<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Kristalina Georgieva et le retour de la dépense

24 août 2021

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Kristalina Georgieva, source : Wikipédia

Abonnement Conflits

Kristalina Georgieva et le retour de la dépense

par

La présidente du FMI est une femme puissante, mais peu connue du grand public. Abandonnant la rigueur budgétaire classique, elle a décidé de dépenser sans compter, éludant les conséquences néfastes que cela pourrait avoir à moyen terme.

Il était une fois la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI), nés le 27 décembre 1945 sous l’égide des Nations unies. La première, la BM, était la plus aimable, investissant dans les pays en développement, prônant la bonne gouvernance et luttant contre la pauvreté, tandis que le méchant FMI renflouait les pays ruinés en leur imposant l’enfer de l’austérité fiscale. Cette fable, désormais, relève de l’histoire ancienne. L’austérité n’est plus qu’un souvenir depuis octobre 2020 quand, lors de leur réunion annuelle, les deux institutions ont incité leurs États membres à s’endetter allègrement. « Avec la pandémie, que faire de mieux ? déclarait Carmen Reinhart, économiste en chef de la BM. D’abord faire la guerre au virus, ensuite s’occuper de voir comment financer cette guerre. » Quant à la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, elle remarquait que les pays ayant accès aux marchés financiers devraient s’endetter et dépenser sans craindre un retour de l’austérité. Puis, citant le romancier russe Fiodor Dostoïevski elle ajoutait : « Une seule chose compte, savoir oser. » 

À lire aussi : Livre : « Les organisations internationales », de Franck Petiteville

Ce basculement de doctrine que constitue l’abandon de ce qu’était hier encore la sagesse libérale, c’est-à-dire la frugalité de l’État et le contrôle de ses dépenses publiques, pour l’adoption d’une option plus aventureuse, celle de la dépense afin de relancer l’économie sans plus se préoccuper de la dette et de son remboursement, est désormais incarné par le FMI, jadis le temple de la rigueur et de l’austérité. Et à sa tête, se trouve une femme aimable, joviale et méritante, jugée par ses pairs éminemment compétente.

« Les économies de toute une vie »

Kristalina Georgieva, 67 ans, souriante et cheveux courts, est née en Bulgarie sous le régime stalinien du dictateur de l’époque, Todor Zhivkov. Elle obtient un doctorat d’économie du Haut institut d’économie Karl Marx à Sofia avec une thèse portant sur le lien entre politique de protection de l’environnement et croissance économique aux États-Unis d’Amérique. Au cours d’un déjeuner récent – en octobre 2020 – avec un journaliste du Financial Times, Brendan Greeley[1], elle raconte que le principal problème de la Bulgarie communiste était la faible productivité de son économie : « Les gens n’avaient pas la liberté d’améliorer leur travail. Nous vivions dans un environnement sans compétition. » Quand Zhivkov quitte le pouvoir en 1989, son pays est très en retard par rapport aux autres nations de l’ancienne sphère soviétique. En 1996-1997, il connaît une hyper inflation qui efface en quelques jours les économies « de toute une vie », celles de sa mère. « Je faisais la queue à quatre heures du matin pour acheter du lait pour ma fille. Si je ne le faisais pas, elle avait faim. » À la fin des années 1980, Kristalina Georgieva mène des recherches sur l’économie des ressources naturelles et sur les politiques de l’environnement à la London School of Economics, puis rejoint le Massachusetts Institute of Technology (MIT) où elle travaille sur les mêmes sujets. En 1993, elle part à Washington et intègre la BM pour s’occuper des politiques de l’environnement. En 2004, elle dirige à Moscou les opérations de la BM pour la Fédération de Russie. À son retour à Washington, en 2007, elle est nommée directrice du développement durable, un large portefeuille d’opérations de prêts concernant les infrastructures, le développement urbain, l’agriculture, l’environnement et le développement social. À ce titre, Kristalina Georgieva supervise environ 60 % des prêts de la BM. Elle en devient la vice-présidente et, après la crise financière de 2008, « joue un rôle crucial dans la réforme de la gouvernance et dans l’augmentation de capital qui l’a accompagnée », indique un communiqué de la BM.

À lire aussi : Christine Lagarde. Au cœur de la tourmente

Une activiste sur le terrain des désastres

Nommée par la Bulgarie pour entrer dans la nouvelle Commission européenne en janvier 2010, en charge de l’aide humanitaire et de la gestion des crises, une première candidate, Rumiana Jeleva, vivement contestée par le Parlement européen, se désiste. Le gouvernement bulgare propose alors la candidature de Kristalina Georgieva. Face au Parlement, celle-ci établit la liste de ses priorités, évoquant l’urgence de restaurer la sûreté, les soins et les services gouvernementaux en Haïti après le puissant tremblement de terre de janvier 2010 qui a causé la mort de 300 000 personnes. Elle se déclare favorable à une meilleure coordination entre les acteurs humanitaires et les militaires européens afin de mieux répondre aux besoins grandissants face à des budgets en déclin. Elle juge aussi nécessaire de mettre en place le corps de volontaires de l’aide humanitaire de l’UE prévu par le traité de Lisbonne. Cette audition est un succès.

La commissaire Georgieva s’avère très active sur le terrain des désastres du monde. Elle se rend en Haïti, au Chili secoué lui aussi par un tremblement de terre, au Pakistan lors de grandes inondations. Elle visite le Sahel, le Darfour, le Kirghizistan pour tenter d’éviter les catastrophes que génèrent les conflits. Bref, après son expertise sur l’environnement, elle révèle, avec son nouveau rôle de commissaire européenne, ses talents dans l’administration de l’aide humanitaire et la gestion des catastrophes. Mais elle montre aussi un autre trait, moins sympathique sans doute, sauf pour les quelque 30 000 bureaucrates de l’Union européenne : son talent pour augmenter les budgets de l’Union. Nommée en 2014 vice-présidente de la Commission pour le budget et les ressources humaines, elle hérite d’une enveloppe de 131 milliards d’euros, somme jugée par beaucoup considérable, et qu’elle parvient pourtant encore à augmenter.

« Dépensez. Gardez les reçus, mais dépensez »

En octobre 2019, Georgieva est nommée directrice générale du FMI, une institution qui avait déjà, sous la houlette de la Française Christine Lagarde, remis en cause l’austérité qui n’a pas tenu sa promesse d’un retour à la croissance. La nouvelle patronne du FMI prend le relais avec ardeur alors que très vite s’installe la pandémie de Covid. « Je ne sais pas combien de fois j’ai dit aux pays membres, dépensez. Gardez les reçus, mais dépensez », dit-elle dans l’article du Financial Times mentionné plus haut. Mais elle assortit la dépense à trois conditions : amortir le choc d’une transition économique, préserver la productivité, rendre les investissements publics efficaces. Son enthousiasme à l’endroit des dépenses publiques peut s’expliquer par la conjoncture d’une croissance mondiale mise à genoux par la crise sanitaire. Il n’empêche que la planche à billets des banques centrales, dénommée pudiquement quantitative easing, tournait déjà à plein régime bien avant la pandémie, laquelle a fait sauter les dernières barrières de la prudence. Ce qui pose un risque majeur pour l’avenir du capitalisme et celui de nos libertés.

À lire aussi : Livre ; Capitalisme : le temps des ruptures

L’économiste Patrick Aulnas, dans un article publié le 8 mai dans Contrepoints[2], souligne que le capitalisme est fondé sur le principe de la rémunération des capitaux. Sans celle-ci, écrit-il, « les capitaux seraient impossibles à mobiliser dans une économie de marché ». Or les États ont financé depuis quelque temps leurs dépenses en empruntant à taux zéro, voire, parfois, à un taux négatif. « De deux choses l’une, écrit Aulnas, ou les capitaux prêtés sont à nouveau rémunérés ou le capitalisme va disparaître. » Nous entrerions alors dans un système économique entièrement dominé par les États. « Le financement de l’économie pourrait relever essentiellement des prélèvements obligatoires. L’incitation par le profit, garantie de liberté, n’est plus nécessaire lorsque la coercition étatique est érigée en principe général. » Nous verrons, après la pandémie, si la croissance, la productivité, la dette et la valeur de la monnaie relèvent toujours du marché, ou si, avec la complicité des banques centrales et du FMI, l’économie se retrouve sous la tutelle, et donc sous la menace, des gouvernements.

 

[1]  « Lunch with the FT Kristalina Georgieva : There is no substitute for emotional intelligence », The Financial Times, 10-11 octobre 2020.

[2] « Ces États qui aiment les taux d’intérêts négatifs », Contrepoints, 8/5/2021

Mots-clefs : ,

À propos de l’auteur
Michel Faure

Michel Faure

Michel Faure. Journaliste, ancien grand reporter à L’Express, où il a couvert l’Amérique latine. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à cette zone, notamment Une Histoire du Brésil (Perrin, 2016) et Augusto Pinochet (Perrin, 2020).

Voir aussi