<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Transmission des entreprises familiales : enjeu géoéconomique, réponse fiscale

21 mai 2020

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Réunion à Bercy sur l'application de la loi PACTE, Auteurs : PATRICK GELY/SIPA, Numéro de reportage : 00923481_000013.
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Transmission des entreprises familiales : enjeu géoéconomique, réponse fiscale

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La transmission familiale des entreprises est un moyen de de pérenniser notre tissu économique et de le renforcer. Encore faut-il que la fiscalité l’accompagne. 

Que la fiscalité française soit d’une complexité abyssale, rien ne le montre plus clairement que le fameux « pacte Dutreil », créé en 2003 pour alléger le coût fiscal de la transmission familiale des entreprises et préserver au mieux la pérennité du tissu économique français. Le dispositif Dutreil permet d’appliquer un abattement de 75 % sur la valeur des titres transmis avant leur soumission aux droits de mutation (succession ou donation). Le taux marginal supérieur (soit 45 %) ne porte que sur le dernier quart restant (soit 11,25 %), encore réduit de moitié (soit 5,63 %) lorsque la transmission est réalisée en pleine propriété et que le donateur a moins de 70 ans. Très généreux en apparence, l’engagement Dutreil ne l’est pas autant qu’on le croit, compte tenu de la rigueur et de la forte progressivité du barème appliqué en France aux droits de mutation à titre gratuit, qu’un tel mécanisme dérogatoire ne fait finalement que contrebalancer.

Avec des taux maximaux respectifs de 50 et 55 %, seuls la Corée du Sud et le Japon apparaissent plus sévères. Encore faut-il ajouter que le taux de 45 % s’applique en France aussitôt franchis les 1,8 million d’euros d’assiette taxable, là où, par exemple, le taux allemand de 30 % ne s’applique qu’au-delà de 26 millions d’euros. L’application chez nos voisins européens de régimes de faveur analogues dans leur esprit au pacte Dutreil français aboutit donc à des taux marginaux effectifs d’imposition le plus souvent inférieurs à 5,63 % : 4,5 % en Allemagne, 3 % en Belgique et même 0 % en Italie. Pire, ou mieux, nombreux sont les pays européens à avoir aboli totalement les droits de mutation à titre gratuit (l’Autriche, la Suède, la Suisse, la Norvège, la Russie, le Portugal, la Hongrie, ou encore, pour les seules donations, le Royaume-Uni). Comment s’étonner dès lors du faible taux de transmission des entreprises dans le cadre familial, et du morcellement du capital qu’il génère nécessairement : seulement 17 % en France, contre 56 % en Allemagne et 70 % en Italie, d’après une étude publiée en 2015 par le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI) ?

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L’examen au Parlement du projet puis l’adoption définitive le 22 mai 2019 de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite loi Pacte, fut l’occasion de remettre le sujet sur le devant de la scène. Certes, la simplification des conditions d’engagement comme l’assouplissement des obligations déclaratives liées au pacte Dutreil sont allées dans le bon sens. On peut craindre, cependant, que ces mesures ne soient pas à la hauteur d’enjeux qu’aggravent le contexte concurrentiel et l’acuité du sujet : 60 000 transmissions d’entreprises par an et pas moins de 750 000 emplois concernés à court et moyen terme.

Hélas, ceux qui alertent sur notre désavantage fiscal compétitif et réclament en conséquence une exonération totale de ces droits (tel le sénateur centriste Olivier Cadic, dans un rapport d’information paru en avril 2018 intitulé « Pour une France libre d’entreprendre ») se voient immédiatement opposer l’obstacle constitutionnel. La jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision no 2003-477 DC du 31 juillet 2003) est en effet on ne peut plus claire : la combinaison des avantages résultant du pacte Dutreil ne peut réduire à zéro les droits finalement acquittés sans violer le principe d’égalité devant les charges publiques. Puisqu’on ne peut pas n’exonérer que certains héritiers à l’exclusion de tous les autres sans méconnaître le principe d’égalité, pourquoi ne pas exonérer tout le monde, comme l’ont compris une vingtaine de pays de l’OCDE ayant déjà supprimé les droits de succession de leur système fiscal ?

Attentif au risque d’inconstitutionnalité d’une exonération complète, une proposition de loi sénatoriale LR examinée à l’été 2018 préconisait de relever le taux de l’abattement, non pas à 100 %, mais à 90 %. On décèle aussitôt l’hypocrisie de ce pis-aller, d’autant moins satisfaisant que fut conjointement avancée la nécessité de limiter le coût de la mesure pour les finances publiques. Dangereuse incurie en effet : se placer du côté de l’État plutôt que celui des entrepreneurs, c’est négliger ici l’incidence de l’installation des entreprises françaises à l’étranger sur l’érosion de notre puissance.

À propos de l’auteur
Victor Fouquet

Victor Fouquet

Doctorant en droit fiscal. Chargé d’enseignement à Paris I Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur la fiscalité et les politiques fiscales en France et en Europe.
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