La géopolitique en résumé #2 : Olivier Kempf

1 août 2021

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La géopolitique en résumé #2 : Olivier Kempf

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Qu’est-ce que la géopolitique ? Olivier Kempf apporte quelques réponses brèves au questionnaire Lacoste.

Dans son premier numéro, Conflits avait interrogé Yves Lacoste, l’un des pères du renouveau de l’école française de géopolitique. À l’issue de l’entretien, plusieurs questions brèves lui avaient été posées. C’est ce questionnaire à Yves Lacoste, devenu le « questionnaire Lacoste » auquel répondent les membres du comité de rédaction de Conflits.

Après une carrière d’officier dans l’armée de Terre, Olivier Kempf a fondé le cabinet d’étude stratégique La Vigie. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment sur la cybersécurité.

Son dernier ouvrage : Introduction à la cyberstratégie.

Quel est votre parcours et qu’est-ce qui vous a spécifiquement mené vers la géopolitique ?

J’ai toujours beaucoup lu mais plus encore, notamment sur les relations internationales, lors de ma préparation au concours de l’École de guerre. À l’issue de celle-ci, j’apprends ma mutation à l’OTAN : pour m’y préparer je vais donc à la grande librairie du coin où je m’aperçois qu’il n’y avait aucun livre sur le sujet. J’ai donc décidé de préparer une thèse sur ce sujet de l’alliance atlantique, en commençant à publier des articles (notamment au début dans la Revue de Défense Nationale), puis à donner des cours à Science Po et autres institutions, enfin à écrire un livre, puis de soutenir ma thèse.

À la fin des années 2000, j’ai également ouvert un blog dans lequel j’écrivais chaque jour, notamment sur les questions géopolitiques et stratégiques. C’est vers cette époque-là que je me suis intéressé aux questions de cyberstratégie. Un peu plus tard, j’ai fondé en 2014 La Vigie, sorte de micro think tank stratégique qui publie d’abord une lettre bimensuelle mais produit des études dédiées à ses clients.

Voici pour la partie « non-professionnelle » car simultanément, je poursuivais ma carrière militaire avec plusieurs postes à l’OTAN, terminant notamment au siège à conseiller le Secrétaire général sur les questions d’anticipation stratégique, mais aussi à Paris où j’ai servi aussi bien dans les états-majors centraux (EMA et EMAT) qu’au CICDE. J’ai quitté l’armée en 2018 pour être consultant indépendant et je continue donc à travailler aussi sur les questions de géopolitique, en écrivant quelques articles, participant à des colloques ou produisant des études, soit pour La Vigie soit pour la FRS où je suis chercheur associé.

Autrement dit, si j’ai travaillé dans un secteur (les armées) qui était géopolitique par construction, la géopolitique a été un hobby qui a pris de plus en plus de place dans ma vie au point de devenir quasiment mon métier.

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Votre définition de la géopolitique ?

Elle est fort classique : c’est l’analyse de la rivalité de puissances sur des territoires. Mais la définition nécessite à mon sens quelques précisions. La géopolitique est une analyse (non une science, non un art), elle tient du logos. C’est pourquoi je prétends au titre de géopolitologue (comme il y a des politologues) et pas de géopoliticien (comme il y a des politiciens).

Dans certaines circonstances, j’ai pu être géopoliticien, c’est-à-dire participer à la fabrication d’une décision ou d’un événement géopolitique mais l’essentiel de mon travail à consisté à l’analyser. La puissance n’est évidemment pas seulement étatique, même si je suis un néo-réaliste qui considère que l’État conserve un rôle central dans ces affaires. Enfin, la notion de territoires doit être affinée : il s’agit bien d’espace habité (ou possédé, si l’on pense aux espaces fluides comme la mer ou l’espace sidéral) par des populations, ce qui entraîne logiquement les représentations collectives de ces populations sur les territoires qu’elles occupent.

La vertu cardinale d’un géopolitologue ?

La prise de distance par rapport à son sujet, afin d’éviter d’être transporté par les passions. Trop souvent le discours géopolitique sert des ambitions politiques, mais c’est vrai de toutes les sciences humaines. Disons qu’il y a une méthode géopolitique mais qu’elle a très peu d’outils scientifiques à sa disposition. Très souvent, le géopolitologue est un artisan qui doit composer ses recettes au cas par cas.

Personnellement, j’essaye de suivre des habitudes que je considère bénéfiques à l’usage : toujours considérer le point de vue de l’autre de façon à mettre au moins deux argumentaires en face l’un de l’autre ; varier les focales et les échelles géographiques mais aussi historiques ; déterminer les représentations culturelles du sujet ; éviter de commenter un événement à chaud, laisser la poussière retomber un peu.

Ce dernier point n’aide pas à se rendre célèbre puisqu’on doit finalement éviter de se précipiter dans les médias à la moindre étincelle. Un géopolitologue doit être discret. Au fond, il faut dix ans de pratique (lecture et écriture) pour devenir un géopolitologue aguerri.

Le péché capital pour un géopoliticien ?

La malhonnêteté intellectuelle qui se traduit par le militantisme, l’esprit de parti, la vantardise, la paresse.

Votre maître (ou vos maîtres) ?

Yves Lacoste, bien sûr que j’ai lu dès ma préparation à Saint-Cyr, au début des années 1980. Kissinger et son Diplomatie. François Thual que j’ai découvert au moment de l’École de guerre. Le général Gallois qui a publié un Géopolitique qui demeure passionnant et une référence. Michel Foucher (Fronts et frontières demeure incontournable) et Christian Grataloup, bien sûr.

Et puis tous les autres et notamment tous ceux avec qui j’ai échangé, par blog, lors de colloques, à l’université ou dans des think tanks, avec qui je corresponds sans cesse, en France ou à l’étranger : comme toute activité intellectuelle, la pensée géopolitique doit se confronter aux autres. Les livres et revues sont indispensables mais doivent être complétées par l’échange réel avec autrui : c’est probablement l’ultime outil que j’ai omis de mentionner tout à l’heure…

J’aimerais ici mentionner mon fidèle complice, Jean Dufourcq, avec qui j’ai fondé La Vigie et avec qui je ferraille d’amitiés : nous sommes tellement d’accord sur l’essentiel que nous adorons chicaner sur des détails. Je ne sais s’il est géopolitologue (il ne prétend qu’au titre de stratégiste) mais depuis quinze ans, le dialogue que j’ai avec lui m’a certainement transformé.

Votre voyage le plus instructif ?

Une de mes dernières opérations en ex-Yougoslavie, en 2004. Il n’y avait plus de combat, j’étais chef d’état-major d’un bataillon franco-espagnol, à Mostar en Bosnie. On sentait que la mission arrivait à son terme, il n’y avait pas grand-chose à faire. Cela me laissait du temps libre et j’en ai profité pour parcourir en long et en large la zone d’opération, entre la partie croate catholique, la partie serbe orthodoxe et la partie centrale, bosnienne musulmane (oui, je dis bosnienne et pas bosniaque).

J’ai rencontré de multiples interlocuteurs au long de ces quatre mois pour effectuer sur le terrain ce que j’appelais une « micro-géopolitique », tout comme on distingue la macroéconomie de la microéconomie. Par construction, la géopolitique est macro, il m‘intéressait d’en voir les aspects micro, façon de varier les focales et d’être sur le terrain. J’en avais tiré un manuscrit que je n’ai jamais publié, malheureusement. Il faudrait que je le reprenne (avis aux éditeurs). Mais j’ai d’autres projets en cours.

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Votre sujet d’étude de prédilection ?

Il a varié. J’ai beaucoup travaillé pendant dix ans sur l’Alliance atlantique et donc la sécurité européenne et atlantique. J’ai ensuite travaillé pendant une décennie sur les questions cyber, qui m’occupent encore beaucoup. J’ai plusieurs ouvrages en cours d’écriture sur des thèmes fort différents : il faut que je les achève, je vous en parlerai à ce moment-là. Disons que d’un côté, il s’agit d’aboutir à une synthèse de ce que j’ai déjà fait ; de l’autre, d’aller explorer un domaine tout à fait nouveau.

Le fondement de la puissance selon vous ?

Les hommes, bien sûr. Jean Bodin affirmait qu’« il n’est de richesse que d’hommes ». Mais il avait une approche quantitative, fondée sur le nombre. Elle demeure en partie vraie, d’ailleurs. Il reste que la notion s’est enrichie et qu’on vise aussi deux autres qualités : d’une part la compétence, la formation, la création intellectuelle ; d’autre part, la cohésion qui permet à la collectivité de participer au projet commun et se mobiliser pour le réaliser. Ceci explique pourquoi les Pays-Bas et le Bengladesh, ayant pourtant la même configuration géographique et démographique, ont eu des niveaux de développement différents, même s’il est probable que nous assisterons à un rattrapage du Bengladesh d’ici la fin du siècle.

 

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À propos de l’auteur
Olivier Kempf

Olivier Kempf

Le général (2S) Olivier Kempf est docteur en science politique et chercheur associé à la FRS. Il est directeur associé du cabinet stratégique La Vigie. Il travaille notamment sur les questions de sécurité en Europe et en Afrique du Nord et sur les questions de stratégie cyber et digitale.
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