<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La concurrence des producteurs

5 mars 2019

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : Les représentants de la Russie, du Venezuela, du Nigéria et de l'Arabie Saoudite à une rencontre de l'OPEP le 2 juillet 2019. SIPA, AP22353627_000001

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La concurrence des producteurs

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Tous les pays ou presque produisent de l’énergie, mais ils se différencient par le type d’énergie qu’ils produisent et par leur niveau d’autosuffisance ou par leur dépendance.

En matière de production pétrolière, il y a les trois grands et il y a les autres. Arabie Saoudite, Russie et États-Unis se partagent le podium, avec plus de 550 millions de tonnes de pétrole produites chaque année.

À eux trois, ils produisent autant que les dix autres pays qui les suivent. La Chine, le Canada et l’Iran produisent près de 230 millions de tonnes par an. Puis viennent les pays du Golfe, le Brésil, le Mexique et le Venezuela. Ce poids brut ne corrobore pas toujours le poids relatif. Le pétrole ne joue pas un rôle essentiel dans la puissance économique américaine, pourtant troisième productrice au monde, qui peut compter sur beaucoup d’autres piliers et atouts. En revanche, pour des pays comme l’Azerbaïdjan ou l’Indonésie, qui flirtent avec les 40 millions de tonnes annuels, le pétrole est essentiel à leur développement économique. Cette différence entre poids brut et poids relatif dans l’économie des pays explique les déboires du Venezuela (environ 100 millions de tonnes, en baisse) dont la politique sociale est indexée sur la hausse des cours.

À une approche étatique, il faut aussi substituer une approche régionale, essentielle notamment pour comprendre les tensions et les conflits générés par les zones de production et les problématiques de sortie des hydrocarbures et donc de localisation des routes des tubes. Le golfe Persique fournit un tiers de la production pétrolière mondiale. Au-delà de l’Arabie Saoudite, c’est bien sûr l’ensemble du Golfe qui est concerné par la production de gaz et de pétrole, représentant plus de 30 % de celle-ci. On comprend donc les enjeux géostratégiques de cette zone et les conséquences militaires et diplomatiques qui en découlent. Cela explique peut-être que les principales sources énergétiques sont souvent situées en zone de guerre et qu’elles génèrent des systèmes politiques corrompus et autoritaires. Pour les pouvoirs en place, la tentation est forte de faire main basse sur la rente énergétique à des fins personnelles et d’en détourner une partie pour armer des milices ou s’assurer des voix grâce aux programmes sociaux : la rente énergétique n’engendre pas nécessairement le développement économique. La liste des principaux pays producteurs d’énergie fossile ne recouvre pas celle des grandes puissances économiques.

L’Afrique noire est ainsi une zone mineure de la production d’énergie à l’échelle du globe. Mais la présence de pétrole dans le golfe de Guinée, près de la côte littorale du Nigeria et au Soudan, structure la géopolitique locale. Elle explique les politiques d’influence au Gabon et au Congo et les jeux de corruption et de violence auxquels certaines entreprises ont participé (Elf). Elle favorise les insurrections et les sécessions, comme au Nigeria et au Soudan. Avec son indépendance, le Soudan du Sud espérait devenir un émirat africain du pétrole. Il n’en fut rien : le pays s’enfonce dans la guerre ethnique et la pauvreté. Quant au Nigeria, il est fracturé par de lourdes failles qui menacent la cohésion de ce champion d’Afrique. Il en va de même en Afrique du Nord. Le pétrole et le gaz n’ont pas permis le décollage économique de l’Algérie, mais expliquent bien des blocages de ce pays, les généraux voulant conserver le pouvoir pour s’assurer sa manne financière. De même en Libye, où l’accès aux puits et aux terminaux pétroliers est un enjeu essentiel de la guerre civile et tribale qui frappe le pays depuis 2011.

L’Amérique latine est l’autre zone de production énergétique mineure à l’échelle mondiale mais majeure à l’échelle régionale. Mexique, Venezuela, Brésil et Colombie forment le quarté de tête, soit environ 10 % de la production mondiale de pétrole. Le Mexique disposait du deuxième plus grand champ de pétrole au monde, Cantarell, situé dans le golfe du Mexique, jusqu’à la fin des années 1990 où ce champ pétrolifère a commencé à décliner. Comme dans beaucoup de pays, la production de pétrole est nationalisée et contrôlée par une entreprise étatique, Pemex au Mexique, Petrobras au Brésil, PDVSA au Venezuela. Le mélange des genres est souvent dangereux. La corruption de connivence entre le secteur politique et le secteur économique au Brésil est à l’origine de la chute de la maison Lula, le Parti des travailleurs étant pris dans la tourmente d’un vaste réseau de corruption et de détournement de biens sociaux. C’est en partie ce qui a contribué à l’élection de Jair Bolsonaro. La présence énergétique peut donc avoir de lourdes conséquences politiques. Malgré une production en baisse, le Venezuela dispose de réserves très importantes. Les gisements de pétrole de l’Orénoque sont estimés à près d’un tiers des réserves de la planète et les réserves de gaz placent le pays en quatrième position, devant l’Arabie Saoudite. Des réserves à l’exploitation effective, il y a souvent un pas lointain, mais cela indique néanmoins le potentiel de ce pays, et donc sa place centrale dans la géopolitique de l’énergie. L’exploitation des réserves est toutefois conditionnée par la hausse des cours mondiaux, par la demande et par les évolutions des méthodes d’extraction.

Le Canada rêve de l’exploitation des sols bitumineux de l’Athabasca de la région de l’Alberta. Pour une partie, la couche de bitume est exploitable à ciel ouvert, ailleurs dans la région, elle se trouve dans des sols plus profonds. Le gouvernement canadien estime le gisement à 1 800 milliards de barils, ce qui correspond à l’ensemble des réserves de pétrole conventionnel dans le monde. La prudence est toutefois de mise sur la prospective et la définition des réserves, tant les outils pour la définir manquent parfois de fiabilité et aussi parce que les gisements non exploités ne sont pas toujours très bien connus. Mais en dehors de chiffre précis, cela témoigne d’un ordre de grandeur essentiel, qui pourrait placer le Canada parmi les principaux producteurs de pétrole dans le monde et provoquer le déplacement du pivot stratégique mondial du pétrole du golfe Persique vers le cercle boréal.

Ce tour du monde des ressources énergétiques laisse l’Europe sans voix. Si ses réserves de charbon ont été au XIXe siècle l’un des moteurs de son économie et de sa puissance industrielle, elle ne possède aujourd’hui aucun des grands gisements de pétrole ou de gaz. Grâce à la mer du Nord, la Norvège est le premier producteur européen d’hydrocarbures, mais les deux tiers de ses réserves de pétrole ont été extraits. Si le pétrole est en déclin, le gaz reste encore une ressource exploitable, notamment grâce aux gisements de Troll et d’Ormen Lange. Cela fait de la Norvège le troisième exportateur mondial de gaz. La prospection est actuellement menée en mer de Barents pour tenter de trouver d’autres champs pétrolifères afin de pallier la baisse prévisible de la production dans ceux qui sont exploités.

Si l’Europe n’a pas de pétrole, elle a des compagnies pétrolières. Sur les cinq premières entreprises pétrolières mondiales (hors les compagnies nationales des pays producteurs), trois sont européennes : Royal Dutch Shell (Pays-Bas), British Petroleum (Royaume-Uni) et Total (France). Les deux autres sont américaines : Exxon Mobil et Chevron. La France réussit cette prouesse d’avoir une compagnie pétrolière en quatrième position alors qu’elle n’a pas de pétrole. À ces entreprises s’ajoute ENI (Italie) fondée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’entreprise italienne a mis au jour en 2015 un vaste gisement gazier au large de l’Égypte qui s’annonce très prometteur. Pour la marque italienne, ce pourrait être l’un des principaux gisements de gaz du monde. Pour l’instant, c’est en tout cas l’un des principaux gisements de la Méditerranée. Zohr est situé à plus de 4 000 mètres de profondeur et à 150 km des côtes égyptiennes. Il relance l’intérêt pour la Méditerranée orientale car les géologues espèrent la découverte d’autres gisements. De nombreuses zones restent à explorer au large du Liban et de la Syrie, chose impossible tant que la guerre en Syrie se poursuit. Si de nouveaux gisements étaient découverts, cela renforcerait l’intérêt stratégique de l’Europe, qui borde au nord l’océan Arctique et au sud la Méditerranée. Mais cela donnerait aussi un poids plus important à des pays arabes qui sont aujourd’hui exclus du grand jeu des hydrocarbures, notamment l’Égypte et la Syrie. De quoi opérer un rééquilibrage par rapport aux pays du Golfe. Ces découvertes et ces espoirs démontrent que la question énergétique n’est jamais figée. Plus les techniques progressent, plus les besoins augmentent et plus le monde s’ouvre à de nouvelles explorations et à de nouvelles découvertes. La fin du gaz et du pétrole n’est donc pas pour tout de suite. Ce qui n’empêche pas la recherche d’autres sources énergétiques.

Électricté, charbon et uranium

Si le pétrole et le gaz peuvent se transporter sur des distances lointaines, ce n’est pas le cas de l’électricité, qui reste contrainte à une consommation locale. D’où la nécessité de nombreux sites de production. La géographie des réacteurs nucléaires témoigne d’un zonage très net de la puissance technologique (voir carte page 44). L’Océanie ne compte aucun réacteur, l’Amérique latine et l’Afrique quasiment pas : deux au Chili, un en Argentine et en Afrique du Sud. Les réacteurs sont concentrés aux États-Unis, en Europe et en Asie. Il y a ici un enjeu de puissance et de sécurité. Le nucléaire civil pouvant déboucher sur le nucléaire militaire, les puissances occidentales sont peu enclines à permettre sa diffusion. En fournissant une électricité peu chère, le nucléaire assure aussi un net avantage comparatif par rapport aux autres États. Le Kazakhstan possède quatre des principales mines d’uranium dans le monde, totalisant plus de 30 % de l’extraction mondiale. Il se place devant le Canada (18 %) et l’Australie (12 %), puis le Niger, la Namibie et l’Afghanistan. Tortkuduk est la principale mine d’uranium du pays et la quatrième au monde. Située dans le désert du Muyunkum, dans les steppes kazakhes, c’est un lieu de solitude et de désolation. La présence de l’uranium, en plus du pétrole et du gaz, renforce l’intérêt énergétique de l’Asie centrale et de l’Eurasie. Avec la mer Caspienne et son gisement prometteur de Kashagan, le Kazakhstan pourrait devenir un grand de l’énergie dans le monde. Le vide humain que sont ces vastes steppes eurasiatiques ne peut que susciter l’intérêt des trois grands : Chine, Russie, États-Unis. Au Niger, la mine d’Arlit dans le massif de l’Aïr situé dans le Sahara est aussi un lieu de refuge d’Aqmi et des bandes djihadistes. La sécurisation de la zone est donc essentielle, tout autant pour lutter contre l’islamisme international que pour préserver la production mondiale d’uranium. Les barrages hydroélectriques sont l’autre source possible d’énergie. Le plus grand au monde est celui des Trois-Gorges, en Chine. Il est suivi du barrage d’Itaipu, au Brésil. Sur les dix plus grands barrages au monde, la Chine en compte quatre. C’est un secteur dans lequel elle a beaucoup investi, tout autant pour posséder l’énergie abondante dont elle a besoin pour son développement que pour aménager son territoire et développer les régions intérieures du pays. Les barrages peuvent eux aussi être source de tensions et de conflits, car ils impliquent un contrôle du fleuve par l’amont et une mise sous tutelle de l’aval.
C’est le cas des barrages du Nil qui provoquent des tensions entre le Soudan et l’Égypte, ainsi que du barrage Ataturk construit sur l’Euphrate et qui pénalise l’Irak et la Syrie. Itaipu est quant à lui une source de tensions entre le Brésil et le Paraguay. Ici, la question énergétique en rejoint une autre tout aussi fondamentale, celle de l’eau et donc de l’irrigation. La nécessité du besoin énergétique n’a pas fini de provoquer des tensions entre les peuples.

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Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.
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