<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Écosse : l’indépendance à portée de vue ?

3 août 2021

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Le drapeau écossais entre celui du Royaue Uni et celui de l'Union européenne devant le parlement à Edimbourg. Source : Wikipédia.
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Écosse : l’indépendance à portée de vue ?

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Les indépendantistes écossais ont gagné les élections du printemps 2021, même s’ils n’ont pas obtenu la majorité absolue. Après le dossier du Brexit, la question écossaise est l’un des grands dossiers de Boris Johnson.

En Écosse, le 8 mai marquera désormais à la fois la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’annonce de la victoire éclatante du Scottish National Party (SNP) aux élections législatives. S’il a manqué au SNP de Nicola Sturgeon un seul siège pour obtenir la majorité absolue à Holyrood, celui-ci peut se satisfaire d’avoir amélioré son score et conquis un siège supplémentaire par rapport à 2016 (64 contre 63). Surtout, le SNP peut se satisfaire de voir le bloc indépendantiste l’emporter largement grâce aux bons résultats du Scottish Green Party.

En dépit de son opposition farouche à un second référendum, Boris Johnson pourrait n’avoir d’autre choix que de céder à l’argument de la volonté du peuple, qu’il n’a d’ailleurs eu de cesse d’avancer lors des négociations avec Bruxelles pour un départ ordonné de l’Union européenne.

Si le Brexit a indéniablement été un catalyseur des nouvelles velléités indépendantistes, il est probable que la question de l’Indyref 2 se pose à nouveau à brève échéance. Car en imposant le leave aux populations écossaise et nord-irlandaise, les Anglais ont révélé avec une acuité sans précédent la nature fondamentale de la relation politique anglo-écossaise depuis plus de quatre siècles, à savoir la chronique de la tendance unioniste de Londres et de la réaction autonomiste d’Édimbourg. Car si l’intérêt économique de l’Écosse à rester dans le marché unique est réel, ce dont témoignent les conclusions de l’étude The impact of Brexit on Scotland’s growth sectors, et son besoin démographique impérieux, tant l’immigration européenne compense un faible taux de natalité et le vieillissement rapide de la population, c’est bien la question du rapatriement des compétences auparavant transférées à Bruxelles qui cristallise les mécontentements.

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Le rapport juridique avec Bruxelles

En effet, avec l’EU Withdrawal Act 2018, Westminster a éloigné dans un premier temps les différentes nations du processus de rapatriement des compétences, afin de négocier ensuite avec elles les conditions d’un transfert sans que celui-ci ne puisse toutefois permettre à chaque nation de prendre des orientations trop divergentes qui ne manqueraient pas de désorganiser le commerce intérieur britannique et de fragiliser le Royaume-Uni vis-à-vis de ses concurrents.

La parenthèse dévolutionniste, ouverte il y a vingt-cinq ans, semble donc se refermer. Et un nouvel épisode de l’autonomisme écossais semble s’ouvrir, prenant aujourd’hui l’alibi de l’appartenance à l’Union européenne, comme il prenait hier la vocation continentale de l’Écosse ou la singularité de sa Réforme.

L’Écosse a en effet toujours voulu affirmer sa différence vis-à-vis de la Couronne anglaise. Et ce dès le Moyen Âge. Déstabilisé par les querelles de succession, le trône d’Écosse ouvre les appétits pressants de l’Angleterre. Pour s’en protéger, Jean Balliol et Philippe le Bel signent en 1295 l’Auld Alliance qui prévoit que chaque partie assistera l’autre en cas de conflit avec l’Angleterre. Durant plus de deux cent cinquante ans, Français et Écossais ont invoqué cette alliance et infligé souvent de lourdes défaites aux Anglais, comme à Baugé en 1421 alors que la suprématie anglaise lors de la guerre de Cent Ans est à son apogée, ou encore entre 1548 et 1550 lorsque l’armée d’Henri II de France, débarquée en Écosse, chasse les Anglais de nombreuses localités du sud du pays où ils avaient pénétré, mettant ainsi un terme aux prétentions d’Édouard VI d’Angleterre d’épouser Marie Stuart, et de devenir de facto roi d’Écosse. L’Auld Alliance finit par dépasser le seul domaine militaire et renforça les liens politiques, voire dynastiques, entre les deux royaumes, à travers par exemple l’accueil de prétendants ou d’héritiers du trône d’Écosse, de Jean Balliol à Marie Stuart ; de mariages, comme celui entre Marie de Guise et Jacques V d’Écosse ou celui entre François II, fils d’Henri II, et Marie Stuart, etc.

Les tensions religieuses du xviesiècle eurent raison de l’Auld Alliance. Dans une Écosse devenue protestante, l’alliance avec la France catholique devient contre-nature et le traité d’Édimbourg de 1560 ouvre une nouvelle page des relations anglo-écossaises.

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La question religieuse

Car si les affrontements politico-militaires cessent, l’autonomisme écossais prend très vite les apparats de la querelle théologique. Jacques VI, fils protestant d’une Marie Stuart catholique, devient roi d’Écosse et d’Angleterre en 1603. Très vite, lui et ses successeurs tentent d’unifier l’Angleterre anglicane et l’Écosse presbytérienne sous le seul autel anglican. La querelle théologique nourrit la fièvre autonomiste écossaise durant un siècle, tout comme elle renforça le lien entre l’Écosse et les puissances protestantes du continent, tant la Réforme écossaise fut importée et conduite par des théologiens formés auprès des calvinistes continentaux, à l’image de John Knox. Durant un siècle donc, le presbytérianisme fut le fer de lance de la résistance écossaise à l’uniformisation des deux royaumes. Si l’acte d’union de 1707 aboutit à la fusion des parlements anglais et écossais en un Parlement de Grande-Bretagne, il n’en demeure pas moins que l’Écosse dispose dans les faits d’une très grande autonomie. Les élites politiques, économiques et administratives écossaises gèrent le pays selon la coutume et conservent leur religion, leur organisation territoriale, leur système d’enseignement, etc.

Trouver le bon équilibre juridique

Tant que la très forte autonomie de fait de l’Écosse perdure, elle favorise l’expression du nationalisme culturel, au sein du Royaume-Uni et de l’empire, et affaiblit celle du nationalisme politique. Néanmoins, à mesure que l’empire croît et que la puissance industrielle et économique britannique s’affirme, Westminster tend à concentrer tous les pouvoirs et Londres administre de manière de plus en plus indifférenciée tous les territoires sous sa domination sans se préoccuper nécessairement de leurs besoins parfois très spécifiques. Dont l’Écosse. En 1853 est fondée la National Association for the Vindication of Scottish Rights. Si elle est dissoute en 1856, elle témoigne du sentiment de dépossession qui prend à nouveau Édimbourg et qui s’amplifie dans la seconde moitié du xixesiècle. Bien aidé en cela par la question irlandaise.

Inspirés par l’Irish Home Rule movement, divers mouvements comme la Scottish Home Rule Associationet la Young Scots’ Society voient le jour et plaident pour une réorganisation institutionnelle du Royaume-Uni dans laquelle chaque nation, dont l’Angleterre, disposerait d’un parlement traitant des affaires spécifiques, sans que cela ne remette en cause ni le Parlement impérial ni le maintien de l’Écosse au sein du Royaume-Uni.

La question autonomiste devient dès lors institutionnelle et juridique. Et c’est parce qu’elle est devenue institutionnelle et juridique qu’elle s’est complexifiée et métamorphosée au cours du XXe siècle. Fondé en 1934, le SNP a longtemps été autonomiste, avant d’assumer une ligne indépendantiste en 1942. Et c’est pour affaiblir l’idée d’indépendance que Londres a entamé un processus dévolutionniste à travers le Scotland Act de 1998, après une première tentative sabotée par le Labouren 1979, puis le Scotland Actde 2016. Autonomie contre indépendance. C’est cette question que Nicola Sturgeon se propose à nouveau de trancher.

Au cours des siècles, la réaction autonomiste d’Édimbourg, indépendantiste ou non, à la tendance unioniste chronique de Londres s’est ainsi considérablement éloignée de toute référence à l’histoire des deux Couronnes. Il est désormais rare que les grandes figures historiques ou les lieux de mémoire soient convoqués. Et lorsqu’ils le sont, l’accusation de nationalisme ethnique n’est jamais loin.

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Le SNP est aujourd’hui un parti définitivement progressiste

Grandement inspirées, voire conduites, par un parti libéral libre-échangiste, individualiste, opposé aux privilèges de l’aristocratie terrienne et favorable aux classes moyennes, les organisations plaidant pour un home rule écossais, dont le futur SNP, se sont peu à peu revendiquées sociales-démocrates. À cela s’est ajouté le besoin vital de l’immigration pour compenser la chute démographique et maintenir la bonne santé économique de l’Écosse, qui a amplifié le tropisme naturel écossais pour les identités particulières et l’a déporté sur les minorités ethniques. Qui sait si l’Écosse parviendra à réaliser son double objectif de référendum et de réadhésion à l’Union européenne. Les obstacles sont nombreux, notamment pour le second. Mais peut-être les Écossais parviendront-ils à accomplir la promesse de leur hymne Flower of Scotland et à vaincre de nouveau les Anglais comme à Bannockburn.

 

 

À propos de l’auteur
Paul Godefrood

Paul Godefrood

Paul Godefrood est diplômé de l'Essec. Il est conseiller politique au Sénat.
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