<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Kaliningrad, concentré de la nouvelle confrontation russo-occidentale

14 juillet 2020

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Photo : La ville côtière de Baltiysk, dans l'oblast de Kaliningrad, est une base navale de premier plan. Crédits photo : (CC BY 3.0) Fastboy
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Kaliningrad, concentré de la nouvelle confrontation russo-occidentale

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Territoire le plus à l’ouest de la Russie, l’enclave de Kaliningrad est un point de focalisation des tensions entre la Russie et le camp occidental. Dans un contexte de confrontations Est/Ouest et une surenchère dans les démonstrations de force de part et d’autre, Kaliningrad est le lieu d’expression de ces tensions.

Plus de vingt navires de la flotte baltique russe ont participé à des exercices militaires le 20 février dernier au large de Kaliningrad (1). Le 6 avril, trois avions militaires de l’OTAN effectuaient des vols de reconnaissance dans la région (2). Ce type d’exercices est très fréquent ici : entre 2014 et 2017, le camp occidental en a effectué plus d’une trentaine, les Russes, eux, en organisent moins souvent mais de plus grande envergure, comme les opérations Zapad qui ont lieu tous les quatre ans (3).

Ces démonstrations de force n’ont jamais débordé jusqu’à aujourd’hui, bien qu’elles prennent une teneur plus directe par moment. Ce fut le cas en avril 2016 lorsque des bombardiers russes SU-24 ont survolé à très basse altitude le destroyer américain USS Donald Cook.

Ainsi, Kaliningrad est, petit à petit, devenu le lieu où Russes et Occidentaux se font face le plus directement, comme à l’époque de la guerre froide.

Une importance stratégique récente

La politique étrangère russe vise clairement à sécuriser ses bases étrangères. L’un des objectifs de l’annexion de la Crimée était de sécuriser la base militaire de Sébastopol. L’intervention en Syrie visait, entre autres objectifs, à protéger la base navale de Tartous. Elle a constitué un tel succès qu’elle a permis au Kremlin de s’assurer une autre base, aérienne celle-ci, à Hmeimim. L’attitude à l’égard de Kaliningrad s’inscrit dans cette même dynamique. Étant le territoire russe le plus à l’ouest, il est logique qu’il devienne un point de concentration des tensions avec le camp occidental.

La ville n’a pas toujours fait l’objet d’un tel intérêt de la part des Russes et des Occidentaux. L’enclave a été intégrée à l’URSS en 1945. Staline était attiré par le port de Königsberg, libre de glaces toute l’année et rebaptisé Kaliningrad. Il est devenu ensuite ce que les Soviétiques voyaient comme un « un avant-poste militaro-stratégique » et a connu une militarisation à outrance (4) Après la chute de l’empire soviétique, la région a été largement négligée par les autorités russes, au même titre que la majorité de ses forces armées. Le budget militaire russe oscillait entre 7 et 79 milliards de roubles après 1992. C’est à partir de l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine que le budget militaire du pays dépasse à nouveau les 100 milliards de roubles (en 2016 il s’élevait à 4,6 trillions de roubles soit 5 % du PIB (5)). Alors les efforts du Kremlin se concentrent à nouveau sur Kaliningrad (6).

Un laboratoire de la coopération russo-européenne ?

Ces efforts ne sont pas uniquement militaires ; des manœuvres politiques ont en effet été menées. Vladimir Poutine souhaitait, à l’origine, utiliser l’enclave comme un laboratoire des relations russo-européennes dans lequel pourraient être testés des projets de coopération avant de pouvoir être appliqués au reste du territoire. Bruxelles a ouvert un dialogue qui a duré plusieurs années et dont la principale réalisation est la signature de l’accord de Petit Trafic frontalier : en décembre 2011, Kaliningrad et certains districts polonais furent inclus dans une zone frontalière dont les habitants pouvaient facilement et fréquemment franchir la frontière avec un permis spécial. Malgré une réussite reconnue, l’accord a été suspendu par les autorités polonaises le 3 août 2016 en raison de l’organisation du sommet de l’OTAN à Varsovie et de celle des Journées mondiales de la jeunesse à Cracovie. À l’issue de ces deux événements, un accord similaire avec l’Ukraine a été rétabli, mais pas celui avec Kaliningrad. La justification avancée était alors la détérioration générale du contexte sécuritaire.

À mesure que les relations entre la Russie et le camp occidental se tendaient, Kaliningrad a pris une dimension stratégique beaucoup plus importante, devenant le lieu où se traduisent de manière concrète les tensions politiques et diplomatiques. Le Kremlin ne mise pas tant sur l’augmentation du nombre que sur la modernité et l’efficacité du matériel utilisé. Ce qui a dernièrement inquiété les Occidentaux est l’installation de missiles Iskander. Ils font partie d’un système de missiles balistiques sol-sol avec une capacité nucléaire d’une portée de 50 à 500 km, qui aurait, selon la Présidente et le ministre de la Défense lituaniens, été stationné de manière permanente (7).

De leur côté, les États baltes font pression auprès de l’OTAN et des États-Unis pour avoir des soldats américains basés de manière permanente sur leur territoire. En attendant, les exercices Saber Strike et Baltops ont lieu une fois par an depuis plusieurs années et rassemblent les États-Unis, la Pologne, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.

Les Russes font appel à leur allié chinois. En juillet 2017, l’armée chinoise a envoyé l’un de ses meilleurs destroyers sur les côtes baltes de Kaliningrad pour procéder à un exercice conjoint avec la flotte baltique russe (8).

La trouée de Suwalki

D’un point de vue plus géostratégique, l’inquiétude des Occidentaux est concentrée sur la « trouée de Suwalki ». Elle désigne une bande de terre plate d’une centaine de kilomètres reliant la Biélorussie à Kaliningrad le long de la frontière polono-lituanienne. Si une offensive rapide venant de la Russie était menée, l’armée du Kremlin pourrait utiliser ce passage pour couper les États baltes du reste de l’Europe. Dans un tel scénario, le système de défense aérien et terrestre A2/AD (Anti Access/Area Denial), qui a déjà été installé par les Russes à Kaliningrad, rendrait difficile toute réponse conventionnelle de la part de l’OTAN, par voie maritime ou aérienne, sauf escalade vers une guerre totale.

Les Occidentaux ont bien évidemment conscience de cette possibilité, et l’ont prise en compte dans le cadre des exercices Saber Strike de 2017. Un exercice en particulier, intitulé Iron Wolf, avait pour but de tester la réactivité du bataillon multinational basé en Pologne, en lui faisant traverser la trouée de Suwalki pour atteindre rapidement la Lituanie (9).

Traduction concrète des tensions politiques et diplomatiques, Kaliningrad peut être vu comme un thermomètre des relations russo-occidentales. En ce moment, nous frôlons le froid sibérien.

Notes

  1. « Over 20 Baltic fleet warships to join naval drills» TASS, 20 février 2018.
  2. « Les USA, la France et la Suède mènent des vols de reconnaissance près de l’Ouest russe», Sputnik, 06 avril 2018.
  3. Ulla Klötzer, Lea Launokari, « The militarization of the Baltic Sea – A threat to world peace », Naiset Rauhun Puolesta, novembre 2017.
  4. Franck Tetart, Géopolitique de Kaliningrad : une île russe au sein de l’Union européenne élargie, PU Paris Sorbonne, 2007.
  5. Données banque mondiale.
  6. Jacques Fontanel, « Les dépenses militaires russe au début du xxiesiècle», AFRI Volume IV, 2003.
  7. « Lithuanian officials : Russia permanently stations Iskander missile in Kaliningrad», LETA, 5 février 2018.
  8. Zoie O’Brien, « Russia and China play war : destroyers descend on Kaliningrad for major Baltic Sea drills», Express, 18 juillet 2017.
  9. Laurent Lagneau, « L’OTAN se concentre sur le passage de Suwalki, point faible de la défense des pays baltes», Opex360.

 

Les Yeux du Monde est un collectif de spécialistes et passionnés de géopolitique et de relations internationales. Depuis 2010, ce groupe de réflexion indépendant décrypte l’actualité internationale sur son site internet www.les-yeux-du-monde.fr.

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À propos de l’auteur
Jordi Lafon

Jordi Lafon

Rédacteur géopolitique pour Les Yeux du monde, formé à l’université Paris-8 et à l’IRIS, Jordi Lafon est journaliste et analyste spécialisé dans les affaires européennes.
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