paris, 2021).

Ces dernières semaines, dans le sous-continent indien et au-delà, nombre d’observateurs ont été pris de court par la soudaine inclination du 45e président des États-Unis – verbalisée par l’intéressé et son administration à diverses reprises – pour la volatile République islamique du Pakistan. Un turbulent membre du concert des nations pourtant plus volontiers voué aux gémonies que portée aux nues par l’actuel locataire de la Maison-Blanche. Dans l’historique mouvementé – sans constance particulière ni estime sincère réciproque – des relations Washington – Islamabad du demi-siècle écoulé, en fonction des personnalités aux commandes de ces deux nations, de leur agenda stratégique et des circonstances domestiques ou extérieures jalonnant leur mandat, l’alternance des hauts suivis de (nombreux) bas a fait office de jurisprudence constante…

À lire aussi : Afghanistan et Pakistan : un mariage forcé ?  

Aussi, la stupéfaction née de cet impromptu rapprochement estival 2025 que peu de choses laissaient entrevoir quelques semaines plus tôt invite à s’interroger sur ses origines et motivations ; car à Washington, D.C., du côté du 1600, Pennsylvania Avenue NW[1], sous la mandature quadriennale entamée en début d’année, motivations (et intérêts concrets) il y a forcément.

  1. Trump – Islamabad : ‘je t’aime moi non plus’ (hormis quand se présentent quelques dividendes…)

De l’ego, de l’usage de la flatterie ; et de ses bénéfices. Fin juin, du côté de la capitale administrative pakistanaise, le ton à l’endroit des autorités américaines était à la flagornerie déplacée (sinon grossière) ; mais peu importe. Beaucoup était alors en jeu. Quelques jours à peine après la très intrigante réception du chef des armées pakistanaises (et aspirant quasi-déclaré à la présidence) le 19 juin à la Maison-Blanche (et à son déjeuner privé avec le président Trump[2]), le vice-1er ministre I. Dar déclarait au nom du gouvernement Sharif sa flamme au chef de l’exécutif américain ; le ‘’pays des purs’’ se remet tout juste d’un bref conflit avec l’Inde au Cachemire (7-10 mai). Peu importe là encore : le ministre annonce que le Pakistan présentera le président D. Trump au prix Nobel de la paix 2025[3], pour sa médiation déterminante menant à la fin des hostilités (selon Islamabad). Une ‘implication’ que l’intéressé ne passa guère sous silence, ayant déclaré à diverses reprises avoir ‘’contribué à apaiser’’ les tensions indo-pakistanaises, et avoir fait miroité à Islamabad comme à New Delhi ‘’de nombreux échanges commerciaux avec eux s’ils mettaient fin au conflit’’[4]. Une médiation on ne peut plus noble et désintéressée, digne du Nobel de la paix…

Droits de douanes et autres gestes ‘magnanimes’ de l’administration Trump 2.0

Avant la redoutée date limite du 1er août, Islamabad et l’administration Trump 2.0 ont conclu un accord ramenant le taux tarifaire du Pakistan à 19 %[5] (initialement, il était question de droits de douane de 29 %) et laissant entrevoir la perspective insolite d’investissements américains dans ce pays en développement à l’environnement des affaires complexe[6]. Pour le ministre pakistanais des Finances, jubilant sans se cacher, ‘’Cet accord marque le début d’une nouvelle ère de collaboration économique, en particulier dans les domaines de l’énergie, des mines et des minéraux, des technologies de l’information, des cryptomonnaies et d’autres secteurs’’[7]. Et le successeur du président J. Biden de se montrer sur les réseaux sociaux plus dithyrambique encore : ‘’Nous venons de conclure un accord avec le Pakistan, aux termes duquel le Pakistan et les États-Unis travailleront ensemble à l’exploitation de leurs immenses réserves pétrolières[8]. Nous sommes actuellement en train de sélectionner la compagnie pétrolière qui dirigera ce partenariat’’. On peine alors à croire que le magnat new-yorkais de l’immobilier évoque le pays où, un jour de mai 2011, un commando d’élite de SEALS américains neutralisait définitivement à Abbottabad (à quelques encablures de la principale académie militaire pakistanaise) le fondateur de la nébuleuse terroriste Al-Qaida.

Le chef des armées pakistanaises déjà Frequent Flyer vers l’Amérique Trumpienne ? Une dizaine de jours plus tard (le 10 août) – deux mois après son précédent séjour washingtonien -, l’ambitieux Field Marshall A. Munir était déjà de retour sur le sol américain pour divers entretiens avec des responsables politiques et militaires US. Mais également haranguer la diaspora pakistanaise, se permettant l’audace d’une énième rhétorique anti-indienne (cf. ‘’le Cachemire est la veine jugulaire du Pakistan’’[9]) depuis Tampa (Floride)[10].

Un historique à charge… à garder à l’esprit

À la lumière des éléments esquissés ci-dessus, il peut être intéressant d’exhumer ci-après quelques chapitres passés de la tumultueuse relation Trump-Pakistan, en sélectionnant certains jalons marquants. Janvier 2012 ; sur Twitter, l’ancien animateur / producteur de télévision assène un imparable : ‘’Que cela soit clair : le Pakistan n’est pas notre ami. Nous leur avons donné des milliards et des milliards de dollars, et qu’avons-nous eu en retour ? Trahison, manque de respect – et pis encore. #ilfautêtreferme’’.

Quatre ans plus tard (décembre 2016), plus trace de cette fermeté si rudement martelée. D. Trump vient de remporter l’élection présidentielle ; au 1er ministre pakistanais Nawaz Sharif,[11] qui le félicite pour ce succès, l’alors 45e président des États-Unis répond : ‘’Vous êtes un type super. Vous faites un travail extraordinaire, qui se voit partout. Je suis impatient de vous rencontrer bientôt. En vous parlant, M. le Premier ministre, j’ai l’impression de parler à une personne que je connais depuis longtemps (…). Votre pays est extraordinaire, avec des opportunités énormes. Les Pakistanais sont l’un des peuples les plus intelligents qui soient’’[12]. L’incroyable déclaration d’amour que voilà.

À lire aussi : Affrontement entre l’Inde et le Pakistan

Mais elle ne résiste pas au temps qui passe ni aux humeurs changeantes du propriétaire de casinos, d’hôtels de luxe et de terrains de golf ; changement radical d’ambiance le 1er janvier 2018 quand, dans un tweet, il accuse Islamabad de “mensonges” et de “duplicité” dans la lutte anti-terroriste, “d’abriter” les terroristes contre qui les États-Unis luttent en Afghanistan, ce, alors même que l’Amérique a versé “33 milliards de dollars d’aide au Pakistan” ces quinze dernières années. “Cela suffit !”[13] tonne-t-il dans son registre mesuré coutumier.

À l’été 2018, Imran Khan, l’ancienne gloire nationale du cricket et flamboyant jet-setter, fondateur du Mouvement du Pakistan pour la justice (Pakistan Tehreek-e-Insaf ; PTI[14]), devient 1er ministre. À Washington, le président Trump souhaite ardemment rapatrier les forces US déployées depuis 2001 en Afghanistan[15] ; pour ce faire, il sollicite l’entremise d’Imran Khan (et ipso facto de la très influente Pakistan Army et de l’ISI[16]) pour négocier (ce qui peut l’être…) avec l’insurrection radicale talibane afghane. I. Khan est récompensé pour ses bons offices par une visite à Washington en juillet 2019 et des éloges publics appuyés ; le tout agrémenté de quelques saillies plus ou moins inspirées, tel que “Le Pakistan ne ment jamais, mais l’Iran, oui’’.[17] Si la sentence définitive émane du 47e locataire de la Maison-Blanche …

Rapprochement et autres petits arrangements entre ‘’amis’’

Les observateurs du ‘’patient pakistanais’’ relèvent qu’un jour à peine après avoir suggéré que le Nobel de la paix soit attribué au natif de New York, Islamabad condamnait les frappes aériennes américaines contre des sites nucléaires Iraniens (qualifiées de ‘violation’ du droit international’), et mettait en garde contre une escalade susceptible ‘’de conséquences très néfastes pour la région’’[18]. L’étonnante séquence contraire que voilà.

À l’instar d’un éditorialiste du Japan Times[19], nombreux sont celles et ceux considérant que le traitement de faveur actuel de l’administration Trump envers Islamabad – et plus spécialement de son homme fort du moment, le Field Marshall A. Munir – se comprend dans la logique court-termiste trumpienne visant à s’assurer (dans la mesure du possible) un certain soutien régional dans le contexte des tensions Israël-Iran (où les États-Unis soutiennent le parti de Tel-Aviv[20]).

Parmi diverses autres pistes pouvant partiellement expliquer l’étrange hype pakistanaise de l’administration Trump 2.0, d’aucuns évoquent sa volonté de réduire la dépendance de la 1ère économie mondiale de sa rivale chinoise pour l’accès aux critical minerals (lithium, nickel, cobalt, manganèse, graphite), contrôlé en grande partie par celle-ci. Or, il se dit qu’au Pakistan, la province du Baloutchistan (malmenée par l’action violente de divers groupes séparatistes insurgés) et son important potentiel minéral (cf. mines de cuivre et d’or de Reko Diq), susciterait les convoitises de diverses entreprises américaines du secteur[21].

Passerelles et traits communs

À y regarder de plus près, froidement, à Washington comme à Islamabad, une poignée de traits communs aux hommes de pouvoir (actuels) façonnent quelques passerelles pakistano-américaines en d’autres temps plus incertaines : inclination autoritariste assumée[22], mépris affiché pour l’opinion publique et plus encore pour l’opposition (le parti démocrate dans la 1ère, le PTI d’Imran Khan dans la 2e), instrumentalisation des moyens de l’État à des fins politiques (déploiement à répétition de la garde nationale[23] dans l’une, création mi-juillet d’une force paramilitaire nationale dans l’autre[24]), politique afghane sujette à caution[25], contestation systématique des résultats électoraux quand jugés défavorables, etc. Non exhaustive, la liste est déjà longue, suffisamment pour interpeller l’observateur ; insuffisante toutefois pour faire vaciller ces édifices tournant délibérément le dos à l’intérêt général et à la règle démocratique. En parfaite impunité.

À lire aussi : La guerre de l’ombre : comment l’attaque terroriste de Pahalgam a redéfini l’équation Inde-Chine-Pakistan

Sur la chaîne montagneuse de l’Hindu Kush[26] comme sur littoral de la mer d’Arabie (région de Karachi), la météo est rapidement changeante et les vents souvent contraires du soir au matin, imposant une lecture court-termiste de l’environnement local. Une configuration qui n’est pas sans rappeler l’extrême volatilité des rapports États-Unis / Pakistan, plus souvent que de coutume confrontés aux tempêtes diplomatiques et autres coups de froid inopinés ; auxquels il s’agit désormais d’inclure l’humeur instable et changeante, sinon orageuse et imprédictible, des plus hautes autorités américaines.

[1] L’adresse de la Maison Blanche, résidence et bureau de la présidence US depuis 1800.

[2] ‘’Trump embraces Pakistan: ‘Tactical romance’ or a new ‘inner circle’?’’ s’interroge la presse internationale (cf. Al Jazeera, 19 juin 2025).

[3] South China Morning Post, 24 juin 2025.

[4] Times of India, 8 août 2025.

[5] Quand dans le même temps Washington réservait un régime infiniment plus lourd à l’Inde, aux 25 % initialement ‘discutés’ s’ajoutant 25 % supplémentaires !

[6] Dans son édition Ease of Doing Business 2023, la Banque mondiale place le Pakistan au 108e rang des 190 pays étudiés. En 2025, dans son Corruption Perception Index, Transparency International positionne le Pakistan à la 135e place (sur 180 Etats).

[7] Reuters, 31 juillet 2025.

[8] Le World Factbook de la CIA place les réserves pétrolières pakistanaises à un modeste 51e rang mondial.

[9] The Indian Express, 11 août 2025.

[10] Dawn (Pakistan), 10 août, 2025.

[11] Le frère ainé de l’actuel 1er ministre pakistanais Shebhaz Sharif.

[12] Le Point, 1er décembre 2016.

[13] Courrier International, 2 janvier 2018.

[14] Vainqueur haut la main du scrutin parlementaire de juillet 2018. Principal parti d’opposition à l’été 2025.

[15]  Briguant un 2e mandat, lors de la campagne électorale de 2020, il promet une fois réélu aux électeurs de rapatrier d’Afghanistan les soldats US déployés dans ce cimetière des empires.

[16] Inter-Services Intelligence (ISI), les services de renseignements pakistanais aux mains des militaires.

[17] ‘’Trump claims progress in Afghanistan peace talks, says Pakistan is now helping because of him’’, The Washington Post, 22 juillet 2019.

[18] South China Morning Post, 24 juin 2025.

[19] Dans son édition du 19 juin 2025.

[20] New Delhi défend jusqu’alors une position neutre dans le conflit entre Téhéran et Tel Aviv.

[21] The Financial Express, 31 juillet 2025.

[22] ‘Apprécié’ par D. Trump, le Field Marshall Munir a des vues (à très court terme) sur la présidence de la République islamique.

[23] La United States National Guard.

[24] Dénoncée dès sa création par l’opposition, les défenseurs des droits de l’homme, redoutant (à bon droit sans doute) que cette force ne serve d’outil de répression politique.

[25] Rapatriement forcé de centaines de milliers de réfugiés afghans depuis le début de l’année ; affrontements frontaliers récurrents (30 morts début août 2025) ; critique permanente d’Islamabad du gouvernement taliban ; ingérence diverses ; etc.

[26] Prolongement occidental (au Pakistan et en Afghanistan) de la chaîne de l’Himalaya.

Mots-clefs : ,

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !
À propos de l’auteur
Olivier Guillard

Olivier Guillard

Voir aussi

Coup de semonce à l’Europe

La puissance européenne est combattue par la Chine et les Etats-Unis. Pour les Européens, il y a urgence à retrouver le sens du combat politique.  Article paru dans le N57 : Ukraine Le monde d'après Certains discours restent dans l’histoire par leur force immédiate et leur portée à...

Au Cachemire se joue la paix en Asie. Entretien avec Ashok Behuria

Le conflit au Cachemire entre l’Inde et le Pakistan menace la paix sur le continent indien. Avec la Chine en ligne de mire et des déflagrations possibles pour toute la région. Entretien exclusif avec le Dr Ashok Behuria Dr Ashok K. Behuria est membre et coordinateur du Centre pour...