Les prix Princesse des Asturies, symbole d’une Espagne attractive

10 octobre 2020

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : Emmanuelle Charpentier (G) et Jennifer Doudna (D) après avoir reçu le Prix Princesse des Asturies 2015 pour la recherche scientifique et technique (c) Sipa 00984777_000002
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Les prix Princesse des Asturies, symbole d’une Espagne attractive

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Dans la longue liste des moyens au service du « soft power », les remises de récompenses qui viennent couronner l’œuvre d’un homme ou d’une organisation tiennent une place signalée. Elles confèrent simultanément un prestige certain aux jurys qui les attribuent et un rayonnement convoité aux pays qui les accueillent. Le Prix Nobel, avec la lumière qu’il donne à la Suède, en est évidemment l’exemple le plus éclatant. Mais il en existe bien d’autres et notamment le Prix Princesse des Asturies grâce auquel la monarchie des Bourbons, et derrière elle toute l’Espagne, peut s’exhiber en majesté aux yeux du monde entier.

 

Des prix pionniers dans leur genre

 

Pour son édition 2020, le prix Nobel de chimie est remis à la chercheuse française Emmanuelle Charpentier et à sa collègue américaine Jennifer Doudna afin de saluer leur contribution à l’édition génomique[1]. Deux noms qui ne sont pas tout à fait inconnus en Espagne, où ces deux scientifiques reçoivent en 2015 le prix Princesse-des-Asturies dans la catégorie « Recherche scientifique et technique »[2].

Ce n’est pas la première fois que le jury du prix Princesse-des-Asturies a quelques années d’avance sur celui du prix Nobel. Ce fait témoigne d’un grand professionnalisme de la part de ceux qui, chaque année, sont chargés de choisir le récipiendaire de cette récompense.

Dans le champ des sciences, le biologiste français Luc Montagnier par exemple, est distingué outre-Pyrénées en 2000, huit ans avant de se rendre à Stockholm pour y recevoir la médaille remise par l’Académie royale des Sciences de Suède. En 2001, c’est au tour de son confrère britannique John Sulston de faire un tour en Principauté des Asturies, un an avant de devenir lauréat du prix Nobel de physiologie ou de médecine.

Le jury asturien devance néanmoins son équivalent suédois dans d’autres domaines, comme celui de la paix. C’est ainsi que Mikhaïl Gorbatchev reçoit cette récompense en 1989 (un an avant le Nobel) dans la catégorie « Coopération internationale », tout comme Nelson Mandela et Frederik Willem de Klerk en 1992 (un an encore avant le Nobel), Yasser Arafat et Yitzhak Rabin en 1994 (quelques mois avant le prix Nobel) et Al Gore en 2007 (là aussi avec une avance de plusieurs semaines).

L’on pourrait multiplier les exemples dans la catégorie « Sciences sociales », avec l’économiste américain Paul Krugman (2004 pour le prix Prince-des-Asturies, 2008 pour le « prix Nobel » d’économie) et la Française Esther Duflo (2015 et 2019)[3], mais aussi dans la catégorie « Concorde », avec Médecins sans frontières (1991 et 1999) et l’entrepreneur bangladais Muhammad Yunus (1998 et 2006). Les catégories « Littérature » et « Arts » ne sont pas en reste, comme en témoignent l’écrivain espagnol Camilo José Cela (1987 et 1989), son confrère allemand Günter Grass (année 1999, à quelques mois d’intervalle), la femme de lettres britannique Doris Lessing (2001 et 2007) et le chanteur américain Bob Dylan (2007 et 2016)[4].

 

Histoire d’une récompense

 

Beaucoup moins connus à l’étranger que les prix Nobel, les prix Princesse-des-Asturies sont remis par la famille royale espagnole. Constituée en 1980[5], la fondation qui les chapeaute commence à les décerner à partir de l’année suivante[6], d’abord dans six catégories : « Arts », « Sciences sociales », « Communication et humanités », « Coopération internationale », « Recherche scientifique et technique » ainsi que « Littérature ». S’y ajoutent en 1986 la catégorie « Concorde » puis, en 1987, la catégorie « Sports »[7].

Les principaux membres de la monarchie de notre voisin pyrénéen sont présents à chacune des cérémonies afférentes. C’est notamment le cas de Philippe de Bourbon, qui porte alors le titre de prince des Asturies (réservé à l’héritier de la Couronne espagnole[8]), lequel assiste à quasiment tous ces rendez-vous annuels, au mois d’octobre. En 2014, après sa proclamation en tant que roi d’Espagne sous le nom de Philippe VI, il passe la main à sa fille, Leonor, et la distinction prend alors le nom de « prix Princesse-des-Asturies »[9].

 

A écouter aussi : Podcast – Espagne, politique et organisation. Nicolas Klein

 

Une cérémonie au retentissement national

 

L’objectif de telles récompenses est simple : venir couronner la carrière d’une personne, d’un groupe de personnalités, d’une institution, d’une ville ou d’un pays dans les champs concernés. Le monde hispanique est évidemment mis à l’honneur, tout particulièrement l’Espagne.

Tous les ans, au théâtre Campoamor d’Oviedo, capitale de la Principauté des Asturies, les récipiendaires viennent récupérer une sculpture réalisée par Joan Miró et rares sont ceux qui n’ont pas pu faire le déplacement depuis 1981[10]. Certains d’entre eux y prononcent un discours pour livrer leur vision de leur discipline et de la société. Il s’agit aussi d’une occasion pour Philippe de Bourbon[11] puis sa fille[12] de s’exprimer non seulement sur la cérémonie en elle-même mais aussi sur l’actualité – comme après le référendum séparatiste catalan illégal de 2017[13].

Retransmis par la télévision publique espagnole (TVE), cet acte majeur de la vie publique nationale donne également lieu à des activités culturelles qui rythment l’existence de la Principauté des Asturies dans les semaines précédant la soirée au théâtre Campoamor[14]. Par ailleurs, depuis 1990, la famille royale espagnole prolonge son séjour dans la communauté autonome afin d’y remettre le prix du Village exemplaire des Asturies[15].

Touchée ces dernières années par plusieurs scandales financiers[16], la monarchie ibérique montre à cette occasion un autre visage. Elle devient en effet un pôle d’attraction pour des personnalités confirmées mais aussi une dénicheuse de talents. Sans cette distinction, Francis Ford Coppola (Arts, 2015), Quino (Communications et humanités, 2014), Helmut Kohl (Coopération internationale, 1996), Amin Maalouf (Littérature, 2010), Mary Robinson (Sciences sociales, 2006), Michael Schumacher (Sports, 2007), Jane Goodall (Recherche scientifique et technique, 2003) ou encore Stephen Hawking (Concorde, 1989) auraient-ils foulé le sol asturien ? L’on est en droit d’en douter.

De même, de nombreux artistes, chercheurs, sportifs, activistes, écrivains, diplomates, responsables politiques espagnols, connus ou non du grand public, y trouvent une exposition médiatique bienvenue. De quoi insuffler, au passage, un peu de fierté collective dans un pays qui en manque cruellement, surtout ces dernières années.

 

Un autre visage pour l’Espagne

 

Peuplée d’environ un million d’habitants, la communauté autonome des Asturies s’offre également une vitrine inattendue une fois l’an. Troisième ville régionale (78 000 âmes environ) et ancienne cité industrielle, Avilés porte la marque de cette distinction. En 1989, en effet, l’architecte brésilien reçoit le prix Prince-des-Asturies dans la catégorie « Arts », ce qui donne l’occasion aux autorités asturiennes de rentrer en contact avec lui. De ce dialogue naît en 2011 le Centre Niemeyer d’Avilés, l’une de ses dernières réalisations inaugurées[17].

Caractérisée par le lien qui unit Espagne et Amérique latine, comme en témoigne la longue liste des Latino-Américains décorés[18], la Fondation se finance essentiellement grâce au secteur privé[19] et permet dans le même d’injecter 6 millions d’euros à l’échelle locale, régionale et nationale en quelques semaines seulement[20].

Alors que la seconde vague de la pandémie de coronavirus touche durement l’Espagne en cette fin d’année 2020, les prix Princesse-des-Asturies sont donc plus que jamais une vitrine pour le pays, tant d’un point de vue culturel que diplomatique.

 

[1] Herzberg, Nathaniel, « Le prix Nobel de chimie décerné à la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna pour les « ciseaux moléculaires » », Le Monde, 7 octobre 2020.

[2] Voir la page qui leur est consacrée sur le site officiel de la Fondation Princesse-des-Asturies : https://www.fpa.es/es/premios-princesa-de-asturias/premiados/2015-emmanuelle-charpentier-y-jennifer-doudna.html.

[3] Voir la page qui lui est consacrée sur le site officiel de la Fondation Princesse-des-Asturies : https://www.fpa.es/es/premios-princesa-de-asturias/premiados/2015-esther-duflo.html?especifica=0.

[4] « Estos son los 18 premios Príncipe antes que Nobel », La voz de Asturias, 13 octobre 2016.

[5] Voir sa charte fondatrice : https://www.fpa.es/recursos/doc/comunes/la-fundacion/acto-constitucion-carta-fundacional.pdf.

[6] Fuente Lafuente, Carlos, Protocolo y ceremonial en los premios Príncipe de Asturias (1981-2010), Madrid : Sindéresis, 2016.

[7] Voir le règlement des prix sur le site officiel de la Fondation Princesse-des-Asturies : https://www.fpa.es/es/premios-princesa-de-asturias/reglamento/.

[8] Coronas González, Santos Manuel, « Príncipe y Principado de Asturias: historia dinástica y territorial de un título » in Anuario de historia del derecho español, Madrid : Ministère espagnol de la Justice, 2001, n° 71, pages 49-74.

[9] « Cambio de denominación de la Fundación Príncipe de Asturias y de los Premios Príncipe de Asturias », site officiel de la Fondation princesse des Asturies, 23 octobre 2014.

[10] Ruiz Mantilla, Jesús, « Premios Princesa de Asturias: ¿qué pasa cuando no acuden los premiados? », El País, 19 octobre 2018.

[11] Voir la liste de ses discours sur le site officiel de la Fondation Princesse-des-Asturies : https://www.fpa.es/es/sm-el-rey/discursos/.

[12] La prise de parole de la princesse des Asturies en 2019 est disponible en intégralité sur la chaîne YouTube de la télévision publique espagnole : https://youtu.be/HCi8B0ios7M.

[13] Alberola, Miquel, « El Rey: «España resolverá el inaceptable intento de secesión por medio de la Constitución» », El País, 21 octobre 2017.

[14] Voir, par exemple, cette rétrospective concernant l’édition de 2019 sur le site officiel de la Fondation Princesse-des-Asturies : https://www.fpa.es/es/especial-2019/.

[15] Voir la page qui lui est consacrée sur le site officiel de la Fondation Princesse-des-Asturies : https://www.fpa.es/es/premio-al-pueblo-ejemplar-de-asturias/.

[16] Klein, Nicolas, « La monarchie espagnole, entre crise institutionnelle et crise sanitaire », Conflits, 24 mai 2020.

[17] Voir le site officiel du Centre Niemeyer d’Avilés : https://www.centroniemeyer.es/centro/historia/.

[18] Citons, à titre d’exemples, Sebastião Salgado (Arts, 1998), l’Université centraméricaine José-Simeón-Cañas d’El Salvador (Communication et humanités, 1990), le gouvernement du Guatemala et l’Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque (Coopération internationale, 1997), Leonardo Padura (Littérature, 2015), Silvio Zavala (Sciences sociales, 1993), Javier Sotomayor (Sports, 1993), Sandra Díaz (Recherche scientifique et technique, 2019) ou encore Daniel Barenboim (Concorde, 2002).

[19] Voir son bilan économique et financier sur son site officiel : https://www.fpa.es/es/fundacion/situacion-economico-financiera/.

[20] « Los Premios Princesa, un importante impacto económico para Oviedo y Asturias », Radio-Télévision de la Principauté des Asturies, 26 octobre 2015.

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À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).
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