Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a érigé le territoire autonome danois en priorité et n’a de cesse de multiplier les déclarations d’intention et les menaces d’annexion. Le président des États-Unis entend ainsi limiter les influences russe et chinoise dans une zone arctique qu’il considère comme vitale pour la sécurité nationale et mondiale.
« Nous allons obtenir le Groenland. Oui, à 100% ! »[1]. Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a érigé le territoire autonome danois en priorité et n’a de cesse de multiplier les déclarations d’intention et les menaces d’annexion. Le président des États-Unis entend ainsi limiter les influences russe et chinoise dans une zone arctique qu’il considère comme vitale pour la sécurité nationale et mondiale. La maîtrise des routes maritimes arctiques ainsi que la présence d’une grande quantité de terres rares non exploitées au Groenland aiguisent également l’intérêt du locataire du bureau ovale.
Le projet de Donald Trump suscite bien entendu l’indignation du Danemark, dont la Première ministre Mette Frederiksen a déclaré que « le Groenland n’était pas à vendre », mais aussi que seul ce dernier pouvait « décider de son indépendance ». De son côté, le nouveau premier ministre groenlandais, Jens-Frederik Nielsen, à la tête d’un gouvernement de coalition depuis la victoire du parti Demokraatit aux élections législatives de mars dernier, prévient que « les États-Unis n’obtiendront pas le Groenland » tout en précisant « Nous décidons de notre propre avenir ».
Le fait que la classe politique en réfère à la volonté du Groenland n’est pas un simple élément de langage et conduit à devoir analyser cette dernière. Si seuls 6% des Groenlandais verraient d’un œil favorable l’hypothèse que leur pays devienne américain[2], les dernières élections ont démontré que les facteurs économiques et sociaux sont bien plus déterminants aux yeux de la population locale que la situation géopolitique. Washington et Copenhague l’ont compris et ont entamé une discrète lutte d’influence pour la maîtrise de ce levier inattendu, mais puissant que constitue la volonté populaire groenlandaise.
La situation socio-économique, préoccupation première des Groenlandais
Largement commentées par la presse internationale, les élections législatives qui se sont déroulées le 11 mars 2025 ont bénéficié d’une exposition mondiale inédite en raison des tensions géopolitiques opposant le royaume du Danemark aux États-Unis. Leurs résultats étaient anticipés comme devant manifester un sentiment majoritairement hostile au projet d’américanisation soutenu par Donald Trump. Il apparaît cependant que le vote des Groenlandais, relativement éloigné des questions de politique étrangère, a plutôt été dicté par des considérations socio-économiques. La formation de centre droit Demokraatit, vainqueur de l’élection avec 29,9 % des suffrages[3], est par exemple l’une des seules à avoir fait campagne sur des enjeux sociaux. Par ailleurs, le parti prône une approche mesurée des rapports avec Washington et ne fait pas de l’indépendance une priorité : « Le plus important est d’assurer une économie durable avant de parler d’indépendance »[4].
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Les 57 000 habitants du Groenland apparaissent en effet davantage préoccupés par une économie au ralenti et des enjeux sociaux multiples. Comme le démontre un reportage publié par Le Monde, le Groenland souffre d’une problématique persistante d’accès au logement et présente un taux de sans-abri qui s’élève à plus de 1% de la population[5]. Le taux de chômage, bien qu’en légère baisse ces dernières années, se maintient aux alentours de 8,74%, un chiffre élevé[6]. La détérioration des conditions de vie explique en partie un taux de suicide parmi les plus élevés du monde avec 80 suicides pour 100 000 personnes, alors que la moyenne mondiale se situe à 9[7]. Bien que l’aide économique du Danemark corresponde à la moitié du budget annuel du territoire autonome, Copenhague se voit reprocher de ne pas en faire suffisamment.
Les difficultés économiques sont prolongées par un mal-être identitaire mettant directement en cause la politique de « civilisation » du Danemark sur le territoire depuis 1721. Celle-ci a conduit à des conversions imposées au christianisme ainsi qu’à la suppression de langues et coutumes traditionnelles. À compter de l’intégration du Groenland au Danemark en 1953, la « civilisation » a laissé la place à la « danicisation » qui a entraîné des relocalisations de populations. Les locaux se sont également vu infliger des programmes de stérilisation des femmes[8] ainsi que des adoptions forcées.
Les États-Unis n’ignorent rien du passif colonial danois, des difficultés contemporaines que rencontre la population et du ressentiment qui en découle à l’égard du Danemark. Le fait que le parti nationaliste Naleraq améliore son score de 2021 pour atteindre 24,5% des votes est en ce sens encourageant pour Washington. S’il s’agit de chiffres logiques au vu de la volonté affichée du parti de déclencher le processus d’indépendance conformément à l’article 21 de la loi de 2009, il convient aussi de souligner que le parti nationaliste souhaite, une fois l’indépendance actée, signer un accord de défense avec les États-Unis, mais également étudier l’hypothèse d’une libre association avec Washington[9]. L’ensemble de ces éléments pourraient constituer une ouverture dont entendent bien profiter les États-Unis pour tenter de s’attirer les faveurs de la population locale.
Les États-Unis et le Danemark en quête de l’adhésion populaire locale
La situation économique du Groenland, le passif colonial danois et la volonté du parti nationaliste Naleraq de coopérer avec les États-Unis sont autant d’éléments qui façonnent le positionnement médiatique de Donald Trump et du gouvernement danois, comme en témoignent leurs sorties médiatiques respectives sur la question du Groenland.
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En raison du ressentiment que suscitent les différentes politiques menées par le Danemark sur le territoire autonome, la marge de manœuvre de Copenhague pour susciter l’adhésion populaire est extrêmement limitée. C’est pourquoi la Première ministre Mette Frederiksen se contente de déclarations visant à s’en remettre à la volonté du peuple groenlandais quand il s’agit de décider de son avenir. Parallèlement, le Danemark est conscient de la volonté d’une partie de la population locale de bénéficier d’un traité de défense avec les États-Unis et a récemment annoncé de nouveaux investissements militaires pour un montant total de 1,5 milliard de dollars. Ces fonds sont destinés à permettre l’acquisition de deux nouveaux navires d’inspection, de deux drones et au financement de deux équipes de traîneaux à chiens[10].
Donald Trump joue aussi sur la question sécuritaire en promettant fréquemment de protéger le peuple groenlandais, mais n’en oublie pas pour autant le facteur économique en s’adressant à la population en ces termes : « Nous vous rendrons riches ». Le 47e président des États-Unis, conscient de la défiance locale vis-à-vis du gouvernement danois, rappelle que son pays « soutient fermement votre droit à décider de votre propre avenir. Si vous le décidez, vous êtes les bienvenus aux États-Unis d’Amérique »[11]. Donald Trump a également émis l’idée de verser 10 000 dollars annuels à chacun des habitants du Groenland[12].
La communication de M. Trump lui a permis de bénéficier d’appuis locaux, comme celui de Jorgen Boassen, un maçon devenu célèbre sur les réseaux sociaux pour son soutien à Donald Trump et à une coopération étroite avec les États-Unis en matière de défense. Repéré par l’entourage du président américain, Jorgen Boassen fait désormais figure d’acteur politique en vue[13].
Très récemment, le Wall Street Journal a révélé que Washington comptait mettre à profit ses agences de renseignement, sous la houlette de Tulsi Gabbard, la directrice du renseignement américain, afin d’identifier de potentiels soutiens parmi la population groenlandaise, mais aussi au Danemark[14]. Mette Frederiksen a réagi en déclarant qu’on « ne peut pas espionner un allié » alors que le ministre danois des Affaires étrangères, Lars Løkke Rasmussen, aurait l’intention de convoquer l’ambassadeur des États-Unis au Danemark[15].
[1] https://www.france24.com/fr/europe/20250330-les-états-unis-n-obtiendront-pas-le-groenland-prévient-le-nouveau-premier-ministre-groenlandais
[2] https://www.bbc.com/news/articles/c4gpgqqzqymo
[3] https://www.lesechos.fr/monde/europe/groenland-lopposition-favorable-a-une-transition-lente-vers-lindependance-remporte-les-legislatives-2153417
[4] https://www.lepoint.fr/monde/l-opposition-remporte-les-legislatives-au-groenland-sur-fond-d-independance-et-de-conflit-contre-trump-12-03-2025-2584570_24.php
[5] https://www.lemonde.fr/international/article/2025/03/06/le-groenland-loin-des-convoitises-de-donald-trump-un-territoire-mine-par-les-difficultes-sociales_6576721_3210.html
[6] https://www.globaldata.com/data-insights/macroeconomic/the-unemployment-rate-of-greenland-220096/
[7] https://english.elpais.com/international/2025-01-25/greenland-the-land-of-suicides.html
[8] https://www.liberation.fr/international/sterilisation-forcee-au-groenland-le-docteur-ma-dit-tu-as-13-ans-il-faut-que-tu-viennes-avec-moi-20250422_E5MIBDJ4XRDH5ADV5Y7H6CETC4/?redirected=1
[9] https://www.reuters.com/world/us-interest-boosts-greenlands-independence-bid-talks-with-denmark-party-says-2025-02-07/
[10] https://www.bbc.com/news/articles/ckgzl19n9eko
[11] https://www.reuters.com/world/trump-people-greenland-we-will-make-you-rich-2025-03-05/
[12] https://www.leparisien.fr/international/etats-unis/pour-semparer-du-groenland-ladministration-trump-envisage-de-verser-10-000-dollars-par-an-a-chaque-habitant-13-04-2025-G6EE7M7YWNGLHKONFO7QRI5JLA.php
[13] https://www.nytimes.com/2025/05/11/world/europe/greenland-trump-biggest-fan.html?searchResultPosition=13
[14] https://www.wsj.com/world/greenland-spying-us-intelligence-809c4ef2?mod=Searchresults_pos3&page=1
[15] https://fr.euronews.com/my-europe/2025/05/09/le-danemark-convoque-un-diplomate-americain-a-la-suite-dinformations-faisant-etat-dune-int