Tian an men : camoufler la répression

20 septembre 2019

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : La Chine subit une envolée des taux d'inflation à la production, le plus haut depuis 13 ans. En conséquence : la mise en place de mesures restrictives.

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Tian an men : camoufler la répression

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Le journaliste Éric Meyer, qui avait rendu compte il y a trente ans des tragiques événements de la place de Tiananmen réédite son ouvrage paru alors dans le feu de l’action, agrémenté d’une préface fournie. D’emblée, il écrit que dans l’histoire chinoise, il y a un avant et un après la nuit du 3 au 4 juin 1989. Sur cette place aujourd’hui quadrillée et interdite d’accès au public, furent massacrées -selon les indications du gouvernement britannique révélées en juin 2018, 10 000 étudiants, parmi la fine fleur éduquée du régime socialiste, chiffre énorme compte tenu de la rapidité avec laquelle ce massacre de masse a été perpétué.

Aucun bilan officiel n’a été donné, mais des historiens avancent le chiffre de 2 800 morts autour de la place de Tiananmen, aussi le chiffre de 10 000 doit comprendre les exécutions qui ont eu lieu bien après les évènements. On se souviendra des circonstances dans lesquelles ceci est intervenu : à la mort, le 15 avril de Hu Yaobang, dirigeant libéral, jugé trop modéré envers les manifestations étudiantes, avait été écarté deux ans auparavant. Le jour de ses funérailles, organisées dans le Palais du peuple, en présence de tous les dignitaires, des milliers d’étudiants se mirent à manifester par milliers puis centaines de milliers, mouvement favorisé par la déchirure au sein du Politbureau. Les étudiants finirent par s’installer sur la Place et réclamer plus de démocratie, moins d’inégalités et un dialogue avec le gouvernement auquel celui-ci ne voulut pas se prêter.
Ce « printemps de Pékin » bénéficia d’un large soutien de la population qui s’opposa à l’arrivée des troupes chargées de restaurer l’ordre, dont une partie prit le parti des étudiants. Ces évènements éclipsèrent même la réconciliation sino-soviétique, symbolisée par l’arrivée de Mikhail Gorbatchev chaudement accueilli par les étudiants, ce que Deng Xiaoping vécut comme une amère humiliation. Devenus majoritaires, les conservateurs menés par le Premier ministre Li Peng, qui s’opposa frontalement au secrétaires général Zhao Ziyang plus ouvert au dialogue, s’inquiétèrent d’une réforme qui saperait leurs privilèges et les bases sur lesquelles reposait le régime.

Zhao en appela à la rue et à l’étranger, encouragé par le flot des protestations qui revendiquaient l’abandon de la dictature du prolétariat. Dès lors Deng Xiao Ping et ses nouveaux alliés se résolurent à emprunter la voie de la répression, qui s’avéra implacable. La place Tiananmen fut investie dans la nuit du 3 au 4 juin par des troupes de jeunes soldats provinciaux « endoctrinés » auxquels il fut avancé qu’il fallait s’opposer aux tentatives contrerévolutionnaires appuyées de l’étranger. Les chars d’assaut soutenus par des fantassins tirèrent sur la foule, l’équipe dirigeante fut démise et la ligne politique retournée à cent quatre-vingts degrés. L’aile réformatrice disparue de la scène et il n’y a guère de chance qu’elle y revienne comptée tenu du sévère tour de vis opéré par XI Jinping, qui en revient à la discipline maoïste.

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La Chine se trouva isolée et mise au ban des nations, les pays occidentaux lui imposèrent un embargo sur les ventes d’armes. La France qui fêtait avec faste le 200e anniversaire de la Révolution avait accueilli d’anciens dirigeants du mouvement et condamné avec force Pékin par la voix du président François Mitterrand : « Un régime qui, pour survivre, en est réduit à tirer sur la jeunesse qu’il a formée et qui se dresse contre lui au nom de la liberté n’a plus d’avenir ». Mais cette période d’ostracisme ne dura que quelques années. Deng eut l’intelligence de combiner le retour de l’autoritarisme par une politique sans précédent de développement financé par l’État et d’encouragement d’une industrie privée inaugurant une période de trente années de croissance à deux chiffres. Sur le plan des libertés, le nouveau Premier secrétaire Jiang Zemin fit lui aussi de nombreuses concessions : une créativité littéraire débridée (mais apolitique) vit le jour, qui allait culminer avec deux prix Nobel de littérature (Gao Xinjiang et Mo Yan). On vit aussi émerger des cinéastes de stature mondiale tel Zhang Yomou, des peintres et des architectes. Les mœurs sexuelles se relâchèrent – chez les jeunes comme chez les adultes désormais assoiffés de jouissance et de découverte du corps. Un enrichissement phénoménal bouleversa la Chine – il dure encore : le régime avait gagné son pari et survivait. Mais il n’y eut jamais de pardon – il n’en fut jamais question, faute pour l’État de l’avoir demandé. L’Etat a occulté tout souvenir de la nuit fatale, devenue son secret – un secret de polichinelle, mais parfaitement respecté auprès de la jeunesse dont 95% n’ont aucune idée du massacre passé. Pour cette jeunesse, un rideau blanc a été tendu sur cette phase précédant sa naissance.

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À quoi ressemble la Chine de 2019, trente ans plus tard sous cette nouvelle constellation politique ? Aujourd’hui, la nouvelle génération n’a plus grand-chose en commun avec celle de 1989. La morale collective a été relayée par des idéaux intimes et privés. On veut s’exprimer, avoir vécu, s’enrichir. Le socialisme est mort et enterré : son sort n’intéresse personne. La société chinoise est bloquée, conclut Éric Meyer. Mais c’est aussi une société fière de ses TGV, de ses autoroutes, de ses fusées, de ses réalisations depuis trente ans, de ses technologies nouvelles uniques au monde : l’Etat a réussi à remplacer, chez les jeunes, l’aspiration démocratique par le nationalisme. Il reste à voir combien de temps durera cette situation, la société chinoise de plus en plus étroitement surveillée et notée, aspirera-t-elle à plus de liberté et de pouvoir. Une grande partie de l’avenir du monde en dépendra.

Eric Meyer, Pékin, place Tian an Men : 15 avril – 24 juin 1989, Babel éditeur, coll. Babel essai (mars 2019)

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.

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