Pour limiter les incendies, les pompiers font usage de retardants contre le feu. Mais ceux-ci sont composés de produits chimiques qui peuvent être néfaste pour la repousse de la végétation. Plusieurs chercheurs français sont désormais rassemblés autour de l’université de Corte pour développer d’autres types de produits.
Dans le cadre d’un partenariat pluriel avec les Universités de Lille et de Nantes, l’INRAE, ou encore l’industriel Bioex, l’université de Corse et son laboratoire des sciences pour l’environnement dirigé par Toussaint Barboni, travaille depuis quelques mois sur la mise en œuvre d’un nouveau programme de solutions biosourcées et biodégradables pour prévenir et lutter plus efficacement contre les incendies et les feux de forêt. Une révolution majeure pour les acteurs de la Sécurité Civile ? S’il est encore trop tôt pour l’affirmer, les travaux sont prometteurs.
Les incendies frappent régulièrement les régions de la Méditerranée. A l’autre bout du monde, les Etats-Unis et le Canada sont, quant à eux, confrontés aux méga-feux de forêt dont le terme suffit déjà à provoquer un vif effroi. Mais après le théâtre de désolation et ces immenses étendues de terres carbonisées, il y a peut-être plus inquiétant, la difficulté voire l’impossibilité bien souvent pour la nature de se reconstituer après l’utilisation des retardants largués par les avions bombardiers d’eau.
Ces produits sont ainsi composés de phosphate d’ammonium, une composante ignifugée, qui protège la flore des incendies en augmentant la température de combustion de 300°C à 700°C. Généralement, le produit est largué pour un tiers sur le feu et pour les deux tiers suivants sur la végétation à proximité afin d’ériger une barricade efficace et d’éviter toute reprise de feu. Les conséquences de cette dispersion chimique sont nombreuses selon de nombreuses données scientifiques : pollution des sols et des nappes phréatiques, disparition de la biodiversité (espèces végétales, insectes, microbiologie), produit particulièrement nocif pour les poissons d’eau douce, etc.
Trouver d’autres moyens de lutte contre les incendies
Au sein de la recherche universitaire de France, on veut prendre à bras-le-corps cette problématique en travaillant, depuis quelques années, sur une gamme de nouveaux produits à partir de solutions biosourcées et biodégradables à faible pour ne pas dire à zéro impact environnemental.
De la volonté des Unités Mixte de Recherche des Universités de Lille, Nantes et Corte, est née la plateforme PREFIBIO, un projet d’une durée de 54 mois qui est financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), l’ADEME et la région Hauts de France pour un montant total de 635 000 euros. PREFIBIO sert à rassembler des chercheurs, des scientifiques, des étudiants, des experts en chimie, en incendie, en environnement mais aussi les acteurs de la Sécurité Civile ainsi que l’entreprise française leader européen dans les solutions de lutte contre les incendies, BIOEX. Sous la conduite de Maude Jimenez, d’Anne-Laure Fameau, d’Yvan Capowiez, de Gérald Thouand ou encore de Toussaint Barboni, des doctorants comme Helena Arellano, originaire du Mexique ou Lola Zavattoni travaillent sur de nouveaux matériaux biodégradables qui pourront être appliqués comme retardant à long terme sur des feux de forêt. Le terme « long terme » s’emploie pour indiquer que le produit agit encore après l’extinction des flammes pendant plusieurs heures ou jours. Selon Lola Zavattoni : « On effectue des tests en laboratoire pour déterminer le niveau d’efficacité d’un certain nombre de produits biosourcés et renouvelables. La problématique actuelle provient du taux de phosphore qui est répandu dans les largages. Tout est question de dosage et d’équilibre. On va travailler pour réduire ce taux. Nous aimerions ainsi remplacer l’offre commerciale qui est constitué de produits à base de polyphosphates. Plusieurs méthodes sont mises en place à travers l’utilisation de protéines, de polysaccharides mais notre objectif est d’utiliser davantage de sources comme l’acide phytique qui provient de plantes ou encore l’acide tannique. »
Toussaint Barboni, l’un des responsables scientifiques du programme insiste sur les grands enjeux de la recherche : « L’efficacité des retardateurs à court terme (gels, mousses) dépend de la quantité d’eau qu’ils contiennent : lorsque toute l’eau s’est évaporée, ils ne sont plus efficaces. De nombreux émulseurs existent sur le marché, certains contenant cependant des agents de surface fluorocarbonés nocifs pour l’humain et l’environnement. Le projet PREFIBIO vise à formuler, à partir de tensioactifs verts et de biopolymères disponibles dans le commerce, des émulseurs entièrement biosourcés et biodégradables, respectant l’écosystème et favorisant si possible la germination pour restaurer l’environnement après un incendie. On pense pouvoir démontrer à la société et à l’industrie que l’élaboration éco-efficace de solutions de lutte contre les feux de forêt peut être possible et améliorée en utilisant des ressources renouvelables biosourcées. »
Un produit en cours d’expérimentation
Ces résultats prometteurs doivent encore faire l’objet de nombreuses expérimentations avant d’envisager une mise en œuvre sur le marché à condition de lever certains doutes parmi les acteurs de la sécurité civile. Des responsables du service d’incendies et de secours de la Corse (SIS) ont assisté aux premiers travaux de présentation du programme. Ainsi, la recherche scientifique devra s’adapter à des exigences très fortes : raréfaction de l’eau potable, harmonisation de ces nouveaux produits biosourcés aux outils utilisés par les pompiers (camions citernes, bombardiers d’eau), facilité de mise en œuvre, habitudes de travail ou encore coût financier.
Enfin, l’épineuse problématique est celle de forme de la solution qui sera retenue. En poudre ? liquide ? pour quelle quantité d’eau ? ou encore comment mélanger et brasser avec l’eau ? Grâce aux conseils prodigués par les soldats du feu, les doctorants et leurs professeurs peuvent d’ores et déjà imaginer de nouvelles pistes de réflexion en prenant notamment attache auprès du Centre d’essais et de recherche (CEREN) de Valabres en Provence, le nec plus ultra en Europe en termes de conception de produits et de systèmes utilisés par les personnels de Sécurité Civile. Pour le Lieutenant-Colonel Jean-Noël Rigot du SIS de la Corse : « La doctrine de la stratégie de lutte contre les incendies se définit par l’attaque massive sur les feux de forêt naissants avec les avions DASH ou les canadairs mais on se pose la question d’utiliser un retardant très coûteux sur un feu naissant même si l’efficacité du retardant est largement prouvée et que cela ne souffre d’aucune contestation. »