Le 28 septembre 2023 s’est tenu à Paris, organisé par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le premier sommet consacré aux « métaux critiques ». La course à ces métaux, lithium, nickel, cobalt, terres rares, cuivre ou graphite, s’accélère. En tout, 34 minerais pour l’UE, et 50 pour les États-Unis qui viennent d’allonger leur liste. Les besoins en métaux critiques sont de plus en plus importants.
Article paru dans la Revue Conflits n°53, dont le dossier est consacré au Moyen-Orient.
Les échanges de ces minerais dits « critiques » ont explosé depuis vingt ans, leur commerce ayant été multiplié par sept en valeur, passant de 53 à 378 milliards de dollars de 2002 à 2022, avec une augmentation significative du commerce des MGP, métaux du groupe platine ; comme le rhodium, l’iridium, le ruthénium et l’osmium, qui depuis 2017 ont enregistré des taux de croissance annuels jusqu’à 72 %. Les révolutions numériques et écologiques reposent grandement sur ces matières premières qui sont désormais partout : smartphones, ordinateurs, batteries de véhicules électriques (chacune nécessitant jusqu’à 200 kg de minerais critiques, éoliennes ou panneaux photovoltaïques mais aussi robotique, armement et drones). Selon le rapport annuel de Bloomberg portant sur les investissements globaux réalisés dans la transition énergétique, ceux-ci ont atteint en 2022 1 100 milliards de dollars et une bonne partie a porté sur l’extraction et le raffinage des métaux critiques.
Les chaînes d’approvisionnement sont à la fois mondialisées et concentrées. L’Afrique du Sud est le premier producteur de ruthénium avec une part de marché de 92 % selon le CEA. La République démocratique du Congo (RDC) domine largement le cobalt (64 %), le Chili celle du lithium (44 %). Mais c’est la Chine qui est l’acteur principal, étant à la fois le grand producteur des terres rares (86 %) et de loin le premier importateur couvrant en 2022 un tiers des importations totales, devant l’UE (16 %), le Japon et les États-Unis (11 %). La Chine est le premier acheteur de cuivre (60 %), minerai le plus échangé du monde. Pour les exportations, le trio de tête est constitué du Chili, de l’Afrique du Sud et du Pérou. L’utilisation des principaux métaux stratégiques est fortement complémentaire. Chaque élément est en effet nécessaire mais pas suffisant à lui seul, pour le développement d’une technologie bas-carbone. À titre d’exemple, la fabrication de batteries électriques requiert non seulement du lithium, mais aussi du cobalt (70 % de la demande mondiale), du graphite, du manganèse, du molybdène et du nickel. La rareté pousse à la protection : selon l’OCDE, le nombre de restrictions, y compris les droits de douane, est passé de 472 mesures en 2012 à 489 mesures en 2017 et 502 en 2021. En juillet 2023, la Chine a ainsi annoncé des restrictions sur l’exportation de gallium et de germanium, puis en octobre sur le graphite. Mais surtout, depuis le 21 décembre 2023, elle interdit l’exportation des « technologies d’extraction, de traitement et de fusion des terres rares ».
Classifications étatiques
Les matières premières critiques font l’objet de classifications de la part des États. La Commission européenne en distingue 34 dans sa dernière estimation réalisée le 14 mars 2023. La première liste des matières premières critiques publiée par la Commission européenne date de 2011 et celle-ci est révisée tous les trois ans. De son côté, l’USGS établit périodiquement une liste des minéraux critiques en utilisant les méthodes scientifiques les plus récentes pour évaluer la criticité des minéraux. Une grande partie de l’augmentation de la nouvelle liste est le résultat de la séparation des éléments des terres rares et des éléments du groupe du platine en entrées individuelles plutôt que de les inclure en tant que groupes de minéraux. En outre, la liste 2022 des minéraux critiques ajoute le nickel et le zinc tout en supprimant l’hélium, la potasse, le rhénium et le strontium. Cette nouvelle liste a été créée sur la base des directives de la loi sur l’énergie de 2020, qui définit un minéral critique comme un minéral non combustible ou un matériau minéral essentiel à la sécurité économique ou nationale des États-Unis et dont la chaîne d’approvisionnement est vulnérable aux perturbations. Les minéraux critiques sont également caractérisés par le fait qu’ils remplissent une fonction essentielle dans la fabrication d’un produit dont l’absence entraînerait des conséquences significatives pour l’économie ou la sécurité nationale. De façon plus générale, les minerais et métaux stratégiques sont utilisés pour les véhicules électrifiés (cobalt, cuivre, lithium, nickel, terres rares), les piles à combustible (platine, palladium, rhodium), les technologies de l’éolien (aluminium, cuivre, nickel et terres rares pour l’éolien offshore), l’aéronautique (titane) ou encore les technologies du solaire photovoltaïque (aluminium, argent, cuivre, silicium).
La prépondérance chinoise se manifeste dans de nombreux domaines
Du fait d’une politique gouvernementale active, au moyen d’aides, de subventions et d’une législation environnementale très laxiste, la Chine est devenue un acteur majeur dans la production de nombreux minerais : antimoine, germanium, graphite, lithium, molybdène, silicium, terres rares, tungstène, ou encore vanadium.
C’est certes également le cas des États-Unis (béryllium, cuivre, germanium, molybdène), de l’Afrique du Sud (manganèse, palladium, platine), du Chili (cuivre, lithium, rhénium), de l’Australie (bauxite, lithium, zirconium) ou de la Russie (antimoine, nickel, platinoïdes). D’autres pays occupent une position dominante dans la production mondiale d’un minerai en particulier : la RDC avec le cobalt, ou le Brésil avec le niobium. Mais la Chine est la seule à cumuler une production diversifiée et spécifique, puisqu’elle représente au moins 30 % de la production mondiale pour huit minerais différents et plus de 70 % de la production mondiale pour cinq d’entre eux. Toutefois, à l’instar des autres pays, elle n’est pas en position dominante sur la production de l’ensemble des minerais, et sa production minière ne permet pas de satisfaire ses besoins sur le territoire national. Les dotations naturelles en minerais et métaux stratégiques confèrent à la Chine un avantage considérable par rapport aux autres nations. Cette position dominante n’a cessé de se renforcer avec la stratégie de l’empire du Milieu consistant à se tourner vers l’extérieur pour ses approvisionnements en métaux stratégiques.
La Chine a ainsi mis en place de vastes politiques d’internationalisation de ses entreprises (politique du Go Global au début des années 2000 et projet des nouvelles routes de la soie à partir de 2013), afin notamment de développer et exploiter des gisements miniers de grande ampleur ou stratégiques. Les moyens qu’elle utilise à cet égard sont nombreux et variés : investissements directs à l’étranger, acquisition ou prise de participation dans des sociétés locales ou internationales, développement de nouveaux projets miniers, projets d’infrastructures-matières premières, coentreprises, ou encore prêts. Le China Global Investment Tracker de l’American Enterprise Institute estime à 203 milliards de dollars le seul montant des IDE financiers chinois dans le secteur des métaux, sur la période allant de 2005 à 2022. Bien que sous-estimant les investissements chinois, ces flux renseignés illustrent l’emprise de la Chine sur ces différents marchés.
L’Australie est une destination privilégiée pour les IDE chinois, en particulier en ce qui concerne le lithium. La Chine y a investi 26,6 milliards de dollars sur la période 2005-2021. Ces investissements sont toutefois en recul depuis 2013, et c’est désormais l’Indonésie qui concentre l’intérêt de la Chine. Celle-ci finance des expansions de capacités minières et de nouveaux projets, prend des participations importantes et rachète des entreprises. Grâce à cette stratégie, la Chine a conclu des accords sur neuf des onze projets majeurs concernant le lithium au niveau mondial, dont les deux tiers sont exclusifs.
L’empire du Milieu investit également massivement en Argentine, au Chili et au Pérou, notamment concernant le cuivre et le lithium. Ces investissements s’ajoutant à ceux qu’elle opère en Australie, la Chine contrôle ainsi par ses participations étrangères environ 60 % de la production mondiale de lithium.
Concernant l’Afrique, grâce à ses IDE en RDC (cobalt et cuivre), la Chine contrôlerait plus de la moitié de la production de cobalt du pays. De même, grâce à d’importantes prises de participation majoritaires (complexe igné du Bushveld) en Afrique du Sud, son approvisionnement en platinoïdes (iridium, palladium, platine) est pleinement assuré.
Un tableau similaire pourrait être dressé pour les autres minerais et métaux stratégiques, comme la bauxite, le niobium ou le cuivre.
De façon générale, grâce à sa stratégie à l’international, Pékin a mis la main sur plus de 50 % de la production mondiale de cobalt, plus de 60 % du lithium, plus de 80 % du magnésium et plus de 70 % du graphite.
En conséquence, la Chine occupe une position dominante sur les métaux dits « électriques », qui jouent un rôle majeur dans les technologies de stockage d’énergie.
L’Australie, l’autre grand
D’ores et déjà 2e producteur mondial de terres rares, l’Australie dispose de plusieurs gisements en cours de développement.
Le secteur minier australien cherche à accélérer la production et à développer des capacités de traitement, avec le soutien tant du gouvernement fédéral et des États fédérés, avec comme objectif de positionner l’Australie au centre des chaînes de valeur mondiales.
Bien que 80 % du pays n’aient pas encore été prospectés, l’Australie est aujourd’hui le 6e pays en termes de réserves de terres rares. Elle est par ailleurs le 2e producteur mondial (12 % de la production mondiale) loin derrière la Chine (77 %), mais devant les États-Unis (7 %). Entre 2013 et 2018, la production australienne a été multipliée par 17, passant d’un peu plus de 1 000 tonnes à 19 000 tonnes par an. L’essentiel de la production australienne relève aujourd’hui de l’entreprise minière Lynas (1re sur le marché mondial hors Chine). La minière bénéficie de longue date d’un soutien financier du gouvernement japonais (JOGMEC), soucieux de diversifier ses approvisionnements en terres rares, à la suite de tensions avec la Chine en 2010. Elle exploite, depuis 2011, la mine de Mt Weld, dans le Western Australia, qui dispose d’une réserve de 1,6 million de tonnes de terres rares. Depuis 2012, Lynas détient également une raffinerie à Kuantan en Malaisie, dans laquelle sont séparés et traités les concentrés d’oxydes de terres rares produits par la mine de Mt Weld. Lynas a par ailleurs annoncé, en 2019, la construction d’une nouvelle unité de prétraitement à Kalgoorlie, dans le Western Australia, qui devrait être opérationnel courant 2023. Les terres rares y seront semi-transformées avant d’être envoyées vers sa raffinerie en Malaisie.
Outre Lynas, Iluka produit depuis avril 2020 un concentré de 20 % de monazite dans sa mine de Eneabba dans le Western Australia d’une capacité de 827 kt de minerai par an et prévoit de produire d’ici 2025 un concentré de 90 % de zircon et terres rares grâce à un investissement de 22,6 M€. L’entreprise détient également Wimmera dans le Victoria, un gisement d’une capacité de 10 Mt de minerai par an pouvant produire 192 kt/an de métaux exploitables (dont des terres rares). Ce dernier projet n’est encore qu’au stade de l’étude de préfaisabilité. Dans un contexte de hausse de la demande, plusieurs entreprises minières cherchent également à exploiter des gisements de terres rares. Les principaux projets en cours sont : la mine de Browns Range, projet pilote porté par Northern Minerals, d’une capacité de 585 kt de minerai par an (dont des terres rares lourdes) ; Dubbo, détenue par Alkane Ressources, d’une capacité de 1 Mt ; Nolans d’Arafura Ressources, d’une capacité de 13,4 kt par an ; Yangibana de Hastings Technology Metals, d’une capacité de 3,4 kt par an. Leur réalisation est toutefois ralentie par des obstacles liés aux coûts – en particulier de construction d’unités de traitement et de développement des compétences –, aux risques techniques à la disponibilité des ressources en eau et à la volatilité des prix.
Les entreprises australiennes sont ainsi activement à la recherche d’investissements pour développer et lancer l’exploitation de leur gisement et tentent de conclure des contrats dits d’offtake (approvisionnement des utilisateurs finaux) pour attirer les investisseurs.
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