Industrie française et commerce international :  La France doit répondre à la guerre économique

15 janvier 2020

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : le Sommet mondial contre la corruption réunit les acteurs du monde économique afin d’échanger sur la manière de lutter contre ce fléau, Auteurs : M.ASTAR/SIPA, Numéro de reportage : 00797220_000004.

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Industrie française et commerce international : La France doit répondre à la guerre économique

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Le verdict de l’Eastern District de New York du 2 décembre dernier fera date puisqu’il a remis en cause pour la première fois la notion même d’extra-territorialité américaine ; en effet pour les jurés qui ont acquitté M. Boustani et le groupe naval Privinvest de tous les chefs d’accusation (corruption, blanchiment, manipulation électronique en vue de tromper les contribuables américains), le procureur de Brooklyn ne peut juger des faits se déroulant hors de sa juridiction.

Ce verdict ne doit pas cependant faire illusion : il reste à voir en effet s’il fera ou non jurisprudence, c’est-à-dire si les procureurs américains définiront ou non plus dans le détail la notion même de liens des accusés avec les États-Unis. Mais il peut déjà être considéré comme une première brèche contre l’omnipotence arrogante des États-Unis, shérifs autoproclamés du droit et de la morale à géométrie variable…Reste donc à l’élargir : comment ? En menant une véritable politique extra-territoriale française.

Hystérie française, hypocrisie internationale

 Les dispositifs hérités de la Loi sapin-II (décembre 2016) et de la loi de 2017 sur le devoir de vigilance des entreprises donneuses d’ordre (février 2017) et les recommandations de l’Agence française anti-corruption (J.O du 22 décembre 2017) sont totalement déséquilibrés : cette hystérie française à dénoncer l’industriel comme corrompu par nature et corrupteur par principe tranche singulièrement avec l’hypocrisie des dispositifs occidentaux.

Comment expliquer autrement les contrats obtenus par les concurrents de l’industrie de défense française (si on se borne à ce secteur) sur des marchés réputés très sensibles : Navantia en Arabie, Fincantieri au Qatar, Rheinmetall en Égypte, Damen dans les Caraïbes, IAI, Elbit et Rafael en Inde, etc. ?

Fort de constat, on peut en tirer trois leçons :

Premièrement, l’obligation de prévention de la corruption a considérablement réduit le dynamisme commercial français : certains pays étant considérés par la direction juridique comme dangereux ou trop sensibles, la direction commerciale ou générale ne donne pas suite à telle ou telle opportunité extérieure par peur des risques potentiels.

Deuxièmement, les dispositifs anti-corruption, loin d’être clairs et simples, ont alourdi les charges financières et administratives des entreprises françaises, faisant ainsi la fortune des consultants et avocats, mais entraînent la paralysie de l’industrie française. La création d’un code de conduite, la cartographie des risques, la mise en place d’un dispositif d’alerte, les procédures de contrôle comptables, la formation, le régime de sanctions internes et enfin les dispositifs de contrôle : tout est à la charge de l’entreprise française, déjà paralysée par un code du travail abscons et une fiscalité dissuasive. La loi de février 2017 sur le devoir de vigilance des entreprises donneuse d’ordre étend leur responsabilité à leur propre éco-système (fournisseurs, consultants, etc.), ce qui a pour effet d’amplifier encore la paralysie de l’industrie par les mêmes effets.

Troisièmement, l’arsenal législatif et réglementaire français met en danger l’industrie en l’exposant à des risques considérables : saisine des ONG auprès de l’AFA contre un industriel, possibilité pour elles de se constituer parties civiles, poursuites pénales facilitées, manque de confidentialité des audiences de la commission des sanctions de l’AFA, absence de contrôle des agents de l’AFA qui apparaissent doté de pouvoirs étendus sans droits donnés à la défense (confidentialité des échanges, formulations d’observation, divulgation d’informations sensibles, protection de la réputation).

On le voit : l’État et le législateur ont tout fait pour paralyser l’industrie française sans la protéger efficacement contre les dérives et surenchères des ONG et autres lanceurs d’alerte, et sans lui donner des armes contre une concurrence étrangère déloyale. À l’hystérie française correspond l’hypocrise internationale. Cette situation doit cesser ou l’industrie française saura peut-être la plus naïvement vertueuse au monde, mais elle en mourra.

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Un nationalisme économique assumé

La fin des naïvetés

Les affaires récentes dont les verdicts ont ébranlé des banques (BNP, SG), démantelé des industries (Alstom, Technip), ont ceci de commun : la naïveté des administrations régaliennes de l’État qui n’a d’égale que celle des dirigeants d’entreprise. L’Etat comme les industriels concernés n’ont rien vu venir faute de renseignements précis, faute d’analyses prospectives et faute de capacités de riposte. C’est donc d’abord sur ces points-là qu’il faut corriger les dispositifs actuels : la DGSE, forte de ses capacités de renseignement humain et électronique, devrait être en première ligne sur ces dossiers industriels majeurs, non comme un simple fournisseur de notes que personne ne lit, mais comme service chargé de détecter les campagnes contre l’industrie française (sur un secteur, une campagne ou une technologie) et de recueillir des infirmations sur la concurrence déloyale (ce qui veut dire qu’on lui donne le mandat politiquement assumé d’espionner les partenaires économiques de la France qui sont ses premiers concurrents : Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Suède, Italie, Espagne, États-Unis, Israël).

Les trois boucliers

La première mesure défensive visera à distiller à tous les niveaux (loi, règlements, statuts et actions) le discernement qui manque singulièrement à ce dispositif hystérique français. Il doit être clairement dit et inscrit que l’industriel n’est ni corrompu ni corrupteur ; or l’esprit même des lois le considère uniquement comme tel : ainsi pour conclure une transaction à l’amiable l’entreprise doit-elle d’abord reconnaître les faits, accepter sa mise en examen, c’est-à-dire ruiner sa réputation, objectif contraire à toute transaction négociée ! Il y a donc un climat particulièrement délétère qui environne et empoisonne la lutte anti-corruption qui est insupportable et qui doit cesser dès dans l’esprit.

La seconde série de mesures concerne les mises en accusation. Les dispositions actuelles multiplient les mises en accusation possibles des sociétés : il faut les retirer. Ainsi, une société ne peut être tenue pour responsable pénalement pour des faits commis par des salariés ou des personnes ou structures associées. Ainsi, une ONG ne pourra pas se constituer partie civile et devenir ainsi un procureur privé, facilement manipulé par la concurrence, privant ainsi l’entreprise d’une possibilité de négociation avec les magistrats dans le cadre d’une procédure de convention judiciaire d’intérêt public ; ainsi, enfin, devrait-on encadrer les conditions de saisine des lanceurs d’alerte qui bénéficient d’une protection dont la société ne bénéficie même pas ; enfin, la mise en place d’un plan de prévention de la corruption devrait être une cause d’exonération de la responsabilité d’une société, ce qu’elle n’est pas en droit français.

Le troisième volet tient à la protection des informations des entreprises. Il conviendrait d’abord et enfin de définir en droit le secret des affaires ; sa non-définition permet tous les abus des inquisiteurs de l’AFA et engendre un risque considérable pour une société aux activités sensibles.

Il conviendra ensuite d’interdire la publicité des débats lors de toute procédure soit avec l’AFA (commission des sanctions où tout est publié) soit lors d’une Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) où l’audience de validation de l’accord négocié est publique et la convention publiée… ! Enfin il est urgent de moderniser la loi de blocage de juillet 1968 : les informations sensibles dont la transmission aux autorités étrangères doit être bloquée doivent être précisées plus finement ; l’État doit encadrer le processus de négociation avec les autorités étrangères en devenant l’interlocuteur exclusif de celles-ci et non la seule société, en contrôlant par l’État ; les sanctions pénales, administratives et pécuniaires, enfin doivent être renforcées afin de punir tout délit de transmission. Cette loi doit bloquer des affaires comme celle d’Airbus où le PDG a, de sa propre autorité, transmis ce qu’il n’aurait jamais dû avoir l’autorisation de transmettre au ministère de la Justice américain.

Les épées

La première est celle du renseignement offensif : si une société française sensible, quelle que soit sa taille, rencontre une concurrence qu’elle juge déloyale, les services spécialisés de l’État doivent lui porter assistance. Un droit d’assistance doit être instauré afin que les sociétés françaises (et non pas seulement quelques-unes mieux en cour ou mieux positionnées) puissent disposer d’un renseignement opérationnel de qualité sur leur concurrence, notamment lorsque celle-ci est jugée déloyale (cas des sociétés sud-coréennes, turques, israéliennes, espagnoles, italiennes, etc.). C’est l’intégralité du dispositif d’intelligence économique de l’Etat qu’il convient de revoir de fond en comble : inefficace, marginalisé, mal coordonné, il n’a jamais irrigué le tissu de l’industrie française en profondeur.

La seconde épée est celle de coordonner la position française au niveau international, là où souvent les normes s’élaborent sans que la France puisse y exercer une influence conforme à ses intérêts. Au lieu de harceler les sociétés françaises, l’AFA serait chargée de la défense des intérêts français sur ce thème dans les enceintes internationales, notamment européennes, avec pour objectif de négocier des dispositifs de défense (réforme du règlement européen en matière de protection contre l’extra-territorialité, statut européen du secret des affaires, création d’un bureau de contrôle des actifs étrangers, etc.).

Enfin, afin d’assurer un équilibre avec les lois américaine et britannique, la France doit se doter d’une véritable politique d’extra-territorialité. L’article 21 de la loi Sapin-II doit être réécrit afin de permettre la poursuite devant la justice française des sociétés étrangères pour fait de corruption, sur les mêmes fondements que les textes anglo-saxons (cotation à Paris, transit électronique, paiement en euros, activité ou présence en France, etc.).

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La concurrence à laquelle fait face l’industrie française sur les marchés extérieurs est déjà tellement déloyale (dumping social, environnemental, monétaire, fiscal, normatif, etc.) que l’État et le législateur n’ont nul droit à l’alourdir encore par des dispositifs hystériques, inquisitoriaux et iniques, qui engraissent avocats et consultants, mais tuent le commerce extérieur de la France. Le temps de l’hystérie, de l’hypocrisie et de l’inertie est fini : place au bon sens, au discernement et à la défense du commerce extérieur français.

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : le Sommet mondial contre la corruption réunit les acteurs du monde économique afin d’échanger sur la manière de lutter contre ce fléau, Auteurs : M.ASTAR/SIPA, Numéro de reportage : 00797220_000004.

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À propos de l’auteur
Jérôme Rivière

Jérôme Rivière

Membre du cabinet de François Léotard au Ministère de la Défense (1993-1995), il a également été député UMP des Alpes-Maritimes. Depuis 2019, il est député européen RN, président de la délégation française du groupe ID, membre de la commission des affaires étrangères.
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