Ultimatums restés sans suite, sanctions annoncées puis oubliées, négociations menées au coup par coup : la méthode de Donald Trump suscite des interrogations sur la crédibilité américaine. De l’Ukraine à la Chine, en passant par l’Europe, ces choix pèsent sur les équilibres diplomatiques et sur la relation transatlantique.
Entretien avec John Robert Bolton, ex conseiller à la sécurité nationale sous l’administration Trump (2018-2019), poste dont il a démissionné à la suite de désaccords avec le président. Propos recueillis par Henrik Werenskiold
Donald Trump a prouvé qu’il est un maître dans l’art de fixer des échéances artificielles et des lignes rouges, puis de les ignorer ensuite. Il y a eu la menace de sanctions secondaires contre les acheteurs de pétrole russe, qui a été tout simplement ignorée. Et puis il y a eu l’ultimatum récent d’accepter le traité de paix imposé à l’Ukraine, avec une semaine pour l’accepter. Il a été ignoré.
Compte tenu de tout cela, à quel moment Donald Trump commence-t-il à apparaître comme un tigre de papier — quelqu’un qui lance toutes ces menaces et pour qui, finalement, rien ne se passe ?
Je pense que nous y sommes déjà, franchement. C’est de là que vient l’expression TACO — Trump Always Chickens Out (« Trump se dégonfle toujours »). Je pense que la plupart des gens considèrent les négociations entre les États-Unis et la Chine sur les terres rares et les droits de douane au cours de l’année écoulée comme une victoire pour la Chine.
Un accord négocié par Trump avec la Chine serait le plus grand accord commercial de l’histoire. Et c’est ce qu’il veut vraiment. Il veut que ce soit réglé lorsqu’il se rendra en Chine en avril, et c’est devenu une obsession pour lui. Trump ne veut rien qui puisse entraver cet accord commercial avec la Chine. Et Xi Jinping le sait, et il en joue très habilement.
Je pense aussi que Poutine sait ce que Trump veut — le prix Nobel de la paix — et qu’il le manipule en conséquence. Ainsi, même si Poutine ne veut pas être l’obstacle entre Trump et ce prix, il a travaillé dur — et avec succès — pour faire porter la responsabilité sur Zelensky jusqu’à présent.
Ce qui déterminera la suite, selon moi, c’est de savoir si ce que Zelensky acceptera aujourd’hui donnera à Poutine suffisamment de munitions pour dire à Trump :
« Ce type ne veut pas vraiment la paix. Moi, je la veux, Donald, mais Zelensky non. »
Ce serait idéal pour Poutine. Encore une fois, à tort selon moi, mais idéal pour lui. Les discussions de cessez-le-feu échouent et la guerre continue — cela lui conviendrait parfaitement.
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Qu’en est-il de la crédibilité de Trump auprès des alliés lorsqu’il se comporte de cette manière ? Nous sommes tous d’accord pour dire que l’Europe doit faire davantage pour la défense collective, et il a effectivement fait quelque chose pour pousser les Européens dans la bonne direction. Mais à un moment donné, tout ce discours et toute cette absence de conséquences devraient affecter sa crédibilité, aussi bien auprès des ennemis que des alliés, non ?
Je l’espère. Je dis depuis longtemps — et je continue de le croire — que Trump est une aberration dans la politique américaine. C’est vrai, il a été élu deux fois, mais il avait deux adversaires faibles. Il a été malchanceux en 2020, mais très chanceux en 2016 et en 2024 de se retrouver face à Clinton et Harris.
Ce que les Européens devraient se dire, ce n’est pas comment répondre à un monde supposément changé de manière irréversible par Trump, mais plutôt que Trump sera parti dans trois ans. C’est long, certes, mais ce n’est pas assez long pour offrir aux Russes ce que les Soviétiques n’ont pas réussi à obtenir pendant la guerre froide.
Il existe bel et bien une fracture entre l’Europe et les États-Unis, mais l’establishment politique américain reste fermement attaché à la relation transatlantique. Au Congrès, chez les républicains comme chez les démocrates, le soutien à l’Ukraine demeure élevé. Il en va de même pour le soutien à l’OTAN, y compris parmi les républicains. Ils sont simplement intimidés par Trump et réticents à l’exprimer publiquement.
Mais je pense que c’est ce qu’ils pensent réellement. Il suffit de regarder la loi d’autorisation de la défense nationale, qui devrait être votée par le Sénat cette semaine après avoir été adoptée par la Chambre la semaine dernière. Si l’on examine le contenu de ce texte, il s’agit très clairement d’un projet de loi de type Reagan–Bush du côté républicain.
Je pense donc que nous devons faire de notre mieux pour limiter les dégâts que Trump peut encore causer au cours des trois prochaines années, puis réfléchir à la manière de les réparer. Car Trump a clairement causé des dégâts — il est difficile à gérer et parfois irrationnel. Nous devons donc éviter de prendre des décisions qui affecteraient l’alliance d’une manière qui ne pourrait pas être réparée.
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Vu de ce côté de l’Atlantique, on a l’impression que la droite et la gauche américaines glissent toutes deux vers les marges, écrasant la politique centriste. Les extrêmes dominent de plus en plus le débat politique et ne sont pas particulièrement favorables à l’Europe. En conséquence, l’avenir paraît très incertain pour nous. Devons-nous nous inquiéter ?
Je pense qu’il est trop tôt pour le dire. Regardez simplement le Parti républicain : J.D. Vance n’a pas verrouillé l’investiture pour 2028. Beaucoup d’autres personnes pourraient émerger. En réalité, je pense même que nous avons dépassé le pic Trump au cours des quarante-cinq derniers jours, à commencer par les élections hors cycle de novembre.
Quand on observe les divisions au sein de la base MAGA — autour de Marjorie Taylor Greene, de Jeffrey Epstein, ainsi que de nombreuses questions sociales — nous entrons dans une nouvelle phase de la vie politique de Trump. Il n’est pas exact de dire qu’il est au bout du chemin, mais nous avons bel et bien dépassé le sommet. La trajectoire est désormais descendante.
Jusqu’où cela ira, je ne le sais pas. Mais Trump est de plus en plus perçu comme un président en fin de mandat (lame duck), et davantage de personnes sont prêtes à s’opposer à lui. Cela s’est produit dans l’Indiana, où le Sénat de l’État, contrôlé par les républicains à 40 contre 10, a refusé de redécouper les circonscriptions de la Chambre des représentants. C’est le type de résistance que j’aurais aimé voir il y a longtemps, et elle commence enfin à émerger — et je pense que d’autres en prennent note.
Il est également important de rappeler que seulement trois fois dans l’histoire américaine un vice-président est passé directement de la vice-présidence à la Maison-Blanche. La première fois, ce fut John Adams, juste après George Washington. Il avait été vice-président pendant les huit premières années et a ensuite obtenu son propre mandat, mais a perdu le suivant. La seconde fois, ce fut Martin Van Buren en 1836, succédant à Andrew Jackson. Et depuis, la seule autre fois où cela s’est produit fut avec George H. W. Bush, qui a succédé à Reagan.
Il n’est donc absolument pas certain que J.D. Vance obtienne l’investiture républicaine, ni qu’il ne perde pas face à un démocrate s’il l’obtient. Dans ce contexte, c’est la gauche qui dispose aujourd’hui de l’élan et de l’énergie dans la politique américaine. Mais les démocrates peuvent être leurs propres pires ennemis — ils le prouvent sans cesse.
C’est la raison pour laquelle ils ont perdu l’élection de 2024. Biden ne s’est pas retiré à temps, et ils n’ont eu d’autre choix que de désigner Kamala Harris, qui n’a pas su se démarquer de Biden. Cela dit, ils disposent de nombreuses personnalités de centre-gauche, respectables et crédibles, qui auraient d’excellentes chances de battre J.D. Vance si elles étaient investies. Donc, je pense que tout est encore très ouvert.
Mais si l’on part simplement du pire scénario, on ouvre la possibilité que Trump exploite les déclarations de dirigeants européens — comme celles du chancelier Merz plaidant pour une indépendance vis-à-vis des États-Unis — pour dire :
« Eh bien, regardez, nous ne voulons rien faire que les Européens ne veulent pas. Nous allons simplement quitter l’OTAN si cela leur fait plaisir. »
Évidemment, nous ne voulons pas lui offrir cette opportunité.
Traditionnellement, démocrates et républicains partageaient un large consensus en matière de politique étrangère. Pensez-vous que ce consensus perdurera, ou sommes-nous arrivés au bout de la politique bipartisane sur les questions de sécurité ?
C’est difficile à dire. Je pense que les démocrates ont, à bien des égards, une tendance plus marquée à l’isolationnisme que les républicains. Cela va et vient selon les périodes et les configurations. Mais sur le terrain, dans le pays, parmi les républicains, le soutien à une approche traditionnelle de type Reagan–Bush demeure très fort. Simplement, Trump est à la Maison-Blanche, et les gens ont tendance à soutenir le chef de leur parti.
Mais je pense que le soutien à l’Ukraine, en particulier, est bien plus fort qu’on ne le croit. C’est pourquoi il est important que l’Europe ne tire pas de conclusions hâtives et ne parte pas du pire scénario à ce stade. Sinon, cela pourrait devenir une prophétie autoréalisatrice. Beaucoup d’Américains diraient alors :
« Si les Européens ne se soucient pas tant que ça de l’Ukraine, alors pourquoi devrions-nous nous en soucier ? »
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