Créée au XIXe siècle, l’espéranto a connu des succès d’estime et une véritable communauté s’est organisée autour de cette langue. Son échec montre qu’il est difficile de créer une langue déconnectée des nations et des territoires.
L’anglais est aujourd’hui la langue de la mondialisation, et cet état de fait ne semble pas devoir être remis en cause dans l’immédiat. Mais à la fin du XIXe siècle, dans le contexte d’un monde multipolaire, un médecin juif de Bialystok, Ludwig Zamenhof, a réussi à créer une langue qui fédérera beaucoup d’espoirs des décennies durant, mais n’obtiendra jamais la consécration attendue.
C’est en 1887 que le docteur Zamenhof publie son livre, Langue Internationale. C’est certes un manuel de langue, mais aussi un véritable manifeste, et à la fin, se trouvent des coupons à renvoyer à l’auteur, consistant en un engagement à diffuser cette langue si le nombre de souscriptions dépasse les 10 millions. Le succès est au rendez-vous, puisqu’une vingtaine d’années plus tard, en 1905, se tient le premier congrès mondial d’esperanto à Boulogne-sur-Mer.
Une langue bien conçue et résistante
Le succès de l’esperanto tient d’abord à une conception réussie qui lui a permis de supplanter les autres projets de langue universelle. Une grammaire réduite à 16 règles, des racines issues des principales langues européennes sur lesquelles on peut former nom, verbe et adjectif par simple changement de terminaison, rendent son apprentissage aisé. En outre, il s’est imposé face au volapük, moins aisé d’apprentissage, et dont le mouvement était miné par les divisions. Ce problème a aussi concerné l’Espérantie (1), mais ne l’a pas significativement affecté : l’Ido, langue créée à la suite d’une scission, n’a jamais connu un réel succès.
Dès ses premières années, elle séduit de nombreuses personnalités : écrivains, scientifiques et explorateurs apprécient souvent le concept, et l’adoptent parfois avec la même facilité que l’apprentissage de la langue. Mais c’est parmi les pacifistes qu’elle fait le plus d’émules : Jean Jaurès propose d’ailleurs qu’elle soit utilisée par l’Internationale socialiste pour la diffusion des nouvelles par son Office bruxellois.
Une langue sans territoire, mais pas en dehors de l’histoire
Le mouvement espérantiste s’est rapidement doté d’emblèmes, il a ainsi un hymne et un drapeau. Il a même eu sa propre monnaie, le Stelo, qui était indexée sur le Florin néerlandais. Certains militants du mouvement ont voulu territorialiser ce mouvement hors sol, sans succès toutefois. L’exemple le plus notable est celui du Moresnet neutre en 1908, territoire situé à la limite de la Belgique et de l’Empire allemand, et disputé par les deux. Il connaîtra un succès d’estime, puisque reconnu capitale du mouvement par le congrès de Dresde de la même année, mais il sera rapidement balayé par la Première Guerre mondiale.
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Dans tous les cas, l’importance du mouvement ne laissait pas indifférent lors des plus grands soubresauts du XXe siècle. L’Allemagne nazie fit interdire cette langue, assimilée au judaïsme de son fondateur. Staline ne l’appréciait pas plus, en raison de son « cosmopolitisme ». Mais à contrario, Fidel Castro permit l’accueil du 75e congrès du mouvement à La Havane, et déclara que l’esperanto devait être la « langue de l’humanité ». Quant à l’Église catholique, malgré la sympathie affichée par plusieurs papes, dont Jean-Paul II qui l’utilisa pour la bénédiction Urbi et Orbi, elle n’y dépasse pas le succès d’estime.
La force du réseau communautaire
La pratique de l’esperanto dans le monde est difficile à mesurer, étant donné qu’elle n’est pas langue officielle ou administrative. Le meilleur indice reste la présence des associations espérantophone, car c’est le principal cadre de son utilisation et de sa transmission. On constate ainsi qu’il s’agit avant tout d’un phénomène européen, qui s’est transmis sur le continent américain et en Océanie, en particulier dans les pays d’émigration du XXe siècle (États-Unis, Brésil, Argentine…). Dans le reste du monde, l’Esperanto rencontre peu de succès en Afrique, et est quasiment absent des mondes arabe et turc. En revanche, son succès est notable en Asie, notamment au Japon et surtout en Chine, où il a entre autres l’intérêt de constituer une langue européenne facile d’accès.
L’avènement des années 1990 et de la mondialisation aura eu raison du projet universaliste de l’Esperanto. En effet, cette époque a consacré l’anglais en tant que langue universelle, portée par les États-Unis. Le projet universaliste devant transcender les nations, constitutif de l’esperanto, aura été autant une force qu’un handicap : il en a résulté qu’il n’a jamais eu le soutien d’un État, élément décisif dans le succès de l’anglais. Cependant, l’Espérantie survit en tant que communauté transnationale, son fonctionnement étant tout à fait adapté à la société façonnée par l’Internet. Utopie née au XIXe siècle, ayant vécu au XXe siècle, elle semble survivre aux affres du XXIe siècle, continuant à prouver son caractère inoxydable. Et si elle finissait par gagner à l’usure ?
Très bon résumé, sans parler de la réflexion finale !
Politologue et spécialiste de politique linguistique, le professeur Jonathan Pool avait dit à la revue National Geographic, le 15décembre 2009 : “La chose la plus proche d’un langage universel humain est aujourd’hui l’anglais, mais, à de nombreux égards, l’anglais ne parvient pas à la hauteur du rêve de Zamenhof qui a été d’aider à la création d’un monde plus équitable.“
Ça rejoint donc votre conclusion.
Pour sa part, après avoir été amené à étudier l’espéranto pour la préparation d’un cours au Collège de France en 1992-1993, le professeur Umberto Eco avait dit sur Paris Première, alors qu’il avait été questionné par Paul Amar sur « l’échec de l’espéranto » : « On ne peut pas dire qu’elle a raté », et, en d’autres occasions, comme Claude Hagège, il a souligné que les raisons pour lesquelles il n’a pas encore émergé ne sont pas linguistiques mais politiques.
Il y aurait un autre aspect à traiter mais ça exigerait un article au moins aussi long : Les pires régimes du XXe siècle ont considéré l’espéranto comme une langue dangereuse. Voir à ce sujet un ouvrage paru d’abord en japonais, puis en allemand et espéranto, traduit en plusieurs autres langues et enfin en anglais : « Dangerous Language — Esperanto under Hitler and Stalin » (T.1), et « Dangerous Language: Esperanto and the Decline of Stalinism (T. 2) .
Enfin, il semble utile d’ajouter que l’espéranto est régulièrement utilisé pour des émissions radiophoniques aussi bien par Radio Vatican que par Radio Chine Internationale.
L ‘espéranto est peut-être une utopie aux yeux de certains, mais le fait est là: depuis 1887, il existe et a tracé son chemin dans de nombreux pays. Je fais partie de ceux qui l’apprécient et s’en servent fréquemment. N’oublions pas qu’il est une des langues utilisées par l’UNESCO.
Victor Hugo a écrit: » » L’utopie, c’est l’avenir qui s’efforce de naître. » et elle « est la vérité de demain ». Alors, espérons!
Un monde sans utopies serait tellement plus triste et tellement moins riche!
Un article documenté et intéressant avec une conclusion ouverte : Et si l’espéranto finissait par gagner à l’usure? « L’échec » de cette langue souligné dans le sous-titre relève à mon sens de la bouteille à moitié vide ou pleine selon le point de vue. Malgré les totalitarismes des années 30, puis la guerre froide des deux Supergrands promouvant leurs langues, l’espéranto s’est développé. Le manque de soutien étatique est sa principale faiblesse. Le 21-ème siècle pourrait changer la donne.
Les USA , première puissance mondiale, connaissent un déclin relatif : d’environ 50% de la production et des exportations industrielles mondiales en 1945, leur part est aux environs de 10% aujourd’hui. Le monde est devenu multipolaire.
L’anglais est une langue nationale difficile, selon le linguiste Claude Hagège ; elle est au premier rang pour la communication internationale. Mais ceux qui déclarent bien parler l’anglais constituent environ 10% de la population mondiale (dont 6% d’anglophones de naissance). Quid des 90 autres pour cent? L’intérêt des peuples non anglophones (94% de la population mondiale) n’est pas le tout-à l’anglais.
La généralisation d’Internet et du « deep learning » permettront à tout un chacun de tester l’espéranto, « langue au moins huit fois plus facile que n’importe quelle autre langue » selon le secrétaire général adjoint de la Société des Nations Inazo Nitobé.
La solidarité internationale pour l’écologie devra se développer dans les décennies à venir, et l’espéranto, accessible à tous en relativement peu de temps, a son rôle à jouer pour contribuer à résorber « la guerre des langues ».
Après tout, certaines utopies d’hier sont des réalités d’aujourd’hui ou le seront demain
Et si le Brexit fournissait enfin l’argument attendu pour sortir de l’emploi d’une langue hégémonique et non universaliste , élitiste et uniformisatrice. Qu’attendent les pays non-alignés (Brésil)Russie, Inde, Chine… ?
Et moi l’espéranto que je pratique depuis 51 ans, il m’a permis de communiquer dans de nombreux pays dont la Chine, le Brésil, Cuba, Angleterre, Etats Unis, Canada, Pologne, Russie, Danemark, Italie, Espagne, Grèce, Inde, Croatie, Irlande ; j’ajoute pour l’auteur qu’ayant été 39 ans dans l’aviation, j’ai pu constater que l’anglais est une des principales causes d’accidents d’avions et de risques d’accidents à cause de nombreuses confusions et incompréhensions entre pilotes et tours de contrôle, anglais pas précis, trop difficile pour les non anglais que beaucoup ne peuvent pas prononcer, c’est ainsi que j’ai noté que l’aviation civile britannique a relaté en 18 mois sur son territoire 267 risques d’accidents pouvant faire des catastrophes dus à l’anglais donc il serait temps que les politiciens étudient autre chose de plus simple et facile. Il y a déjà eu des centaines et centaines de tués dus à l’anglais. Ne trouvez vous pas Monsieur qu’il serait mieux de faire connaître autre chose aux enfants des écoles que l’anglais.
Recommandations de la conférence générale de l’UNESCO en faveur de l’espéranto
La Conférence générale de l’UNESCO a adopté à deux reprises, en 1954 puis en 1985, une résolution en faveur de l’espéranto.