La maîtrise de l’aviation est essentielle, tant pour le développement des territoires que pour celui du tissu économique. C’est pourquoi la compagnie mauritanienne Global Aviation propose différents services pour faire de Nouakchott un hub aéronautique en Afrique.
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Une ambition industrielle née au sud du Sahara
Dans l’imaginaire aéronautique africain, Nouakchott n’apparaît pas comme un centre de gravité. Pourtant, c’est depuis cette capitale que Global Aviation déploie un projet qui dépasse largement le cadre du transport aérien. L’entreprise ne cherche ni la notoriété des hubs historiques ni la guerre des billets, mais l’appropriation complète de la chaîne aéronautique : vols, maintenance, certifications, formation. Au cœur de cette stratégie, une idée simple et exigeante : produire en Afrique de l’Ouest une aviation à haute valeur ajoutée, pensée pour ses contraintes réelles.
Voir le continent depuis le cockpit
Le point de départ du modèle n’est pas institutionnel, mais géographique. Mines isolées, bases pétrolières enclavées, capitales mal reliées entre elles, pistes dégradées, frontières complexes : en Afrique de l’Ouest, la mobilité aérienne est un enjeu logistique avant d’être commercial. Là où les compagnies nationales s’essoufflent et où les projets de ciel unique restent théoriques, Global Aviation s’est positionnée sur l’infrastructure invisible qui fait tourner l’économie régionale.
La compagnie transporte personnels, pièces critiques et parfois minerais pour des acteurs qui ne peuvent se permettre ni retards ni approximations. Certains appareils effectuent jusqu’à dix segments par jour. La flotte a été construite pour cela : Beechcraft 1900D pour les pistes courtes, hélicoptères Leonardo pour les opérations spécifiques, ATR 72 pour des flux plus denses, Learjet 45 pour les évacuations longues distances. Même des activités plus symboliques, comme les survols du Guelb Er Richat, s’inscrivent dans cette logique d’occupation maîtrisée de l’espace aérien.
L’événement fondateur
Ce projet n’est pas né d’une passion pour l’aviation, mais d’un accident. En 2012, un avion affrété pour le transport d’or de la mine de Kinross s’écrase, causant sept morts, dont deux proches collaborateurs de Yacoub Sidya. L’épisode agit comme un révélateur : externaliser l’aviation, c’est accepter de perdre le contrôle sur la sécurité, la maintenance et, in fine, sur le destin de l’entreprise.
La réponse est radicale. Plutôt que de changer de prestataire, Sidya décide de créer sa propre compagnie et de reprendre la main sur l’ensemble de la chaîne de responsabilité. L’objectif n’est pas de posséder des avions, mais de maîtriser certificats, standards de sécurité, maintenance et culture opérationnelle.
Construire plutôt que sous-traiter
Pour accélérer cette montée en compétence, Yacoub Sidya rachète une société espagnole dotée de plusieurs décennies d’expérience. Le savoir-faire est transféré vers la Mauritanie. Le geste est autant politique qu’industriel : relocaliser des compétences, réduire la dépendance aux centres européens ou moyen-orientaux, retenir devises et expertise sur le continent.
Les premières opérations sont modestes : évacuations médicales vers l’Europe à partir de 2019. La crise du Covid agit comme un catalyseur. Le volume de transferts explose, les procédures se densifient, l’organisation se professionnalise rapidement. Le projet change de nature.

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Exister par la certification
À partir de 2021, Global Aviation engage le processus le plus lourd du secteur : l’obtention des certificats de transporteur aérien. Le premier AOC est décroché au Burkina Faso en décembre 2019, après des audits exigeants. Suivent la Mauritanie, le Mali, la Guinée, le Niger et le Cap-Vert. Le Sénégal est déjà engagé dans le processus.
À ces AOC s’ajoutent des autorisations permettant d’opérer en Europe selon des standards proches d’un AOC européen, ainsi que des certifications internationales particulièrement strictes utilisées dans l’oil and gas, de type Basic Aviation Risk Standard. « Nous avons été félicités deux fois pour notre niveau de conformité, ce n’est pas fréquent », souligne Adama Sangaré.
Cette accumulation de certifications impose une discipline administrative lourde et coûteuse, mais elle aligne la compagnie sur des standards comparables à ceux des grands acteurs mondiaux, malgré un environnement réglementaire fragmenté.
Voler pour les États sans être un État
L’un des aspects les plus structurants du modèle réside dans la capacité de Global Aviation à opérer pour le compte de compagnies nationales africaines. Le principe est précis : l’État conserve son pavillon, ses droits de trafic et sa visibilité symbolique. Global Aviation fournit avions, équipages, maintenance et ingénierie opérationnelle.
Une fois l’AOC obtenu, la mécanique est rapide : ouverture d’un bureau, déploiement des équipes, positionnement des avions, démarrage des vols souvent sur les axes historiquement défaillants. Pour les États, c’est une solution pour maintenir des connexions aériennes sans en supporter seuls la complexité. Pour Global Aviation, c’est un changement d’échelle : la compagnie devient un acteur structurant des systèmes aériens nationaux.
Nouakchott, centre technique plutôt que hub passager
Le choix de la Mauritanie comme base n’obéit pas aux critères classiques d’un hub. Marché intérieur réduit, trafic passager limité. En revanche, Global Aviation y implante sa première base de maintenance intégrale, la première privée du pays et l’une des rares de la sous-région. Inspections, réparations, contrôles, documentation et relations avec l’autorité aéronautique sont désormais gérés localement. Les opérations lourdes sont réalisées en interne, seuls les moteurs étant envoyés chez le constructeur.
Le pari est exigeant : volumes suffisants, montée en compétences rapide, autorités capables d’accompagner la trajectoire. Si l’équilibre est atteint, Nouakchott et Ouagadougou pourraient devenir des points d’ancrage techniques régionaux.
Le facteur humain comme levier stratégique
Réduire Global Aviation à ses avions serait passé à côté de l’essentiel. Comme MSS Security ou Phoenix Precious Metals, la compagnie s’inscrit dans une vision où la réussite se mesure aussi à l’impact humain. Ici, l’enjeu est de former des pilotes, mécaniciens et cadres africains dans un secteur largement dominé par les expatriés.
L’équipe rassemble aujourd’hui une douzaine de nationalités. « C’est une entreprise de toutes les couleurs, on apprend les uns des autres en permanence », explique Adama Sangaré. Cette diversité n’est pas décorative : elle accélère les transferts de compétences.
Depuis deux ans, la compagnie finance activement des formations techniques et des cursus complets de pilotes. Plusieurs jeunes Mauritaniens sont actuellement en formation en Afrique du Sud, pris en charge par Global Aviation, avec un objectif assumé : que les futurs commandants de bord et responsables maintenance soient majoritairement ouest-africains.
Le parcours d’Adama Sangaré illustre cette culture d’exigence. Mécanicien devenu pilote, puis responsable des opérations sol à Nouakchott et instructeur en marchandises dangereuses, il a connu une pression initiale forte. « Au début, la pression était très forte. J’ai parfois eu l’impression qu’on me demandait l’impossible. Avec le recul, je vois que c’était le prix à payer pour progresser vite. » À son fils qui l’interroge sur sa fatigue, il répond : « Je ne travaille pas, je relève des défis. Tant que je prends plaisir à ces défis, je continue. »
Un écosystème, une épreuve de durée
Global Aviation s’inscrit dans un ensemble plus large : MSS Security, Phoenix Precious Metals, bientôt un complexe médical à Nouakchott. L’écosystème reste fortement associé à la figure de Yacoub Sidya, ce qui est un atout en termes de réputation – renforcée par des distinctions internationales. Le modèle économique est sans filet : aucune subvention publique, aucune garantie étatique. Chaque année, les comptes sont passés au crible, la flotte ajustée, les implantations corrigées. « L’aviation, c’est simple : si tu es milliardaire et que tu veux devenir millionnaire, fais de l’aviation », ironise Yacoub Sidya. Dans un secteur soumis aux chocs géopolitiques et au prix du carburant, il faut parfois accepter des opérations temporairement déficitaires pour préserver la sécurité et la crédibilité.
Global Aviation n’est plus seulement une compagnie mauritanienne. Elle constitue déjà un laboratoire à ciel ouvert de ce que pourrait être un espace aérien ouest-africain maîtrisé par des acteurs africains sur l’ensemble de la chaîne. Que l’expérience prospère ou qu’elle rencontre ses limites, elle aura démontré qu’il est possible, depuis Nouakchott, non pas seulement d’entrer dans le jeu, mais d’en influencer les règles.
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