Élections régionales : la droite festoie à Madrid

5 mai 2021

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Élections régionales : la droite festoie à Madrid

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La large victoire de la droite à la région de Madrid est un échec pour le gouvernement central. Pablo Iglesias a annoncé se retirer de la vie politique et le centre a perdu l’ensemble de ses élus. Une politique libérale-conservatrice qui plait manifestement aux Madrilènes, qui viennent de réélire leur présidente, à qui on annonce déjà un destin national.

Un contexte houleux

Après l’échec de deux motions de censure régionales contre le Parti populaire (PP, droite conservatrice) dans la région de Murcie[1] et en Castille-et-León[2], le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE, social-démocratie) et toute la gauche espagnole en général espéraient pouvoir se rattraper en ce mardi 4 mai 2021 lors des élections régionales madrilènes. Organisé de manière anticipée à la suite de la dissolution du Parlement local par la présidente sortante, Isabel Díaz Ayuso (PP), le scrutin n’était en réalité qu’une conséquence de l’instabilité politique chronique qui touche l’Espagne depuis 2014-2015. Il était également le fruit de la méfiance de plus en plus grande entre les populares et leurs alliés de Citoyens (Cs, centre libéral).

L’objectif était donc, pour le président du gouvernement national Pedro Sánchez et ses alliés, de priver la droite du « joyau de la couronne », c’est-à-dire de la communauté autonome espagnole la plus riche et la plus dynamique du pays[3]. La Communauté de Madrid est, depuis 1995, le laboratoire des politiques libérales du Parti populaire, en particulier sous l’impulsion de l’ancienne présidente régionale Esperanza Aguirre (2003-2012) et de ses successeurs[4]. Pourtant, le scrutin d’il y a deux ans a été difficile pour la formation, minée par des scandales de corruption à répétition. Elle n’est en effet arrivée qu’en deuxième position dans l’autonomie avec 30 sièges sur 132, tandis que les socialistes faisaient la course en tête avec 37 élus[5].

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Une femme et une campagne

La tête de liste des populares, la jeune Díaz Ayuso (elle est née en 1978), semblait avoir été choisie pour perdre le scrutin et permettre d’assurer une transition passant par une cure d’opposition durant quatre ans. Fustigée pour ses déclarations-choc durant la campagne, elle était pourtant devenue locataire de la Maison royale du Courrier (siège de la présidence régionale, sur la Puerta del Sol) en 2019 grâce à un accord avec Citoyens et la droite « radicale » de Vox.

La discrète responsable politique s’est taillée en deux ans une réputation à l’ampleur nationale, notamment dans le cadre de la gestion de la pandémie de coronavirus, devenant ainsi l’ennemie à abattre pour toute la gauche. Son slogan de campagne, « Socialisme ou liberté » (auquel a rapidement répondu la devise « Fascisme ou liberté », inventée par la gauche « radicale ») témoignait dès le mois de mars dernier du ton général de la campagne. Cette dernière, marquée par une crispation inédite en Espagne, a vu se succéder les menaces de mort anonymes envoyées à plusieurs candidats (dont Isabel Díaz Ayuso elle-même[6]) et les jets de pierres de la part de militants « antifascistes » contre les participants et organisateurs d’une réunion publique de Vox dans un quartier populaire du sud de Madrid[7]. La polarisation du scrutin, tout à fait extrême, faisant donc s’affronter deux modèles de société apparemment irréconciliables, qui se taxaient mutuellement de « stalinisme » et de « nazisme ».

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Malgré la très grande popularité de la présidente sortante, qui avait notamment à son actif l’incroyable affection des hôteliers et restaurateurs de la région (auxquels elle avait permis de rester ouverts depuis juin 2020, en dépit de la situation sanitaire[8]), le combat semblait inégal. La gauche a en effet utilisé tous les moyens à sa disposition, entraînant bon nombre d’institutions normalement neutres (comme la Garde civile[9]) dans une campagne agressive, sale et interminable.

Le séisme du Parti populaire

Ladite campagne a néanmoins buté sur l’incroyable phénomène d’ayusomanía qui s’est développé depuis un an environ. Transformée en icône pop et en symbole même de la capitale, celle que ses partisans surnomment volontiers « Lady Madrid » était applaudie et acclamée partout durant ses déplacements dans la ville et en banlieue. Son visage était placardé dans de nombreuses vitrines de restaurants et de bars en remerciement pour sa politique d’ouverture, son nom était donné à des plats, des produits dérivés à son effigie pouvaient être achetés en ligne et elle apparaissait même sur l’étiquette d’une nouvelle marque de bière. Érigée en symbole de la « résistance » face au gouvernement de coalition qui dirige l’Espagne depuis janvier 2020, Isabel Díaz Ayuso a profité de cet essor dans l’opinion pour pratiquer un véritable « populisme d’État ». Bien qu’au pouvoir, elle n’a en effet eu de cesse que de vitupérer contre des élites (de gauche) « déconnectées » du peuple et de ses aspirations les plus simples : travailler, prospérer, évoluer en liberté dans la communauté autonome et, un mot comme en cent, « vivre à la madrilène »[10].

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C’est ce qui explique le « raz-de-marée bleu » du 4 mai, avec un Parti populaire arrivé en tête dans les vingt-et-un arrondissements de Madrid (y compris le sud plus modeste) et 176 des 179 communes de la région. Forte de ses 65 sièges sur 139 dans la nouvelle Assemblée régionale (soit 44,73 % des suffrages, non loin des 45-46 % qui lui auraient assuré la majorité absolue), Isabel Díaz Ayuso fait entrer à elle seule plus d’élus au Parlement de Vallecas que les trois formations de gauche réunies. Emmené par un Ángel Gabilondo fade et peu convaincant, le PSOE réalise son plus mauvais score depuis le début des élections régionales à Madrid, en 1983 (soit 24 députés, 16,85 % des suffrages exprimés), et se fait dépasser par Más Madrid, scission de Podemos (24 députés, 16,97 % des bulletins). Le fondateur de la formation et ancien numéro 2 de Pablo Iglesias, Íñigo Errejón, prend donc sa revanche sur son ancien partenaire. Ce dernier évite certes le naufrage (10 élus, 7,21 %) mais se voit acculé au retrait de la vie politique après ces résultats décevants[11].

Du côté de la droite « radicale », Vox a empêché une Isabel Díaz Ayuso plus populaire dans ses rangs que sa propre tête de liste, Rocío Monasterio, de le vampiriser, gagnant un élu (13 sièges, 9,13 %). Le président du parti d’extrême droite, Santiago Abascal, a de toute façon annoncé la couleur en fin de soirée : les siens investiront la présidente sortante sans difficulté et participeront à l’élaboration de sa politique si elle le souhaite[12]. La droite, qui obtient une confortable majorité absolue (78 sièges) annoncée par les sondages, progresse partout et lamine le centre de Citoyens, qui perd les 26 députés qu’il avait dans l’Assemblée de 2019.

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Vers un retour en force dans tout le pays ?

Le soutien électoral envers Isabel Díaz Ayuso et son projet est impressionnant, y compris dans les arrondissements populaires du sud de Madrid (Villa de Vallecas, Puente de Vallecas, Usera, Vicálvaro) et dans la « ceinture rouge » historiquement socialiste des communes de la banlieue méridionale (Getafe, Parla, Móstoles, Rivas-Vaciamadrid, etc.)[13]. D’aucuns évoquent dans ce cadre un « tournant thatchérien » du PP[14] : impôts bas ; défense du mérite et du travail ; soutien des commerçants, artisans, indépendants et petits entrepreneurs ; opposition farouche au communisme (réel ou supposé) et éloge de la liberté.

Avec ces élections s’effondre également le mythe d’une participation qui profiterait à une gauche traditionnellement abstentionniste puisqu’avec 76,25 % de votants – soit un record absolu –, le bloc de droite avance nettement.

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Faut-il pour autant tirer des enseignements nationaux de ce scrutin régional ? Il est certain que les socialistes de Pedro Sánchez (et Podemos) en sortent affaiblis, même s’ils peuvent continuer à gouverner au niveau national. Néanmoins, l’emprise du Parti populaire dans la Communauté de Madrid ne se retrouve à cette échelle dans quasiment aucune autre région, ce qui invite à la prudence.

Le président du PP, le très décrié Pablo Casado, veut malgré tout s’appuyer sur ce succès pour débuter une Reconquista du pouvoir national. Affaire à suivre, donc, au plus tard en 2023, pour les prochaines élections nationales.

[1] Hermida, Xosé, « Fracasa la moción de censura de PSOE y Ciudadanos en Murcia », El País, 18 mars 2021.

[2] « El PSOE presenta una moción de censura en Castilla y León », El País, 10 mars 2021.

[3] Klein, Nicolas, « L’émergence silencieuse de Madrid », Conflits, janvier-février 2020, n° 25, page 24, et Magallón, Eduardo, « El sorpasso de Madrid a Cataluña como locomotora económica en gráficos », La Vanguardia, 28 juillet 2020

[4] Klein, Nicolas, « Madrid fait le choix de la liberté économique », Conflits, 9 janvier 2020.

[5] Les résultats officiels du scrutin sont consultables à cette adresse : https://resultados.elpais.com/elecciones/2019/autonomicas/12/index.html

[6] Navarro, Mayka, « «Estás muerta», las amenazas e insultos de la carta a Ayuso », La Vanguardia, 28 avril 2021.

[7] Nieto Jurado, Jesús, « Radicales de izquierda lanzan piedras a Abascal y Monasterio en su mitin de Vallecas », ABC, 8 avril 2021.

[8] Klein, Nicolas, « Madrid : mais comment font ces drôles d’Ibères ? », Causeur, 18 mars 2021.

[9] Campo, Susana et Esteban, Rocío, « La directora de la Guardia Civil que hace campaña por el PSOE cobra más de 120.000 euros anuales », La Razón, 27 avril 2021.

[10] Sanz, Segundo, « Hosteleros de Madrid se suman a la «ayusomanía» para el 4M: «¡Gracias por cuidarnos!» », OkDiario, 21 mars 2021 ; Corral, Pedro del, « Ayushop, la tienda de ropa dedicada a Isabel Díaz Ayuso que arrasa en internet », La Razón, 12 avril 2021 ; Baena, Paula, « Furor por la cerveza de Ayuso: más de medio millar de hosteleros, muchos fuera de Madrid, ya la venden », OkDiario, 21 avril 2021, etc.

[11] Les résultats officiels du scrutin sont consultables à cette adresse : https://resultados.elpais.com/elecciones/madrid.html.

[12] González, Miguel, « Vox votará sí a la investidura de Ayuso sin pedir entrar en el Gobierno », El País, 5 mai 2021.

[13] Sánchez, Carlos, « El cinturón rojo es ahora azul y Ayuso reina sobre las cenizas del PSOE y Cs », El Confidencial, 5 mai 2021.

[14] Molina, Estefanía, « Isabel Díaz Ayuso, o el giro thatcheriano en España », El Confidencial, 24 avril 2021.

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À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).

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