<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Guderian a véhiculé les mythes sur l’armée allemande : Entretien avec Jean Lopez

13 septembre 2025

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Guderian, portrait

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Guderian a véhiculé les mythes sur l’armée allemande : Entretien avec Jean Lopez

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Qui était Guderian ? Dans une belle biographie, Heinz Guderian, le maître des Panzers (Perrin, 2025), l’historien Jean Lopez nous fait découvrir un général inattendu, qui ne correspond pas à la statue qu’il avait cherché à sculpter…

Propos recueillis par Charles-Henri d’Andigné

Entretien paru dans le N59 Droite. La nouvelle internationale ?

Pourquoi une biographie de Guderian ?

Des grands chefs allemands de la Seconde Guerre mondiale, il était le seul à ne pas avoir trouvé son biographe en français. L’homme est intéressant par deux aspects : d’abord par son action directe avant et durant le conflit, ensuite par son action indirecte sur la perception du conflit. Ses fameux Souvenirs d’un soldat continuent de se vendre par milliers d’exemplaires ! Phénomène étrange, c’est le vaincu qui a imposé sa vision de la guerre à l’Est.

Que peut-on dire sur l’homme ? Il a un caractère très indépendant, dites-vous…

C’est un homme qui pense par lui-même. Il fait partie de ces officiers d’état-major formé dans la grande tradition prussienne, conscients de leur valeur, comme Manstein ou Kluge. Ce ne sont pas des hommes qui doutent. Guderian, sans être un aristocrate, a les valeurs d’un Junker, persuadé de détenir les clés de l’excellence militaire. C’est l’héritage de Molkte, l’homme-clé de cette seconde moitié du xixe siècle qui a conduit la Prusse et l’Allemagne au succès. C’est un homme sûr de lui, qui n’hésite pas à désobéir, chose impensable pour un officier français ou russe. S’il estime que son analyse est juste, et que les circonstances l’exigent, il va jusqu’à l’indiscipline.

Ce n’est pas l’image que l’on a de l’armée allemande…

En effet. Ils cultivent le penser pour soi, et la pratique des délégations de pouvoir assez large. Du moment que la pensée du chef est correctement interprétée, la chaîne hiérarchique dispose d’une certaine latitude pour accomplir sa mission. La formulation des ordres allemands, d’ailleurs, est très courte. Là où un Français remplit des pages.

Politiquement, Guderian est d’abord un monarchiste ; il ne jure que par Guillaume, que par cet empire qui a donné à l’Allemagne sa puissance, et il va faire une carrière classique. Sous-lieutenant en 1914, capitaine en 1918. Ce qui le distingue de ses camarades, c’est que cette guerre, il l’a faite à l’abri. C’est un spécialiste des transmissions, qui se dirigera par la suite vers le renseignement. S’il abandonne son attachement au Kaiser, il n’adhère pas aux valeurs de la République de Weimar. Tout au contraire !

Comment voit-il Hitler, quand celui-ci apparaît ?

Il est comme tous ses collègues. C’est une divine surprise ! Au début, avant leur arrivée au pouvoir, il a sans doute snobé les nazis. La plèbe… En revanche, Hitler le fascine. Sa femme encore plus, qui voit en lui un homme exceptionnel. Il croit que c’est lui qui va redonner à l’Allemagne sa place parmi les nations et, très vite, au-dessus des nations. Il excusera tout, il s’aveuglera, il tournera la tête quand ça deviendra un peu trop gênant. Il fait confiance au Führer. Hitler réarme, multiplie par dix la taille de l’armée ; c’est pour Guderian la perspective d’un avancement accéléré. D’autant plus qu’Hitler semble favorable à l’arme qu’il défend, c’est-à-dire les blindés.

Il a probablement lu Mein Kampf, mais je ne pense pas que son antisémitisme, répandu dans sa caste, ait joué un rôle important dans son adhésion au nazisme. Ce qui l’attire, c’est la mise au pas de la nation, la reprise en main de la jeunesse, l’éradication du communisme, et, tout de même, la réintégration de la classe ouvrière au sein de la nation, dans une optique nationaliste.

Il n’a jamais été le père des Panzers, écrivez-vous, contrairement à ce qu’il a dit.

C’est une arme complexe, que les Allemands développent avec retard du fait de l’interdiction faite par le traité de Versailles, et qui n’est source, au départ, que de spéculations théoriques en bonne partie prises chez les Britanniques d’ailleurs. Jusqu’en 1932, ils n’ont pas un seul char d’assaut. Si les théoriciens sont nombreux, les organisateurs de l’arme blindée le sont moins. Guderian fait partie de ces derniers. Son chef, le général Lutz, son mentor, a réussi à négocier avec Beck, chef d’état-major de l’armée de terre à partir de 1934, que l’on mette sur pied une division blindée, puis trois. Guderian est sur le terrain, pense les matériels, choisit les hommes, et donne à cette arme une énergie exceptionnelle. L’arme blindée allemande est une troupe d’élite, certaine d’être en train de révolutionner la guerre. Et le fait est que, jusque fin 1941, devant Moscou, cela marche incroyablement. Dix divisions blindées ont mis la France à genoux en six semaines. Jamais les plus optimistes de l’armée allemande n’auraient cru cela possible. Sauf Guderian. Son arme blindée a été le levier qui a permis la réussite du plan follement audacieux imaginé par le général Manstein.

Guderian, dites-vous, est plus un tacticien qu’un stratège.

Être stratège signifierait qu’il ait une analyse en profondeur de la guerre, qu’il la pense également en termes politiques. Ce n’est pas son cas. Il excelle dans l’opérationnel. Il sait mener un combat, obtenir une percée et l’exploiter, prendre des risques incroyables. C’est en Union soviétique que son système commence à dérailler. Il ne tient pas compte du fait que l’espace, par rapport à la Pologne ou à la France, s’est considérablement dilaté. Les routes, si on peut parler de routes, sont rares, et en face de lui, il a un adversaire différent. Et à plusieurs reprises il désobéit. Plusieurs fois, il place son armée dans une situation critique. En novembre et décembre 1941, devant Moscou, il sait qu’il est en mauvais état, mais il pense que le Soviétique l’est encore plus. Et quand Joukov déclenche la contre-offensive, les 5 et 6 décembre 1941, il est perdu, déprimé, il recule. Quand arrive l’ordre d’Hitler de ne plus bouger, il désobéit. Et il est limogé à la veille de Noël.

N’a-t-il pas un certain mépris pour l’Armée rouge, comme beaucoup de ses confrères officiers ?

Si. Mais il va vite changer d’avis. À ce mépris initial s’ajoute l’ignorance. Ils savent peu de choses sur cette armée. Ils pensent que les officiers ne valent rien. Ce qui est faux, en tout cas à l’échelon supérieur, et les Soviétiques apprennent vite. Ce que l’on voit, en dépouillant les rapports de l’armée allemande, c’est que les expressions méprisantes vis-à-vis de l’Armée rouge disparaissent assez tôt. Guderian est vite habité par le doute, et c’est ce qui est à l’origine de sa dépression. Il ne veut pas endosser la responsabilité de l’échec.

Il est limogé, mais garde de bons rapports avec Hitler.

Il pense qu’Hitler est mal conseillé, que son chef d’état-major, Halder, ne lui dit pas la vérité sur la situation. C’est un grand classique. Il reste un an sur la touche, en mauvais état physique. Début 1943, Hitler le nomme à la tête de l’arme blindée. Hitler ne renonce pas, malgré Stalingrad. Il faut continuer à attaquer, à prendre l’initiative. Il a besoin d’un homme qui défende sa conception offensive et fourbisse les divisions panzers alors que, sur le terrain, l’armée est passée en mode défensif. Donc un poste extrêmement important. Mais il doit partager le pouvoir avec d’autres services, et notamment l’artillerie qui a la main sur une arme nouvelle : le canon d’assaut chenillé sous casemate qui accompagne l’infanterie. Il fait tout pour augmenter la production de chars, « son » arme, en quelque sorte, et essaie d’avoir la peau des canons d’assaut. Il n’y parvient pas. C’est au contraire le canon d’assaut qui devient l’arme principale.

En juillet 1944, le voilà chef d’état-major de l’armée de terre. Il est assis dans le fauteuil de Molkte l’ancien. Il est au sommet. Là, Guderian se dévoile. Il accepte ce poste alors que tout est perdu ; mais a-t-il compris que tout était perdu ? Il avale toutes les couleuvres, accepte la chasse à tous les conjurés du 20 juillet [l’attentat contre Hitler, NDLR], s’engage politiquement et idéologiquement en faveur du nazisme dernière manière, résolument fanatique.

Durant la dernière partie de sa vie, il sculpte sa légende.

Oui. Il aurait pu être impliqué dans le procès de l’état-major général de l’armée de terre à Nuremberg. Mais les Américains vont vite laisser tomber ce procès au profit de celui du haut commandement de la Wehrmacht. Des officiers très proches de lui, comme Reinhardt ou Hoth, seront inculpés et emprisonnés. Pas lui. Pourquoi ? Ses collègues ont laissé des écrits. Lui n’en a pas laissé. Et il n’a passé que six mois sur le front russe, eux trois ou quatre années.

À partir de 1949, il est tiré d’affaire. Il écrit ses souvenirs, qui se vendent comme des petits pains, et où il fait passer trois idées. La Wehrmacht détenait une supériorité absolue dans le commandement et dans la guerre mobile. Elle est restée propre, ce sont les SS qui ont fait des horreurs. Enfin, si les Allemands ont perdu la guerre, c’est à cause d’Hitler. Trois mythes. C’est une fausse monnaie qui continue de circuler.

À propos de l’auteur
Charles-Henri d'Andigné

Charles-Henri d'Andigné

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