<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Éditorial : Le sang et l’eau

1 juillet 2024

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Éditorial : Le sang et l’eau

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Éditorial de la Revue Conflits n°52, dont le dossier est consacré à l’espace. 

« Le J c’est le S. La flamme est arrivée. » Propos énigmatiques de Gabriel Attal écrit sur son compte Twitter pour saluer le rappeur Jul, premier porteur de la flamme olympique débarquée à Marseille. Si le J désigne Jul, le S désigne le sang, « le Jul c’est le Sang » voulant dire que Jul est de la même famille, de la même veine. L’ancien élève de l’École alsacienne savait-il que par cette phrase il ressortait la dialectique classique de la géopolitique qui voit s’affronter le sang et l’eau, l’ethnie et l’universel ? 

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La terre des pères

Fondamentalement, à quoi un être humain se rattache-t-il : à son sang, sa famille, sa nation, la terre de ses ancêtres ou bien à l’eau, symbole de l’universel, de l’idée qui l’emporte sur la nation, cette eau qui fait advenir l’homme nouveau, comme le rêvaient les révolutionnaires français et les communistes après eux ? Vieille dialectique. Les Grecs déjà connaissaient cette confrontation entre le rattachement à une cité particulière ou à l’hellénisme. Était-on grec parce que né athéniens ou spartiates ou parce que parlant le grec, que ce soit à Alexandrie d’Égypte ou en Sicile, en partageant les mêmes idées et les mêmes visions du monde que les autres Grecs ? Pouvait-on devenir non seulement citoyen romain, c’est-à-dire sujet juridique, mais aussi romain, parce que parlant latin, adorant les mêmes dieux, portant la toge et buvant le vin, que ce soit en Gaule, en Thrace ou à Carthage ? Le christianisme, lui aussi, a affronté cette dialectique. D’une part en permettant l’éclosion des nations, fondées sur les familles et la communauté de destin, d’autre part en créant l’idée d’une chrétienté partageant la même foi, regardant vers la même Croix et rêvant des mêmes lieux saints. Lorsque le christianisme sortit d’Europe, se diffusant en Amérique puis en Afrique, l’eau du baptême allait-elle supplanter le sang de l’ethnie et étendre ainsi indéfiniment les frontières de la romanité, qui sont celles de la chrétienté ? 

Trois couleurs. Un drapeau. Un empire

L’idéal colonial français porté par la gauche républicaine reprenait à son compte la primauté de l’eau sur le sang, de l’universalisme sur le particularisme. Par extension de l’empire, tout peuple devenait français, par les grâces de l’assimilation et de l’intégration. « Nos ancêtres les Gaulois » n’était pas seulement enseigné dans les manuels des bords de Loire, mais aussi sur les rives du Congo et du Maroni. Ce qui eut au moins le bon goût d’amuser Henri Salvador et Boris Vian qui en tirèrent la chanson Faut rigoler (1958) dans un style légèrement différent du rap julien. Tout l’enjeu des guerres de décolonisation est là : l’eau peut-elle l’emporter sur le sang ? Oui, répondent les universalistes, pour qui l’homme supplante les peuples ; non rétorquent les particularistes, pour qui les nations et les ethnies ne sont pas solubles dans un grand volapuk. Là réside tout le drame algérien, entre ceux qui croient dans une Algérie qui pourrait être française et ceux qui sont convaincus que l’Algérie ne peut être qu’algérienne. Drames qui se trouvent désormais téléportés en France dans le débat de quarante ans sur l’immigration et l’intégration. Visiblement, pour les rappeurs de Bande organisée le sang l’emporte sur l’eau. 

« La flamme est arrivée. »

La dialectique sang / eau est dépassée par celle de la flamme. Dans la symbolique chrétienne, elle représente l’Esprit Saint qui non seulement donne le don des langues, mais surtout crée une communauté de destin fondée sur l’amitié. De Cicéron à saint Augustin, des chevaliers de la Table ronde à Joseph Kessel, la notion d’amitié traverse toute l’histoire de la philosophie politique et de la littérature. L’amitié, c’est une communauté d’esprit, c’est un sang nouveau, celui des lettres et du don, c’est une eau nouvelle, celle de la charité et de l’amour partagé. Amitié des soldats dans les combats, des écrivains dans les cafés, des lettrés dans un banquet ; l’amitié crée le véritable universalisme, celui qui est fondé sur des amours et des sentiments partagés, sur des engagements communs. L’ami peut-être d’un sang différent et d’une culture autre, il dépasse le clan, il transcende le groupe pour fonder une nouvelle famille, dans la liberté des échanges.

La communauté politique qui traverse les siècles et les épreuves ne repose ni sur le sang de l’ethnie ni sur l’eau de l’universalisme, mais sur la flamme de l’amitié. Et comme la flamme olympique, elle doit se transmettre pour se conserver. 

À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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