Kazakhstan : interview du président Tokaïev

3 février 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : RUSSIA, LENINGRAD REGION - DECEMBER 26, 2024: Kazakhstan's President Kassym Jomart-Tokayev attends a meeting of the Supreme Eurasian Economic Council at the Igora ski resort north of St Petersburg. Gavriil Grigorov/Russian Preside/58560105/AK/2412261535

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Kazakhstan : interview du président Tokaïev

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Le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, a accordé une interview au journal Ana Tili le 3 janvier 2025, dans laquelle il expose les axes prioritaires de sa politique intérieure et extérieure. Cette interview illustre la volonté du Kazakhstan de consolider son indépendance stratégique, d’accélérer son développement économique et de renforcer son positionnement sur la scène internationale.

Par Paulin de Rosny

Tokaïev met en avant la transformation économique du Kazakhstan, insistant sur les investissements réalisés pour moderniser les infrastructures de transport, avec notamment la construction ou la rénovation de 7 000 kilomètres de routes et l’inauguration de nouveaux terminaux aéroportuaires à Almaty, Kyzylorda et Shymkent. Dans le secteur du logement, il souligne la livraison de 18 millions de mètres carrés de nouvelles habitations. En parallèle, l’industrie manufacturière a progressé au point d’atteindre un poids économique presque équivalent à celui du secteur extractif, ce qui traduit une diversification accélérée du tissu industriel national. Il rappelle que la production agricole a atteint un niveau record de 27 millions de tonnes de céréales, témoignant du potentiel du secteur.

De nombreuses réformes économiques et sociales

L’aspect social est également central dans sa vision réformatrice du pays : il souligne l’augmentation des pensions, allocations et salaires des fonctionnaires, ainsi que le développement de nouvelles écoles, centres sportifs et universités étrangères implantées au Kazakhstan. Il met en avant ces mesures comme des investissements dans le capital humain, garantissant la stabilité et la prospérité à long terme.

Tokaïev évoque aussi une réforme judiciaire importante : à partir de juillet 2025, le pays disposera de trois juridictions distinctes pour les affaires criminelles, civiles et administratives, visant à améliorer l’efficacité et l’indépendance du système judiciaire. Il insiste également sur la nécessité d’une lutte rigoureuse contre la corruption, un défi de taille dans un pays où la redistribution des ressources économiques a longtemps favorisé une élite restreinte. En alignant la politique anticorruption du Kazakhstan sur les standards de l’OCDE, il cherche à envoyer un message aux investisseurs internationaux et à la population kazakhe sur la volonté de rendre l’économie plus transparente et compétitive.

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Indépendance énergétique et transition vers le nucléaire

Tokaïev accorde une place majeure à la souveraineté énergétique du Kazakhstan. Il rappelle que le pays possède d’importantes ressources naturelles, notamment en uranium, dont une grande partie est destinée à l’exportation, notamment vers la France. Le Kazakhstan est un fournisseur clé d’uranium pour l’industrie nucléaire française, ce qui renforce les liens énergétiques entre les deux pays. Cette relation stratégique s’inscrit dans un cadre plus large de coopération, alors que Paris cherche à sécuriser son approvisionnement en matières premières essentielles face aux tensions internationales.

L’un des points clés de son interview est le référendum de 2024 sur le nucléaire, qui a confirmé le soutien populaire à la construction de centrales nucléaires, pour une exploitation locale des ressources. Il présente ce projet comme un élément fondamental pour assurer la sécurité énergétique nationale, réduire la dépendance aux combustibles fossiles et attirer des investisseurs internationaux. Le Kazakhstan, premier producteur mondial d’uranium, entend ainsi tirer parti de ses ressources pour devenir un acteur clé du secteur nucléaire, renforçant son influence dans un contexte de transition énergétique mondiale.

En parallèle, Tokaïev souligne le rôle central du secteur pétrochimique, qui reste un pilier de l’économie kazakhe, avec des projets d’expansion visant à accroître la production et à diversifier les débouchés internationaux. Cependant le président évoque également l’essor des énergies renouvelables, avec des projets d’infrastructures solaires, éoliennes et hydroélectriques menés en partenariat avec des entreprises étrangères. Ces initiatives permettent au pays de diversifier son mix énergétique et de s’adapter aux nouvelles exigences internationales en matière de durabilité.

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Une diplomatie autonome et multi-vectorielle

Le Kazakhstan poursuit une diplomatie multi-vectorielle, cherchant à équilibrer ses relations entre la Russie, la Chine et l’Occident. Tokaïev réaffirme la nécessité d’une politique étrangère autonome, garantissant à son pays une place stratégique sur la scène internationale sans alignement exclusif. Il insiste sur le rôle du Kazakhstan en tant que « middle power », soulignant que son pays doit maintenir des relations pragmatiques avec toutes les puissances pour assurer sa stabilité et sa croissance économique.

Ce positionnement s’est récemment manifesté par le refus du Kazakhstan d’adhérer aux BRICS lors du sommet de Kazan en 2024, une décision perçue comme une prise de distance vis-à-vis de Moscou et Pékin. Tokaïev justifie cette décision en mettant en avant la volonté du pays de préserver son indépendance stratégique, tout en continuant à coopérer avec ces puissances sur des dossiers bilatéraux clés. Cette politique vise à éviter l’appartenance à des blocs trop marqués, tout en maintenant des relations économiques et sécuritaires avec des acteurs diversifiés, y compris l’OTAN. Il évoque également les récentes discussions avec les États-Unis et l’Union européenne sur des sujets tels que la sécurité énergétique et les nouvelles technologies. Ce choix témoigne d’une volonté de préserver une souveraineté stratégique tout en renforçant des partenariats bilatéraux choisis, sans se soumettre aux intérêts d’une seule puissance.

Tokaïev se fait également le défenseur de la langue kazakhe. Il se félicite de l’expansion de son usage, notamment dans les médias, l’administration et l’éducation. Le président souligne que de plus en plus de citoyens maîtrisent la langue nationale, un facteur clé de cohésion sociale et d’identité culturelle. Il rappelle que le kazakh est désormais mieux enseigné et intégré dans les institutions publiques. Pour autant, il réaffirme que cette promotion ne doit pas se faire au détriment des autres langues pratiquées dans le pays, notamment le russe, qui reste la langue des affaires et de l’administration.

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Politique et fiscalité : entre contrôle et attractivité

Sur le plan politique, Tokaïev rejette une transition vers un système parlementaire démocratique, considérant que le modèle actuel, combinant un président fort et un parlement influent, garantit mieux la stabilité et le développement du pays. Il met en avant les réformes déjà entreprises, comme le renforcement du pouvoir législatif et la diversification économique, tout en maintenant un contrôle étroit du système politique.

Le Kazakhstan adopte ainsi une modernisation contrôlée, visant avant tout la consolidation du pouvoir. Cette approche s’inscrit dans la logique du bandit stationnaire de Mancur Olson : un régime autocratique doit assurer une certaine prospérité pour éviter une révolte, tout en optimisant ses gains sur le long terme. Contrairement aux régimes les plus prédateurs, Tokaïev mise sur un équilibre entre centralisation politique et attractivité économique à long terme. Olson souligne en effet que plus les ressources économiques sont dispersées, plus une autocratie a du mal à se maintenir. Tokaïev semble en avoir conscience, appliquant une gestion centralisée qui préserve son autorité tout en maintenant un environnement favorable aux affaires.

Ce modèle se reflète dans la fiscalité kazakhe, qui reste relativement basse : 10 % d’impôt sur le revenu et 20 % sur les sociétés. En comparaison, la Russie applique une fiscalité similaire avec un impôt forfaitaire sur le revenu à 13 %, tandis que l’Ouzbékistan utilise un modèle plus progressif avec un impôt sur les sociétés à 15 % et un impôt sur le revenu atteignant 22 %. Cette stratégie permet au Kazakhstan de se positionner comme un hub économique régional, attirant les investissements sans alourdir la pression fiscale.

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