Après le succès de l’introduction en bourse de la pépite française Exosens et son remarquable parcours depuis, Jean-Bernard Lafonta, fondateur de HLD Europe, partage sa vision des enjeux de financement de la base industrielle et technologique de défense (BITD).
Conflits. Depuis l’invasion russe en Ukraine, la nécessité d’un renforcement capacitaire de notre secteur de la défense a été clairement établie. L’industrie de défense est évidemment l’une des clés de voûte de cette remontée en puissance. En revanche, beaucoup de questions liées au financement de ces efforts restent en suspens. Quels sont, selon vous, les principaux défis à relever ?
Jean-Bernard Lafonta – La guerre en Ukraine, et plus largement l’instabilité croissante du monde, ont réaffirmé aux yeux des décideurs l’importance stratégique de l’outil militaire, pour la France comme pour l’Europe. La LPM 2024-2030 acte cette prise de conscience : 268 milliards d’euros seront consacrés aux équipements militaires, plaçant de fait l’industrie de défense au cœur du dispositif.
Cette dynamique crée de nouveaux défis, en particulier pour les PME et ETI qui composent l’essentiel de la BITD. Contrairement aux grands groupes, elles disposent de moins de moyens pour augmenter leurs capacités de production ou attirer les talents dans un contexte de pénurie. La compétition s’intensifie également sur le plan international, avec la montée en puissance de pays comme la Turquie, la Corée du Sud ou Israël, dont les industriels de défense s’imposent de plus en plus à l’export.
Face à cela, l’accès au financement est crucial car les PME sont le maillon stratégique de la montée en puissance de la BITD. Banques, capital-investissement, capital-risque doivent envisager la défense non plus comme un secteur à part, mais comme un gisement d’opportunités : savoir-faire technologique souvent dual, carnets de commande solides, partenariats de long terme avec des clients publics fiables, barrières à l’entrée élevées.
Parmi les solutions d’ores et déjà actées, l’une des plus remarquées — et commentées — a été le lancement d’un fonds de capital-investissement ouvert aux particuliers, dédié au secteur de la défense, dont la taille cible est de 450 millions d’euros. Quel regard portez-vous sur cette initiative, qui vient s’ajouter aux mécanismes existants de financement ?
Jean-Bernard Lafonta — Toute initiative visant à financer le secteur mérite d’être saluée. L’ouverture de ce fonds par Bpifrance permet enfin aux particuliers d’investir dans la défense, jusqu’ici réservée aux professionnels. C’est un premier pas, mais les besoins annuels sont évalués entre 5 et 7 milliards d’euros d’ici 2030 : on reste loin du compte. Ce fonds a le mérite de prolonger l’ouverture du private equity (NDLR. capital-investissement) aux particuliers, en leur proposant une alternative performante aux placements traditionnels.
Vous avez accompagné la croissance d’Exosens — l’une des pépites françaises du secteur de la défense — et récemment travaillé à son introduction en bourse. En France, les grands groupes cotés, comme Thales ou Dassault, sont très bien identifiés du grand public. Les PME et TPE le sont en revanche beaucoup moins. Comment percevez-vous les PME/TPE qui composent notre BITD ?
Jean-Bernard Lafonta — Au-delà des grands groupes bien identifiés, la BITD repose sur un tissu de plus de 4 000 startups, PME et ETI. L’entreprise-type, c’est une PME de 50 salariés, dont un quart du chiffre d’affaires provient du secteur défense. On observe plusieurs traits communs : historiquement, ces sociétés étaient perçues comme moins rentables, plus endettées, avec une capacité de valorisation limitée.
Mais les lignes bougent. La hausse de la commande publique européenne, la création du Fonds innovation défense et l’intérêt croissant des investisseurs (comme Allianz) changent la donne. Les PME montent en gamme, développent des produits à plus forte valeur ajoutée et améliorent leur rentabilité. Les perspectives sont aujourd’hui nettement plus favorables.
Sur le plan technologique, la tradition française d’excellence perdure. Elle s’appuie sur des filières maîtrisées, une expertise reconnue dans plusieurs domaines stratégiques, et un vivier d’ingénieurs de haut niveau, moteur constant de l’innovation.
Quelle est, selon vous, la place que doivent prendre les acteurs du capital-investissement et, plus généralement, du financement des entreprises, dans le soutien aux filières industrielles de la défense ?
Jean-Bernard Lafonta — Le même que dans les autres secteurs : accompagner la croissance, aider les entreprises à changer d’échelle. Le capital-investissement est déjà très présent dans la BITD : 9,4 milliards d’euros investis en fonds propres depuis 2003, dont 4,1 depuis 2020.
Chez HLD, nous avons misé très tôt sur le potentiel dual du secteur avec Aresia, spécialisée dans les équipements aéronautiques, MVG dans la mesure des ondes électromagnétiques et Exosens, l’un des acteurs les plus innovants au monde dans la photonique, pour des applications civiles et militaires.
De nombreux freins — qu’il s’agisse du facteur réputationnel ou des craintes réglementaires et RSE — ont en effet pu limiter la volonté de certains groupes d’investissement de se positionner sur le secteur de la défense. Ces freins persistent-ils encore aujourd’hui ?
Jean-Bernard Lafonta — C’était le cas. De nombreux professionnels déploraient des refus de financement liés à une lecture trop restrictive des critères ESG, ou à la frilosité bancaire, accentuée par la loi Sapin 2.
Mais les mentalités évoluent. On reconnaît que la défense est un pilier de la stabilité, donc de la durabilité. Une stratégie ESG nationale ne peut s’envisager sans une industrie de défense forte et intégrée.