Roi d’Espagne depuis bientôt cinq ans, Philippe VI a réussi à stabiliser l’institution monarchique et à gagner la confiance des Espagnols. Dans un pays en proie au doute et à l’instabilité politique, le roi est le garant de l’histoire et de l’unité du pays.
Un blason redoré ?
Le 19 juin 2019, Philippe vi et son épouse, la reine Letizia, célèbrent leur cinquième anniversaire sur le trône espagnol (1). C’est en effet en juin 2014 qu’amoindri physiquement et affaibli par plusieurs scandales concernant la famille royale, Juan Carlos décide d’abdiquer – ce que d’aucuns considèrent comme son « dernier service envers l’Espagne ». Comme à chaque anniversaire, un bilan de ce début de règne est tiré par les médias ibériques, qui s’intéressent notamment à la popularité des différents membres de la famille royale. Ces enquêtes d’opinion semblent sans appel, le monarque engrangeant des cotes de soutien qui peuvent monter jusqu’à 80 % (2), soit plus que son père n’a jamais obtenu en trente-neuf ans.
Un véritable exploit au vu de la fin des dernières années de Juan Carlos, surtout dans un pays qui était davantage « juancarliste » que véritablement monarchiste (3). Faut-il pour autant en conclure que Philippe vi est totalement tiré d’affaire et ne rencontre aucune opposition ? Ce serait un peu simple au vu des défis qui se posent à lui.
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Une question de personnes, de partis et de régions
Tous les membres de la famille royale ne jouissent pas de la même popularité. L’héritière au trône, Leonor, a par exemple très bien réussi ses premiers pas en public en octobre 2019 (4). La reine Letizia, en revanche, a toujours du mal à s’imposer dans la société espagnole et bénéfice d’un soutien moindre que Juan Carlos (5). Paradoxalement, la souveraine est mieux notée chez les jeunes gens et les votants de Podemos (généralement plus critiques à l’égard de la monarchie) que chez les partisans convaincus du système monarchique (6). Globalement, du Parti socialiste ouvrier espagnol à Vox, l’ensemble des formations politiques nationales sont monarchistes – c’est à l’extrême gauche que la proclamation d’une république est une idée en vogue (7).
Sans surprise, c’est au Pays basque et en Catalogne (deux communautés autonomes traversées par des mouvements séparatistes et où les indépendantistes s’opposent à tout ce qu’ils associent à l’Espagne) que la famille royale est la plus contestée, tandis que c’est en Andalousie qu’elle est la plus appréciée. Les femmes se disent également plus facilement monarchistes que les hommes (8).
Ces quelques constats suffisent à comprendre que la royauté doit encore faire face à des oppositions qui reposent assez souvent sur une méfiance ou une haine à l’égard de l’Espagne, de son gouvernement, de son État, de son passé, etc.
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La crise catalane, point de crispation central
C’est précisément à partir de 2011-2012, avec l’essor de l’indépendantisme en Catalogne, que la famille royale a commencé à prendre conscience de la désaffection dont elle souffrait au sein d’une partie de la population de cette région. La question est d’autant plus délicate que, constitutionnellement parlant (article 56), la monarchie espagnole est le symbole de l’unité et de la continuité de l’État (9). C’est d’ailleurs une caractéristique qu’elle partage avec les autres monarchies d’Europe (10).
C’est avec un œil sur ses obligations légales (11) et un autre sur la nécessité de trouver l’apaisement et la concorde (12) que Philippe vi a agi tout au long des années 2014-2019, cherchant à tendre des ponts entre Madrid et Barcelone tout en réaffirmant la primauté de la loi. Son allocution télévisée du 3 octobre 2017, deux jours après le référendum sécessionniste illégal, a été très ferme à ce sujet, ce qui a été apprécié par nombre de citoyens espagnols, y compris en Catalogne (13).
Dans le même temps, les discours du monarque à la nation et ses visites officielles dans la communauté autonome catalane (dont il parle la langue) ont été autant de tentatives de recoudre certaines plaies et de remonter un peu le moral d’une Espagne malmenée ces dernières années.
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Y a-t-il un pilote à bord ? – Le roi face au monde politique
L’instabilité parlementaire qui caractérise le pays depuis les élections générales de décembre 2015 constitue un défi supplémentaire pour la royauté. Cette dernière a dû faire face à plusieurs blocages politiques, des dissolutions anticipées du Parlement, une motion de censure couronnée de succès et la mise en œuvre du premier gouvernement de coalition de la jeune démocratie espagnole.
Devant l’incapacité des différentes formations à se mettre d’accord pour former un cabinet stable et conduire la politique du pays, Philippe vi est apparu comme le seul à même d’incarner l’Espagne, comme un roc dans la tempête. Le monarque s’est élevé au-dessus des querelles partisanes (14) et a rappelé aux élus leurs responsabilités dans la paralysie qui frappait l’Espagne (15), ce qui est justement son rôle – même s’il s’agit d’une mission bien complexe par les temps qui courent.
L’avenir est la clef
Ce sont désormais les nouvelles générations qui sont capitales pour la monarchie espagnole. En premier lieu, la princesse des Asturies, Leonor, doit poursuivre sa formation et continuer à se faire connaître des Espagnols (16).
Ce sont également les jeunes Espagnols, sur lesquels le roi s’étend longuement dans ses allocutions télévisées du 24 décembre, qui devront être convaincus par la forme monarchique de l’État (17). Afin de leur montrer, à eux et à l’ensemble de la nation espagnole, que la royauté est digne de confiance et joue un rôle utile, le souverain a initié dès 2014 une série de réformes internes visant à donner plus de transparence à l’institution (18).
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Au fond, le défi est toujours le même pour la monarchie espagnole : incarner la « tête » de l’Espagne, tenter de parer aux attaques contre le pays et refléter les valeurs que les Espagnols défendent ou essayent de défendre au quotidien (19). À l’heure où le gouvernement central compte des membres ouvertement républicains, c’est la tâche cruciale à laquelle s’attelle le souverain.