<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les petites puissances. Être et durer

13 mars 2020

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Photo : Exister dans la mondialisation : un défi pour bien des Etats, (c) Unsplash.
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Les petites puissances. Être et durer

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En un demi-siècle, le nombre d’États recensés sur la planète a explosé. De 51 invités à la conférence de San Francisco, l’Organisation des Nations unies est passée à 193 membres. Nombre de ces États cumulent faible population et envergure réduite. Mais les aléas de l’histoire, la menace  de disparaître ou d’être absorbés les ont dotés d’une forte résilience identitaire et d’une conscience aiguë de leurs intérêts.

À l’heure de la mondialisation triomphante, de la dilution des frontières, de la promotion de grandes organisations supranationales, le paradoxe veut que les petits États prolifèrent. À l’échelle de la planète, la superficie moyenne d’un État est de 700 000 km². Un petit pays a moins de 50 000 km². Encore faut-il distinguer les micro-États, de taille très réduite et souvent de création récente, et les petites puissances dotées d’une véritable identité, même si leur population peine à atteindre la barre des 10 millions d’habitants. Beaucoup sont des créations anciennes, d’autres sont plus récents : les pays baltes ont accédé à l’indépendance en 1991, le Monténégro en 2006 – il est vrai qu’il existait un royaume du Monténégro au xixe siècle et que les pays baltes tirent leur origine de l’ordre Teutonique.

Leur existence a souvent été menacée, ils savent donc que les nations, comme toute chose, sont mortelles. Comment survivre au milieu des puissants ?

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Recherche protecteur(s)

La première stratégie des petites puissances est la recherche d’un protecteur, de préférence lointain, contre les menaces proches. Ainsi le Qatar s’est-il placé au xixe siècle sous la protection du Royaume-Uni pour échapper aux menaces venues du Bahreïn et de l’Empire ottoman, puis après 1945 sous celle des États-Unis. Face à l’Autriche-Hongrie, la Serbie s’est tournée vers la France et la Russie avant la Première Guerre mondiale.

La Slovénie présente une variante de cette stratégie. Ce petit pays de deux millions d’habitants n’a jamais connu d’État avant 1991. Les Slovènes ont souvent perçu les édifices supranationaux (l’Empire austro-hongrois, la Yougoslavie) comme les seuls moyens de garantir, au sein d’un ensemble plus ou moins lâche, la subsistance d’une nation qui n’aurait pas eu les moyens de s’imposer face aux convoitises italiennes ou germaniques. L’entrée de Ljubljana dans l’Union européenne (2004) concomitante à celle dans l’Alliance atlantique obéit aux mêmes raisons. Le slogan en faveur de la double adhésion résume ces préoccupations : « Être chez nous en Europe et en sécurité dans l’OTAN ».

Les petites puissances peuvent aussi jouer de la rivalité des grandes puissances pour conserver leur indépendance. Leur faiblesse relative les confine à un rôle d’enjeu pour les plus forts ; mais aucun d’entre eux ne tient à ce qu’un autre mette la main sur elles. Il s’agit alors pour les diplomates de la petite puissance d’équilibrer l’une par l’autre, quitte à constituer une « zone tampon » entre plusieurs forces. Tel a été le cas de l’Afghanistan entre Russes et Anglais. Il est vrai que les Afghans avaient démontré qu’ils n’étaient pas une proie si facile à contrôler.

 

Le droit : l’arme du faible

Le droit est souvent la première et la dernière ligne de défense des petites puissances dépourvues de moyens militaires conséquents. Confrontés à de grands prédateurs, ces pays sont obsédés par la peur de disparaître. Le droit à exister rejoint le droit international. C’est un égalisateur de puissance. Il préserve le faible et réfrène le puissant.

L’adhésion à l’ONU est une consécration et la meilleure garantie de leur pérennité. Aux Nations unies, les petites puissances jouissent des mêmes droits que les autres : « un siège, une voix ». La Charte des Nations unies repose sur la souveraineté des États. L’article 4 stipule que « les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance de tout État ».

La géopolitique des petits États est une géopolitique de la survie : subsister, puis se frayer une place dans l’ordre international, tel semble être leur mot d’ordre. Ainsi, la reconnaissance de l’indépendance de la Croatie, un an après son indépendance (juin 1991), sanctuarise définitivement le nouvel État. Dans l’intervalle, il est significatif que les sept premiers pays à avoir reconnu Zagreb soient la Slovénie, la Lituanie, l’Islande, l’Estonie, le Vatican, Saint-Marin, qui vivent à leur échelle les mêmes angoisses que la République dalmate.

Ce lien étroit avec le droit international permet aux petites puissances de jouir généralement d’une bonne image, la sympathie de l’opinion allant aux faibles menacés par les forts. Le soft power constitue ainsi l’une de leurs armes les plus efficaces.

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La dissuasion du faible au fort

Le « nombre » et les « ressources naturelles » sont les deux extrémités de la chaîne de la puissance. Constitués dans des espaces réduits et avec des moyens erratiques, les petits États ont du mal à assumer les charges afférentes à leur statut. Cette relation entre l’espace et le nombre est toutefois ambivalente. En effet, ces États  savent faire preuve d’ingéniosité pour se dégager des contraintes naturelles.

Ils peuvent démontrer aux grandes puissances la vacuité de leur prétention. Les soumettre coûterait trop cher. La Suisse est un cas d’école. Prisonnière de sa situation géographique, Berne essuie au xxe siècle le ressac du jeu entre ses voisins. Le choix de la neutralité a un double avantage : il atténue les tensions entre cantons et empêche l’implosion de la Confédération, par ailleurs il sanctuarise le territoire. En raison de l’exiguïté du pays, les Suisses misent sur la profondeur verticale. Elle repose sur une idée simple : l’abandon des grandes plaines pour le repli sur les premiers contreforts.  Un « réduit national »  échelonné en profondeur verrouille le massif alpin. Il signifie aux agresseurs potentiels que la Confédération helvétique a l’intention de se battre sans esprit de recul. En outre, il aveugle les axes nord-sud (Saint-Gothard) qui font la valeur stratégique de la Suisse.

Voilà donc un étrange mélange de force et de faiblesse. De faiblesse puisque le petit pays, par définition, n’apportera que des ressources limitées à la grande puissance ; de force quand ce pays a su démontrer une capacité de résistance qu’il serait difficile de briser. La logique n’est pas très différente de celle de la dissuasion nucléaire  de la France.

 

Exister, c’est aussi influer sur le cours des choses

Toutes ces stratégies ne valent que si les petits États pèsent, même modestement, dans le jeu des puissances, que ce soit pas leur pouvoir de nuisance ou par leurs atouts propres : maintenir une force armée conséquente comme la Suisse ou développer leur économie sur des niches, s’insérer dans de vastes projets qui donnent un sens à leur politique extérieure. Ainsi, la Bulgarie, au carrefour de l’Asie et de l’Europe, joue la partition de la « nouvelle route de la soie ». Elle s’appuie sur un impressionnant réseau diplomatique. En comparaison avec la France huit fois plus peuplée, la Bulgarie (7 millions d’habitants) compte 135 délégations extérieures contre 162 pour la France  [simple_tooltip content=’Michel Blanzat, « La Bulgarie, le droit à l’oubli ? », in http://www.b-i-infos.com/’](1)[/simple_tooltip].

Leur atout le plus important est sans doute interne : un très fort sentiment identitaire, la perception des menaces extérieures, la volonté d’échapper à un destin qui semble écrit d’avance dans les ambitions expansionnistes des plus grands.

En définitive, c’est le refus du déterminisme qui définit le mieux l’essence du petit État. « Le milieu géographique ne contraint pas les hommes sans rémission, écrivait Fernand Braudel, puisque, précisément, toute une part de leurs efforts a consisté à s’extraire de l’emprise de la nature. »

À propos de l’auteur
Tancrède Josseran

Tancrède Josseran

Diplômé de Sorbonne-Université, il est chercheur associé à l’Institut de stratégie comparé.
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