Depuis une dizaine d’années, les éditions Erick Bonnier publient des livres de haute tenue sur le monde arabe en général et le Moyen-Orient en particulier. Des ouvrages qui nous donnent à voir un autre regard, souvent décalé des crises du Moyen-Orient. Trois parutions récentes ont retenu notre attention.
Alain Dejammet, Boutros Boutros Ghali, Une histoire égyptienne, Erick Bonnier
Ancien diplomate et ambassadeur de France en Égypte sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, Alain Dejammet a bien connu celui qui sera aura marqué l’histoire de l’Égypte contemporaine, de l’ONU et de la Francophonie de son empreinte, Boutros Boutros Ghali. Surnommé le pharaon, petit-fils du second (et dernier) Premier ministre chrétien d’Égypte, après Nubar Pacha, neveu de l’ancien ministre égyptien des Affaires étrangères, Boutros Boutros Ghali a hérité de la majesté de ses prestigieux ancêtres coptes en s’investissant corps et âme dans la pensée et l’éducation au service de tous. Né en 1922 au Caire dans une famille patricienne, formée dans les meilleures écoles, à l’université du Caire, puis à Sciences Po et à l’université de Paris I, il grandit à l’ombre de la monarchie conscient de son rang, mais aussi de sa condition de copte.
Rédigée dans un style acéré, avec le souci du détail utile et des descriptions d’une opiniâtre acuité, Alain Dejammet a publié la biographie de Boutros Ghali que l’on attendait. La vie et l’œuvre d’un homme d’exception, bien souvent mal considéré et dont la reconnaissance n’est venue que trop tardivement.
Comme Kissinger, notre héros se consacrait à une heureuse carrière d’universitaire à l’universitaire du Caire comme juriste internationaliste et directeur de publication du supplément économique du quotidien Al Ahram, et rédacteur en chef de la revue trimestrielle (Al- Seyassa al Dawlia – Politique internationale), mais le président Sadate en décidera autrement, le nommant ministre d’État en charge des dossiers les plus épineux, des missions les plus difficiles, à commencer par le processus de paix avec Israël. Parce que copte, jamais Boutros Ghali n’a été nommé ministre des Affaires étrangères de son pays. Et pourtant, cet ardent patriote, défenseur du tiers-monde, a porté les couleurs de son pays envers et contre tous. Le récit de son mandat unique et non renouvelé à l’ONU en raison du véto américain nous donne l’occasion de déceler les forces et les failles du personnage. En cela, son biographe n’a pas glissé dans les abîmes de l’hagiographie, relatant l’action onusienne et la gestion des grandes crises internationales de ce début des années 1990, puis le rôle que fut celui de Boutros Ghali, architecte de l’Organisation internationale de la Francophonie telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Infatigable bourreau de travail, à l’ego maîtrisé, bien que sensible aux sirènes du pouvoir, Boutros Ghali a terminé sa carrière à la tête du conseil égyptien des Droits de l’Homme. Dressant le portrait d’un homme plus à l’aise dans ses dossiers qu’en conférence de presse, Alain Déjammet nous parle d’un homme d’État visionnaire d’une intelligence rare, fondamentalement attaché à l’identité africaine de l’Égypte dont dépend le Nil.
Hasni Abidi (dir.), Le Moyen-Orient selon Donald Trump, Erick Bonnier
Sous la direction du politologue algéro-suisse Hasni Abidi, sept chercheurs et experts du monde arabe partagent leur analyse sur la politique que mène le 47e président américain à l’égard des pays du Moyen-Orient depuis son retour au pouvoir. Ils s’accordent sur le constat suivant : d’un côté, D. Trump dit à qui veut l’entendre qu’il mettra fin aux guerres et « amener la paix dans le monde », et qu’il entend redevenir le « faiseur de deals » qu’il aurait été pendant son premier mandat. D’un autre côté, la deuxième administration Trump semble plus radicale que la première, tant dans ses intentions que dans son action. Trump I s’était déjà montré enclin à privilégier des politiques pro-israéliennes sans concession et une forte hostilité à l’Iran. Trump II pourrait amplifier cette tendance alors que la vulnérabilité des contre-pouvoirs institutionnels aux États-Unis est désormais patente.
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Les auteurs montrent qu’il fait pourtant face à un Moyen-Orient bien différent de celui qu’il a connu lors de sa première présidence : une guerre à Gaza et au Liban, un Iran déterminé à atteindre le seuil nucléaire, une Syrie affranchie de la dynastie des Assad, mais à l’avenir toujours incertain… Et cela, tandis que, dans le reste du monde, les bouleversements régionaux sont maintenant pléthoriques.
L’approche agressive du président américain et son comportement imprévisible présagent une prochaine redistribution des cartes, voire un remodelage, dans une région par ailleurs décidée à prendre son destin en main.
L’intérêt de cet ouvrage est qu’il propose une approche non occidentalo-centrée, en présentant le point de vue des acteurs concernés ; on lira avec intérêt l’article consacré à la position égyptienne par rapport du conflit à Gaza.
Christophe Oberlin, Cheikh Yassine, le fondateur du Hamas, Erick Bonnier
Alors que le regard du monde se tourne avec stupeur vers la minuscule Bande de Gaza, le fondateur du Hamas Ahmed Yassine (1936-2004) demeure largement méconnu en Occident. Pourtant, bon nombre de responsables politiques palestiniens contemporains revendiquent aujourd’hui son héritage.
Figure charismatique mêlant force et fragilité, le Cheikh a tiré les leçons des échecs du nationalisme laïque. Il a prôné une mobilisation populaire fondée sur une mémoire, une foi et une culture profondément enracinées dans la terre de Palestine.
Celui qui fut le guide spirituel du Hamas, farouche opposant aux accords d’Oslo et promoteur d’une lutte armée circonscrite à la Palestine historique, Ahmed Yassine proposait, dès le début des années 1990, l’établissement d’une trêve de longue durée avec Israël, accompagné de la création d’un État palestinien dans les frontières antérieures à la guerre de 1967. Il confiait à la génération suivante la responsabilité de définir les frontières définitives — un État ou deux — par la voie d’une consultation élargie à l’ensemble des populations concernées.
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Les bouleversements survenus au cours des deux décennies ayant suivi la disparition du Cheikh rendent nécessaire de prolonger le récit au-delà de 2004, jusqu’à la date de publication du présent ouvrage, la première biographie en langue française consacrée à cette figure ô combien controversée. Une biographie rédigée par un chirurgien français, qui s’est rendu à de multiples reprises à Gaza et qui ne fait pas mystère de ses prises de position en faveur de la cause palestinienne.