<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Hitler a provoqué la Seconde Guerre mondiale… mais Staline l’a bien aidé !

15 octobre 2022

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Photo : Staline et Ribbentrop. Une autre idée du front républicain Crédits: Bundesarchiv/Wikipedia
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Hitler a provoqué la Seconde Guerre mondiale… mais Staline l’a bien aidé !

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Sans Hitler, il n’y aurait pas eu de Seconde Guerre mondiale. Mais sans l’alliance des nazis et des communistes, le déclenchement de la guerre n’aurait pu avoir lieu. Un axe Berlin – Moscou essentiel pour tenir le continent européen. 

En ces temps d’hystérie révisionniste, il est bon de rappeler certaines évidences : sans Hitler, la Seconde Guerre mondiale n’aurait probablement jamais eu lieu. Ce qui conduit, par ricochet, à relativiser le discours faisant de la France, trop exigeante à Versailles, la responsable téléologique du conflit. Il faut n’avoir rien compris au traumatisme de la Grande Guerre pour imaginer que les Français ou leurs dirigeants auraient pu renoncer à des garanties de sécurité en échange d’un projet de réconciliation, alors que les deux nations n’ont alors aucunement la même lecture du conflit et de leurs responsabilités respectives. D’ailleurs, si les Français condamnent la paix, c’est plutôt parce qu’ils la trouvent… trop légère, comme Foch parlant d’un « armistice de vingt ans » ! Ou Bainville, qui la juge « trop dure pour ce qu’elle a de mou, trop molle dans ce qu’elle a de dur ».

 

Le tournant de 1932

La décennie qui a suivi le traité de Versailles et ses « cousins[1] » a été marquée par de fortes hésitations lors de la mise en place du nouvel ordre international – « le monde patauge dans les traités de paix », écrit alors l’ambassadeur Paul Cambon. Faut-il être intransigeant ou conciliant avec les vaincus ? Faut-il s’opposer à l’application des traités, ou les exécuter de bonne foi en espérant des aménagements ? La SDN jouera-t-elle son rôle ? À la fin des années 1920, les tensions sont apaisées, les vaincus admis à la SDN, l’échéancier des réparations dues par l’Allemagne est fixé par le plan Young, qui a sensiblement réduit leur montant, à 38 milliards de marks or[2].

En échange, la France a évacué dès 1930 la dernière zone d’occupation en Rhénanie (rive gauche du Rhin), cinq ans avant l’échéance prévue. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, au point qu’en 1928, les États-Unis et la France signent un pacte de renonciation à la guerre, rejoint par les membres de la SDN ; s’il n’a guère de portée pratique immédiate, ce pacte Briand – Kellogg tente d’associer les États-Unis, où l’opinion est enthousiaste, au maintien de la paix dans le monde, bien qu’ils ne soient pas membres de la SDN.

Une évolution pacifique des relations internationales n’était donc pas hors d’atteinte, malgré les arrière-pensées et les ambiguïtés de chacun. Mais la crise économique vient réveiller les tensions internes et externes. En 1932, tandis que la conférence sur le désarmement s’enlise à Genève (où siège la SDN) et obtient comme principal résultat concret d’accorder à l’Allemagne la possibilité de… réarmer, en vertu du principe d’égalité des droits, la conférence de Lausanne annule purement et simplement les réparations allemandes ; l’Allemagne aura finalement versé quelque 23 milliards de marks, très loin des sommes espérées par les pays les plus atteints – France et Belgique principalement[3]. En conséquence, la France et le Royaume-Uni cessent d’honorer leurs dettes auprès des États-Unis… s’aliénant ainsi l’opinion et le Congrès et encourageant une poussée d’isolationnisme qui conduit au vote, à partir de 1935, de « lois de neutralité » interdisant la livraison d’armes et l’octroi de prêts aux belligérants dans une guerre future. Face à l’Allemagne qui annonce officiellement son réarmement, Français et Anglais sont seuls, Londres n’étant même plus assurée du soutien de ses anciens dominions[4], devenus totalement indépendants malgré leur adhésion au Commonwealth.

L’année 1932 voit enfin les nazis devenir la première force politique d’Allemagne, avec plus de 13 millions de voix aux présidentielles d’avril et aux législatives de juillet. Malgré une perte de 2 millions de suffrages en novembre, la nomination de Hitler comme chancelier devient inévitable, puisque le Reichstag est élu à la proportionnelle[5]. Hindenburg l’appelle le 30 janvier 1933.

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Le basculement de 1935-1936

Face à Hitler, la France se raidit : en 1934, Louis Barthou, ministre des Affaires étrangères, clôt les négociations pour un réarmement encadré, et tente de ranimer les alliances de revers, y compris avec l’URSS. Mais la Pologne a signé un pacte de non-agression avec l’Allemagne, et Barthou meurt dans l’attentat contre Alexandre Ier de Yougoslavie à Marseille. Son successeur, Pierre Laval, finalise un traité avec l’URSS sans accord militaire et valide le « front de Stresa », où France et Royaume-Uni font bloc pour défendre les traités de paix avec l’Italie mussolinienne, seule à avoir réagi militairement au début d’ingérence allemande en Autriche en 1934. Mais Laval encourage par maladresse l’agression italienne contre l’Éthiopie, qui suscite une forte réaction britannique et le vote de sanctions par la SDN. Mussolini, ulcéré, se rapproche alors d’Hitler – leur engagement commun en Espagne achèvera la constitution de l’Axe Rome-Berlin, proclamé en novembre 1936.

Entretemps, Hitler aura déclenché la remilitarisation de la Rhénanie (mars 1936), violation du traité de Versailles, mais surtout du pacte de Locarno, conclu en 1925 et garanti par le Royaume-Uni et l’Italie. Albert Sarraut a beau proclamer qu’il « ne laissera pas Strasbourg sous le feu des canons allemands », les réticences britanniques à une réaction armée justifient l’inaction de son gouvernement. Il faut dire que l’opinion publique est hostile à l’idée d’une guerre, que les élections législatives sont prévues fin avril et que les militaires exigent une mobilisation quasi générale pour s’opposer au coup de bluff hitlérien…

Car Hitler bluffe : convaincu que les démocraties ne risqueront pas un nouveau conflit – ce sera encore son argument en 1938 (mars et septembre), puis en 1939 (idem), mais d’ici là, le réarmement allemand aura progressé plus vite que celui des Occidentaux – il est conscient de la faiblesse de ses moyens militaires et avait prévu d’évacuer la Rhénanie au moindre signe de réaction française. Serait-il resté au pouvoir en cas de nouvel échec, après celui de 1934 ? Les généraux de l’ancien régime, qui tiennent encore l’armée en 1936, étaient prêts à se débarrasser de lui, alors qu’en 1938, Hitler a pris le contrôle du haut commandement, et le succès de ses initiatives hasardeuses a fait basculer l’opinion allemande de l’inquiétude à l’enthousiasme – enfin un homme politique qui tient ses promesses, comme « inverser la courbe du chômage » ! Et sans faire la guerre…

De fait, les démocraties ne sont pas belliqueuses – c’est un curieux paradoxe de le leur reprocher aujourd’hui… En particulier le Royaume-Uni, dont la politique d’apaisement vise à empêcher la guerre par la négociation, en partant du principe que les demandes allemandes ne seront pas illimitées. Sur le fond, ce choix s’alimente d’un pacifisme largement partagé, d’une conviction, née dès les années 1920, que les traités de paix étaient trop durs pour l’Allemagne, et d’une fascination d’une partie des élites pour les régimes autoritaires du continent, sinon d’une adhésion à certaines thèses du nazisme – très minoritaire, ce courant est cependant illustré par l’abdication mélodramatique du roi Édouard VIII en 1936.

Mary Poppins à côté de la plaque

En mars 1936, la France n’ose pas bousculer sa « gouvernante anglaise[6] », héritage mal compris de la politique d’Aristide Briand, inamovible ministre des Affaires étrangères de fin 1925 à janvier 1932 ; Briand n’est plus, mais a formé les secrétaires généraux du quai d’Orsay, Philippe Berthelot (1920-1933) puis Alexis Léger (1933-1940), d’autant plus influents que les ministres sont passagers. Devant la menace qui se précise, et travaillée par des nationalistes flamands pas insensibles à la vision racialiste et aux subsides des nazis, la Belgique revient en 1936 à son statut de neutralité, annulant l’alliance avec la France qui autorisait l’armée française à se déployer préventivement à la frontière germano-belge.

Dans ces conditions, et compte tenu d’un réarmement qui démarre timidement à partir de 1935-1936, l’issue de la conférence de Munich était courue d’avance[7]. La Tchécoslovaquie est difficilement défendable, car entourée sur trois côtés depuis l’Anschluss (mars 1938), et personne ne veut ou ne peut l’appuyer rapidement ; surtout pas la France, désormais bloquée par la ligne Siegfried, réseau de fortifications le long du Rhin suffisamment consistant pour empêcher une offensive-éclair dont son armée, faiblement mécanisée, est de toute façon incapable. Et avec Munich, les « apaiseurs » croient toucher au but : Hitler s’engage à ne plus avoir de revendication en Europe, la paix est assurée « pour notre temps », selon Chamberlain, certains Britanniques envisageant même de céder à l’Allemagne des colonies portugaises si elle réclamait un nouvel empire colonial !

L’invasion de la Tchécoslovaquie en mars 1939 dissipe les illusions : Hitler ne s’arrêtera que s’il est menacé d’une guerre sur deux fronts. Les Occidentaux reprennent donc contact avec l’URSS pour protéger la Pologne, prochaine cible du Führer qui réclame déjà Dantzig et son « corridor ». Or, l’idée d’une guerre préventive contre Hitler a perdu son principal défenseur à Moscou, le jeune maréchal Toukhatchevski, éliminé en juin 1937 dans le cadre des purges qui balaient les cadres du Parti et de l’État soviétique. En mai 1939, c’est le ministre des Affaires étrangères Litvinov, favorable à une entente avec les Occidentaux, qui est écarté ; Molotov, qui le remplace, veut se rapprocher de l’Allemagne : pendant l’été, alors qu’Occidentaux et Polonais négocient les conditions d’une intervention soviétique, Molotov et Ribbentrop, son homologue allemand, signent un traité commercial, qui fera de l’URSS un fournisseur de l’économie de guerre nazie dès février 1940, et un pacte de non-agression, assortis d’un accord secret de partage de la Pologne et de répartition des zones d’influence en Europe centrale.

Le 23 août, le monde stupéfait découvre le pacte de non-agression qui rend la guerre inévitable, car plus rien n’empêche Hitler d’attaquer la Pologne, ce qu’il fait le 1er septembre ; le 3, le Royaume-Uni et la France déclarent la guerre à l’Allemagne : la Seconde Guerre mondiale commence. Pourtant, les apaiseurs n’ont pas totalement renoncé : Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères français, est prêt à rejouer Munich, et l’écrasement de la Pologne par l’Allemagne et l’URSS réunies permet à Hitler de proposer de mettre fin à une guerre devenue sans objet. En mai 1940, l’effondrement de la France redonna du crédit aux partisans britanniques d’une entente avec l’Allemagne, comme Chamberlain ou Halifax, mais Churchill, Premier ministre à partir du 10 mai, imposera sa logique de la guerre à tout prix – « nous ne nous rendrons jamais », discours du 4 juin.

En France, le Parti communiste, partisan d’une intervention en Espagne dès 1936, farouchement opposé aux accords de Munich, a basculé subitement dans le pacifisme en 1939[8]. Un tel revirement n’a pas été du goût de tous les militants et adhérents, dont beaucoup renoncent à leur affiliation. Le PCF est même dissous par le gouvernement Daladier, un ancien partisan du Front populaire. Quand Guy Môquet est arrêté par la police française à Paris en 1940, c’est pour distribution de tracts pacifistes, pas pour résistance à l’occupant. Il sera livré aux Allemands et fusillé comme otage en octobre 1941 : à cette date, Hitler a piétiné le pacte de 1939 et les résistants communistes, précurseurs contrevenant aux consignes de leur parti, ont été rejoints par l’appareil et ses organisations clandestines pour devenir la résistance communiste.

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[1] Signé le 28 juin 1919, cinq ans jour pour jour après l’attentat de Sarajevo, le traité de Versailles ne concerne que l’Allemagne. Il sera suivi d’une série de cinq autres accords en 1919 (Saint-Germain-en-Laye et Neuilly), 1920 (Trianon et Sèvres) et même 1923 (Lausanne en remplacement du traité de Sèvres que la Turquie, devenue République, a refusé d’appliquer).

[2] À comparer aux 132 milliards calculés en 1921 et qui correspondaient à deux ans et demi du PNB annuel allemand.

[3] Rappelons qu’en 1918, selon le mot de Jacques Bariéty, il n’y a « pas un carreau de cassé » en Allemagne.

[4] Afrique du Sud, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande.

[5] Contrairement à ce qu’on entend souvent dire, jamais une « majorité » d’Allemands n’a voté pour Hitler ou les nazis – l‘inverse est plus proche de la réalité. C’est tout au plus une majorité relative qui, par la « vertu » de la représentation proportionnelle intégrale, a conduit les nazis au pouvoir.

[6] L’expression est de François Bédarida dans un chapitre du livre collectif Édouard Daladier, chef de gouvernement (1977).

[7] Voir Conflits n° 28 (juillet-août 2020, p. 35).

[8] Son secrétaire général, Maurice Thorez, déserte même sur ordre du Komintern.

À propos de l’auteur
Pierre Royer

Pierre Royer

Agrégé d’histoire et diplômé de Sciences-Po Paris, Pierre Royer, 53 ans, enseigne au lycée Claude Monet et en classes préparatoires privées dans le groupe Ipesup-Prepasup à Paris. Ses centres d’intérêt sont l’histoire des conflits, en particulier au xxe siècle, et la géopolitique des océans. Dernier ouvrage paru : Dicoatlas de la Grande Guerre, Belin, 2013.
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