<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Lecture. René Dumont : L’Afrique noire est mal partie

21 décembre 2023

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Lecture. René Dumont : L’Afrique noire est mal partie

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Relire René Dumont, c’est faire le terrible constat de l’échec du développement des Afriques. La comparaison avec l’Asie témoigne d’un décrochage du continent noir. L’Asie, qui a connu des guerres de grandes ampleurs, est désormais loin devant alors que beaucoup d’experts lui prédisaient un avenir très sombre. Preuve que l’histoire n’est jamais écrite d’avance.  

Article paru dans le numéro 48 de novembre 2023 – Espagne. Fractures politiques, guerre des mémoires, renouveau de la puissance.

La situation actuelle en Afrique (221 coups d’État depuis 1950, 20 pays sur les 21 plus pauvres de la planète, exode, guerres sans fin) nous remémore la fameuse remarque de Léopold Senghor à René Dumont, le 2 avril 1980, à propos de son livre : « Aujourd’hui, je dois l’admettre, c’est vous qui aviez raison. » Si le réquisitoire du célèbre agronome (1904-2001), se dressant à contrecourant de l’optimisme prévalant sous le « soleil des indépendances », avait suscité l’ire des nouvelles élites au pouvoir – le livre fut même interdit au Gabon –, il demeure une référence dans les débats sur le mal développement. Sans négliger le lourd passif occidental, Dumont incriminait aussi les pouvoirs africains, rappelant qu’« à la décolonisation a succédé le tribalisme et la médiocrisation ». « L’Afrique noire est-elle maudite ? » s’inquiète l’écrivain malien Moussa Konaté (2010). Mais les années qui suivent apportent une lueur d’espoir, la croissance s’emballe en Afrique, au point de générer un nouveau discours euphorisant : « L’Afrique est notre avenir ! » se réjouissent les sénateurs J. M Bockel et J. Lorgeoux (2013), et le journaliste René Girard surenchérit : « Non, l’Afrique noire n’est pas mal partie ! » (Le Figaro, 13 janvier 2014). Heureusement, la géographe Sylvie Brunel, vraie spécialiste de ces questions, reprenant le titre du célèbre livre, dresse pratiquement le même constat clinique, complet et amer dans son essai L’Afrique noire est-elle si bien partie ? (2014).

Pourtant, cela n’empêche pas l’émergence d’un discours purement idéologique, ce « courant de la contrition », victimaire et culpabilisant l’Occident, de trouver écho dans les universités, les médias et certaines sphères politiques. Pur déni d’une réalité dénoncée il y a soixante ans par René Dumont, la « pseudo-pensée » décoloniale serait bien incapable d’expliquer l’essor prodigieux de l’Asie du Sud, par exemple. En 1962, le revenu national brut (RNB) par habitant de la Côte d’Ivoire dépassait celui de la Corée du Sud (160 $ contre 120 $)[1]. Or la Corée du Sud, après la brève mais dure colonisation japonaise, a subi une guerre terriblement meurtrière – rien de tel en Côte d’Ivoire. Le pays était totalement dévasté, Séoul détruite à 70 %, au point que le général MacArthur remarquait : « Il faudra cent ans à la Corée du Sud pour se remettre de cette guerre. » La Côte d’Ivoire héritait, elle, d’infrastructures intactes (hôpitaux, routes, ports, barrages, écoles, etc.). Aujourd’hui, l’écart entre les deux pays est phénoménal (2 620 $/hbt contre 35 990 $/hbt). Même constat pour l’Indonésie, victime d’une colonisation néerlandaise multiséculaire autrement plus prédatrice que celle de la France (70 $ en 1969, 4 580 $ en 2022). Et que dire du Vietnam qui, au sortir d’une double colonisation et de décennies de guerres, a éradiqué l’extrême pauvreté, s’affirmant comme un nouveau « dragon » en Asie du Sud-Est ? (220 $/hbt en 1989, 4 010 $ en 2022). Terrible contre-exemple enfin que celui de l’Éthiopie, seul pays d’Afrique ayant préservé son indépendance durant toute son histoire, mais qui s’abîme dans des guerres civiles et ethniques sans fin (210 $/hbt en 1983, 1 020 $ seulement en 2022) ? L’état actuel des Afriques doit beaucoup, aussi, aux Africains.

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[1] Source : Banque mondiale.

À propos de l’auteur
Jean-Marc Holz

Jean-Marc Holz

Jean-Marc Holz est agrégé de géographie, docteur ès sciences économiques, docteur d'Etat ès lettres. Il a enseigné aux universités de Franche-Comté (Besançon) et de Perpignan, comme professeur des universités.
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