Faut-il négocier avec l’Iran sur le nucléaire ?   

12 juin 2025

Temps de lecture : 7 minutes

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Faut-il négocier avec l’Iran sur le nucléaire ?  

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Sur le dossier iranien, les Etats-Unis donnent l’impression de changer leur position et leur discours. Avec une question de fond cruciale : faut-il négocier avec Téhéran ? Et si oui, sur quelles bases ? 

La reprise des négociations sur la question nucléaire entre les États-Unis et l’Iran a été largement saluée comme une avancée vers la pacification du Moyen-Orient. Donald Trump, qui s’était retiré unilatéralement de l’accord sur le nucléaire iranien signé en 2015, démontre une nouvelle fois son appétence pour une approche transactionnelle des relations diplomatiques. En envoyant son émissaire pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, négocier avec Abbas Araghtchi, le chef de la diplomatie iranienne, le président américain prend toutefois le risque de répéter les erreurs de l’administration Obama en 2015.

Alors que le retrait de 2018 avait parfois été qualifié d’arbitraire, il s’avère en réalité que cette décision était judicieuse au regard des limites de l’accord ; ce dernier ressemblant davantage à un outil temporaire d’apaisement qu’à une solution pérenne à la menace nucléaire iranienne. La reprise des négociations fait courir le risque que Donald Trump emprunte un chemin aboutissant à un schéma similaire à celui de 2015.

Car les intentions iraniennes dans ces négociations où les deux parties entretiennent des positions contradictoires apparaissent essentiellement dilatoires. À compter d’octobre 2025, la communauté internationale encore partie à l’accord de 2015 ne pourra plus revenir sur la levée des sanctions consentie à l’époque de sa conclusion. Dans une situation économique difficile, ce détail contractuel est d’une importance capitale pour le régime des mollahs. La communauté internationale devrait plutôt tirer profit du contexte international, économique et politique défavorable à l’Iran afin d’obtenir le démantèlement pur et simple de son programme nucléaire, que ce soit au moyen d’un accord contractuel reposant sur un modèle beaucoup plus restrictif que celui de l’accord de 2015 ou, en dernier recours, par le biais d’une opération militaire.

Un accord de 2015 en forme d’apaisement

Au début des années 2000, dans un contexte international fortement marqué par les attaques terroristes du 11 septembre 2001, des images satellites laissent à penser que le régime iranien conduit des recherches nucléaires. D’abord réceptive aux préoccupations occidentales, Téhéran décidera ensuite d’accélérer ses activités d’enrichissement d’uranium sous la houlette du très conservateur Mahmoud Ahmadinejad, provoquant ainsi la réaction de la communauté internationale. Entre 2006 et 2010, l’ONU prend une série de résolutions qui sanctionnent les entités liées aux programmes nucléaire et balistique iraniens et impose un embargo sur son armement, tout comme le gel des avoirs des individus liés à ces programmes. L’Union européenne prendra quant à elle des mesures visant notamment à exclure l’Iran du système bancaire européen et imposera un embargo sur le pétrole iranien. La panoplie de sanctions sera complétée par Washington, qui renforcera l’isolement bancaire et financier du régime iranien tout en instaurant un boycott des entreprises traitant avec l’Iran.

Les relations entre la communauté internationale et Téhéran n’ont cependant jamais été véritablement rompues. Le 14 juillet 2015, l’accord sur le nucléaire iranien, ou Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), est signé à Vienne entre l’Iran, les États-Unis, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France. Cet accord prévoit une limitation du programme nucléaire iranien en échange d’une levée des sanctions internationales. En vertu de cet accord et pour une durée de 15 ans, l’Iran ne pourra pas dépasser un seuil d’enrichissement d’uranium fixé à 3,67% , ce qui correspond à un usage civil. Par ailleurs, son stock d’uranium enrichi devra être inférieur à 300 kilos sur la même période, tout excédent devant être exporté. Des contrôles diligentés par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sont également prévus.

Cet accord avait été vivement critiqué aux États-Unis par les républicains lors de sa conclusion par l’administration Obama. Donald Trump avait ainsi fait du retrait un des arguments de sa campagne victorieuse de 2016. Il considérait que cet accord « horrible » « n’aurait jamais dû être conclu » et estimait : « nous avons obtenu de faibles inspections en échange de rien de plus que de repousser, purement à court terme et temporairement, l’avancée de l’Iran vers l’arme nucléaire »[1]. L’argument du caractère uniquement temporaire des restrictions était fondé en ce que l’accord serait ensuite vidé de sa substance. Ce n’est cependant pas le seul défaut du JCPOA qui ne traite pas la question des missiles balistiques iraniens pourtant capables d’être utilisés dans le cadre d’une attaque nucléaire. Enfin, les visites des agents de l’AIEA n’incluent pas les sites militaires iraniens, laissant ainsi tout loisir aux dirigeants de contourner l’accord à l’abri des regards.

En raison de ces défauts, le JCPOA conclu en 2015 ressemble à une solution d’apaisement à court terme aboutissant seulement à repousser l’obtention de l’arme nucléaire par l’Iran. En ce sens, la décision de Donald Trump de se retirer de l’accord faisait preuve de cohérence. La récente reprise des négociations laisse cependant craindre que le républicain ne répète les erreurs originelles de l’administration Obama en concluant un accord structurellement comparable.

Une manœuvre dilatoire évidente

Au regard des positions iraniennes et américaines, il est peu probable que les négociations en cours aboutissent à une solution satisfaisante pour les deux parties. L’Iran a ainsi indiqué clairement qu’il ne renoncerait pas à l’enrichissement de l’uranium. Faisant de cette condition une ligne rouge, Behnam Saeedi, député iranien membre de la Commission de sécurité nationale, déclarait ainsi que « nous n’aspirons pas à l’arme nucléaire. Toutefois, l’énergie nucléaire est le droit inaliénable de toute nation »[2]. Alors que Steve Witkoff indiquait au début des négociations vouloir maintenir le seuil de 3,67%, il est rapidement revenu sur ses propos pour affirmer que « l’Iran doit arrêter et éliminer l’enrichissement nucléaire et son programme d’armement »[3]. Au vu de ces positions antinomiques, la question de l’intérêt même de la tenue de ces négociations se pose.

En s’engageant dans ce cycle, Téhéran espère certainement convaincre les signataires de l’accord de 2015 de ne pas revenir sur la levée des sanctions qu’il prévoyait. Conformément aux stipulations du JCPOA, les parties restantes ont jusqu’au mois d’octobre 2025 pour réinstaurer les sanctions et ainsi activer le mécanisme dit de « snapback ». La levée des celles-ci avait permis à l’économie iranienne de renouer avec la croissance alors qu’elle alternait entre récession et stagnation. Après une année budgétaire 2015 marquée par un taux négatif de – 1,6%, l’exercice 2016 affichait un taux de croissance de 13,4%[4]. La croissance s’est ensuite rééquilibrée pour conserver un rythme soutenu avant de subir les conséquences du COVID-19 et celles du retrait américain de 2018. Pour 2025, le FMI prévoit une croissance de 0,3%, soit un retour à la stagnation, couplée à une inflation qui devrait atteindre 43,3%[5]. Face à ces perspectives sombres et dans un contexte de hausse de la pauvreté, les dirigeants iraniens sont conscients des effets désastreux qu’aurait une réinstauration des sanctions. Ils ont donc tout intérêt à attendre que le délai de déclenchement du mécanisme de snapback expire. Précisons par ailleurs qu’un délai de 65 jours est nécessaire pour le mettre en œuvre, ce qui implique que la décision doit être prise avant la mi-juillet[6].

Par ailleurs, rien ne permet de croire en l’efficacité d’un éventuel nouveau traité reprenant le principe du JCPOA en prévoyant le respect de certains seuils alors que l’Iran n’a pas respecté certaines de ses obligations au titre de l’accord de 2015. Au cours des dernières années, Téhéran a en effet continué de renforcer son stock d’uranium, l’AIEA estimant en 2024 que ce stock était trente fois supérieur à la limite du JCPOA[7], et largement dépassé le seuil de 3,67% pour enrichir son uranium à un taux de 60%[8]. L’AIEA révèle même avoir détecté des particules d’uranium enrichies à 83,7%[9]. Alors que les négociations sont en cours, l’Iran continue d’enrichir son uranium et dispose désormais d’un stock d’uranium enrichi à 60% de 408,6 kilos, soit une hausse de 50% par rapport à février dernier.

Au regard de ces éléments, il apparaît tout d’abord que ces négociations ont été ouvertes dans un but purement dilatoire et qu’aucun accord ne pourra vraisemblablement en résulter. De plus, même dans l’hypothèse de la signature d’une version renforcée du JCPOA, rien ne pourrait écarter la menace nucléaire iranienne de manière certaine dès lors que l’Iran serait autorisé à poursuivre un quelconque programme nucléaire, aussi limité soit-il. Dès lors, le modèle du JCPOA doit être délaissé au profit d’une stratégie plus ambitieuse.

Un contexte propice à l’adoption d’une stratégie plus ambitieuse

Le contexte actuel est également très différent de ce qu’il était lorsque le JCPOA de 2015 avait été signé. La menace régionale que représente le régime des mollahs s’est considérablement accrue et son ampleur a été pleinement révélée depuis l’éclatement de la guerre à Gaza, consécutive à l’attaque terroriste du Hamas en Israël le 7 octobre 2023. A la tête de l’« axe de la résistance », Téhéran a fait montre d’un potentiel de nuisance considérable. En mobilisant ses proxys contre l’état hébreu, l’état perse a grandement perturbé les fragiles équilibres régionaux. Toutefois, l’Iran est pour l’instant affaibli par son affrontement indirect avec Israël. Le Hamas est pris en étau par Tsahal dans la bande de Gaza, le Hezbollah libanais a été décapité et est en voie de démilitarisation et les tirs de missiles d’octobre 2024 contre Israël ont prouvé la relative faiblesse des capacités militaires iraniennes. Il serait donc pertinent de tirer profit de ce contexte international défavorable au régime des mollahs qui vient s’ajouter à une situation économique préoccupante.

La première étape doit nécessairement être l’activation immédiate du mécanisme du snapnack par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne afin de neutraliser la stratégie dilatoire de la République islamique. Privée de ce levier économique, celle-ci serait alors exposée à un mouvement de contestation populaire et se verrait contrainte à des concessions nettement plus significatives. D’autant que l’argument sécuritaire n’a que peu de poids dans la mesure où Israël, dotée de l’arme atomique, ne l’a pas utilisée contre Téhéran malgré les nombreuses attaques perpétrées contre elles par l’« axe de la résistance ».

Une fois les sanctions réimposées et Téhéran disposé à négocier, un accord beaucoup plus restrictif que le JCPOA pourrait être envisagé. La première mesure devrait être l’abandon pur et simple du programme d’enrichissement d’uranium iranien sans que la moindre exception ne soit prévue, même dans le cadre d’un usage civil. Les stocks d’uranium devront être intégralement détruits ou exportés sous le contrôle de l’AIEA. Par ailleurs, il conviendra aussi de traiter la question du programme des missiles balistiques selon des termes similaires. Enfin, les agents de l’AIEA devront disposer d’un pouvoir discrétionnaire de visite qui s’étendra aux sites militaires et pourra être exercé sans préavis afin de vérifier que l’Iran respecte bien les termes de ce nouvel accord. Ces dispositions ne devront bien entendu pas faire l’objet d’une limitation dans le temps.  Des mesures aussi restrictives pourront être justifiées par le rôle de l’Iran dans l’« axe de la résistance » et par les troubles qui en ont découlé.

Parallèlement, le non-respect d’une ou plusieurs de ces obligations devrait pouvoir donner lieu à une intervention militaire immédiate des signataires de cet éventuel nouvel accord par le biais d’une coalition. Un tel accord, en plus de faire preuve de pragmatisme, aurait le mérite de rassurer Israël. Le gouvernement de Benyamin Nétanyahou se montre en effet très inquiet de l’issue des tractations entre Washington et Téhéran et n’écarte pas le recours à une campagne de bombardements des installations nucléaires iraniennes. Très récemment, le Premier ministre israélien a demandé à la communauté internationale d’« agir maintenant pour stopper l’Iran »[10]. Pour l’instant ouvert aux négociations, Donald Trump a indiqué qu’il pourrait changer d’approche en l’absence d’accord[11]. Un changement d’approche serait également préférable à un accord inefficace.

[1] https://www.lefigaro.fr/international/2017/10/13/01003-20171013ARTFIG00119-donald-trump-pourrait-fragiliser-l-accord-sur-le-nucleaire-iranien-sans-le-dechirer.php

[2] https://www.israelhayom.com/2025/05/25/iran-stresses-its-red-line-to-us/

[3] https://www.nationalreview.com/2025/04/on-iran-nuclear-dismantlement-must-be-the-goal/

[4] https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/les-perspectives-economiques-en-iran-130834

[5] https://fr.iranfocus.com/economy/economie/19468-fmi-liran-connaitra-une-croissance-economique-quasi-nulle-en-2025/

[6] https://www.mideastfreedomforum.org/fileadmin/editors_de/Artikel/Policy_Paper/MFFB_Policy_Paper_Snapback_Iran_en.pdf

[7] https://www.gov.uk/government/news/iran-and-un-security-council-resolution-2231-e3-joint-statement#:~:text=The%20Director%20General%20of%20the,without%20a%20nuclear%20weapons%20programme.

[8] https://commonslibrary.parliament.uk/research-briefings/cbp-9870/

[9] https://www.iaea.org/sites/default/files/documents/gov2023-8.pdf

[10] https://www.haaretz.com/israel-news/2025-05-31/ty-article/israels-netanyahu-says-intl-community-must-act-now-to-stop-iran-after-iaea-report/00000197-2630-da41-a9f7-3fb4ce450000

[11] https://www.nytimes.com/2025/04/25/us/politics/iran-israel-nuclear-talks.html

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À propos de l’auteur
Edouard Chaplault-Maestracci

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