Italie – France : repenser les liens pour un destin commun

26 mai 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Le président français Emmanuel Macron et le premier ministre italien Mario Draghi à la Villa Madame à Rome, après avoir signé le traité du Quirinal entre l'Italie et la France. Crédits: AP Photo/Domenico Stinellis

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Italie – France : repenser les liens pour un destin commun

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Les échanges économiques ne cessent de croître entre l’Italie et la France. Les deux pays représentent des opportunités d’investissements et de coopérations. Les convergences géopolitiques sont nombreuses. Entretien croisé avec Edoardo Secchi et Jean-Baptiste Noé

Edoardo Secchi est entrepreneur et conseiller économique. Il dirige le Club Italie – France.

Jean-Baptiste Noé est professeur d’économie et rédacteur en chef de Conflits

Conflits : Qu’en est-il des relations économiques entre l’Italie et la France ?

Edoardo Secchi : Malheureusement la politique ne suit pas forcément le dynamisme de chef d’entreprise, et des entrepreneurs qui créent de la valeur pour les deux pays. Entre la France et l’Italie, l’économie, mais aussi la culture, demeure la forme la plus aboutie du dialogue. L’économie réelle nous rappelle par les faits que la synergie franco-italienne est bien plus importante que les querelles politiques passagères.

Conflits : La plupart des gens ignorent la valeur économique des relations entre les deux pays. Pourriez-vous nous donner quelques indicateurs ?

Edoardo Secchi : L’écosystème économique franco-italien est représenté par environ 4 000 entreprises installées de deux côtés des Alpes, et emploient plus de 400 000 salariés dans différents secteurs économiques importants, tels que le secteur aérospatial, naval, la technologie, la défense, la finance, la mode, l’assurance, l’automobile, les transports, l’énergie, les travaux publics, l’agroalimentaire et le tourisme. Concernant les échanges bilatéraux, depuis 2014, ils n’ont cessé de s’accroître pour atteindre les 127 milliards d’euros en 2024, selon le ministère de l’Économie française.

Ce résultat a été possible grâce à la capacité des entreprises, qui investissent, créent des opportunités et de la valeur pour les deux pays, en comptant uniquement sur leurs ressources.  Cependant, la succession des crises économiques, l’instabilité persistante et les menaces extérieures nous imposent, au-delà d’une vigilance maximale, de prendre des mesures communes pour soutenir le développement de projets stratégiques aux deux pays comme l’innovation technologique, l’intelligence artificielle, la cybersécurité, la défense, l’énergie. Les deux pays disposent de ressources considérables qui, mises en commun, pourraient faire une véritable différence à l’échelle mondiale.

L’écosystème économique franco-italien est représenté par environ 4 000 entreprises installées de deux côtés des Alpes, et emploient plus de 400 000 salariés

Conflits : Que cherchent les entrepreneurs italiens en France et français en Italie ?

Edoardo Secchi : Il existe une parfaite complémentarité des deux économies grâce à leur spécificité. Un grand nombre d’entreprises italiennes trouvent en France un terrain fertile pour se développer non seulement à l’intérieur du pays où coexistent différentes écosystèmes français et internationaux d’envergure, mais aussi, grâce à la francophonie, la France représente aussi la porte d’entrée vers d’autres marchés.  En revanche, la France a été l’un des premiers pays européens à saisir le potentiel du marché italien, en investissant dans des secteurs à forte valeur ajoutée tels que la technologie, la fintech, le e-commerce et les services.

Conflits : Que faire donc pour améliorer le dialogue ?

Edoardo Secchi : Le premier obstacle à dépasser, c’est le manque d’informations suffisantes nécessaires pour permettre à ces deux pays de se connaître. Dans un monde de plus en plus complexe, la connaissance représente la boussole qui guide nos choix. Pour vous donner un exemple concret, aujourd’hui, en 2025, on ne connaît pas bien en Italie les territoires, les industries, les atouts de la France. Ça va de même du côté français. Dans ce cadre, le travail que nous menons ensemble à Conflits et au Club Italie-France est fondamental, car il permet aux décideurs d’accéder à des informations stratégiques et découvrir les potentialités et les opportunités offertes par ces deux pays à travers nos conférences, nos évènements bilatéraux.

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Conflits : La France et l’Italie doivent faire face à des crises et des défis géopolitiques. Quels sont, selon vous, les plus importants qui nécessiteront une plus grande unité ?

Jean-Baptiste Noé : Nous avons une mer en commun, la Méditerranée. Or, les défis qui se manifestent dans cet espace maritime sont nombreux et importants. La question migratoire, bien sûr, mais aussi la coopération avec les pays d’Afrique du Nord, du Maroc à l’Égypte, l’exploitation des gisements de gaz en Méditerranée orientale, la coopération dans la lutte contre les réseaux criminels.

Les entreprises sont en concurrence. Mais cette concurrence est une bonne chose, car elle oblige à innover et s’adapter aux nouveaux défis. Les risques géopolitiques sont donc une opportunité.

Conflits : La géopolitique est revenue au centre du débat mondial, car le monde traverse une phase de transition multipolaire, marquée par des guerres, des rivalités entre puissances, une instabilité énergétique et climatique, une redéfinition des chaînes de valeur, ainsi qu’une utilisation croissante du numérique et de l’intelligence artificielle comme instruments de pouvoir. La France et l’Italie n’auraient-elles pas tout intérêt à construire une vision géopolitique partagée, capable de valoriser leurs excellences respectives et d’influencer le monde multipolaire qui est en train de naître ?

Jean-Baptiste Noé : Les deux pays partagent le même socle culturel et historique, même si la culture politique est différente en France et en Italie. La France est plus centralisée quand l’Italie accorde une grande autonomie à ses régions.

Mais les coopérations sont déjà présentes, notamment dans le domaine universitaire. De nombreux Italiens viennent étudier en France et l’Italie devient de plus en plus un pays d’étude pour les jeunes Français.

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Je vois également un autre point commun : la vision mondiale, même si celle-ci s’exprime différemment. L’Italie dispose d’une diaspora présente sur tous les continents, qui sont autant de points de relais et d’appuis pour ses entreprises. Quant à la France, elle dispose d’une projection mondiale avec ses territoires d’outre-mer et nombreux sont les Français qui travaillent à l’étranger. Cette vision mondiale est assez unique en Europe. Elle permet de comprendre les enjeux mondiaux et les différentes problématiques rencontrées par les pays à travers le monde.

Conflits : Dans le monde d’aujourd’hui, interconnecté et instable, comprendre les dynamiques géopolitiques n’est plus un luxe réservé à quelques-uns, mais une nécessité collective. Avez-vous envisagé de créer des cours et/ou des masters en géopolitique entre les deux pays ?

Jean-Baptiste Noé : Oui, c’est absolument fondamental. L’analyse géopolitique n’est pas réservée aux multinationales. Les petites et moyennes entreprises sont elles aussi concernées. Ce n’est pas un luxe, mais une nécessité vitale. Les entreprises ont des comptables, pour leurs finances, des avocats, pour les aspects juridiques, elles doivent avoir des analystes géopolitiques. Sinon, comment investir en Europe, en Asie ou ailleurs ?

L’analyse géopolitique permet de comprendre les différences entre les pays, les logiques de puissance, les dangers et les opportunités.

Conflits : Dans le contexte actuel, il n’existe plus de séparation nette entre politique intérieure, extérieure, économique et technologique. Chaque décision a des répercussions à l’échelle mondiale. Si la diplomatie officielle peine parfois à gérer ces phénomènes, n’est-ce pas peut-être en raison d’un manque de dimension géopolitique ?

Jean-Baptiste Noé : L’action politique est trop souvent dans le temps court. L’action des gouvernements est limitée aux échéances électorales. Un chef d’entreprise regarde le temps court bien sûr, mais aussi le temps moyen et long. Quand on fait des investissements, c’est en envisageant des gains qui parfois n’arriveront que dans 5 ou 10 ans. Cette différence d’action dans le temps explique la mauvaise compréhension entre le politique et l’économique. Et puis un chef d’entreprise n’a pas le droit à l’erreur. Un mauvais choix peut signifier la faillite de son entreprise, des licenciements et sa ruine. Il subit directement les conséquences de ses choix, que ceux-ci soient bons ou mauvais. Sa responsabilité est donc grande, pour lui, mais aussi pour toutes les personnes dont il a la charge.

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À propos de l’auteur
Edoardo Secchi

Edoardo Secchi

Entrepreneur, investisseur, conseilleur économique. Président fondateur d’Italy-France Group et fondateur du club Italie-France.

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