<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La compétitivité de l’Allemagne s’effrite   

10 juin 2022

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La compétitivité de l’Allemagne s’effrite  

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L’économie manufacturière allemande a longtemps été le roi de la compétitivité. Aujourd’hui, elle commence à vaciller. Cette situation est de mauvais augure pour les perspectives de croissance de l’Allemagne à court terme, et potentiellement aussi à plus long terme.

Un article de Gavekal. Traduction de Conflits.

Il existe plusieurs façons d’évaluer la santé concurrentielle de l’Allemagne, mais la plus simple est peut-être d’examiner la balance commerciale. Pendant des décennies après le choc de la réunification au début des années 1990, l’excédent commercial de l’Allemagne a eu tendance à augmenter par rapport à la production globale, passant de 0,7 % du PIB en 1991 pour culminer à 8 % en 2015. En 2019, à la veille de la pandémie, il s’élevait à un solide 6,4 % du PIB.

Cette augmentation reflète la façon dont l’économie industrielle allemande a atteint un point de compétitivité idéal depuis des décennies. L’industrie manufacturière allemande a surfé sur la crête de la vague de la mondialisation, bénéficiant du développement de chaînes d’approvisionnement mondiales, qui ont maintenu les coûts des intrants à un bas niveau, et de la croissance tirée par la Chine en Asie de l’Est et ailleurs, qui a fourni des marchés prêts pour les exportations allemandes haut de gamme.

La Bundesbank d’abord, puis la Banque centrale européenne qui a hérité de son rôle, ont renforcé la réputation de l’Allemagne en matière de stabilité des prix, aidées en cela par la politique budgétaire constitutionnelle de Berlin. Le lancement de l’euro en 1999 a assuré la compétitivité du taux de change allemand. Et lorsque la hausse des prix des produits de base a menacé le contrôle des coûts de l’Allemagne au début des années 2000, les travailleurs allemands ont accepté la restriction des salaires plutôt que de perdre des emplois au profit d’usines à moindre coût à l’étranger.

L’industrie allemande en crise

En conséquence, le commerce est passé d’un tiers du PIB allemand au début des années 1990 à plus des trois quarts ces dernières années, les exportations représentant près de la moitié de la valeur ajoutée brute allemande totale.

Aujourd’hui, cependant, les coûts semblent échapper à tout contrôle et éroder la compétitivité de l’Allemagne. Le signe le plus évident est l’inflation des prix à la production, qui a atteint 33,4 % en glissement annuel en avril, en données corrigées des variations saisonnières, soit trois fois plus que le taux américain et quatre fois plus que l’inflation des prix à la production en Chine. Cette augmentation est due en grande partie à l’envolée du coût de l’énergie importée, qui est en grande partie responsable de l’effondrement de l’excédent commercial de l’Allemagne, qui a atteint son niveau le plus bas depuis deux décennies, à savoir 2,4 % du PIB, au premier trimestre 2022.

Mais la hausse des factures d’importation d’énergie n’explique pas tout. Si l’on exclut l’énergie, les prix à la production allemands ont encore augmenté de 16,3 % en glissement annuel en avril, sous l’effet d’une hausse de 22,5 % en glissement annuel des prix des biens intermédiaires. Et un volume croissant de ces biens intermédiaires est importé, principalement de Chine. Au total, l’augmentation de la valeur des importations allemandes de biens non énergétiques en provenance de Chine a représenté -1,3 point de pourcentage de la baisse de -4 points de pourcentage de l’excédent commercial allemand par rapport au PIB depuis le début de la pandémie.

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Cette évolution s’explique en grande partie par la tentative actuelle de rééquiper le secteur automobile allemand en développant la production de véhicules électriques. La production allemande de batteries a doublé au cours des deux dernières années pour atteindre une valeur de près de 600 millions d’euros. Mais malgré le programme européen visant à accélérer la fabrication de batteries (voir le boom européen des batteries), la demande continue de dépasser l’offre locale. Par conséquent, les importations allemandes de batteries ont également doublé au cours des deux dernières années, la Chine étant une source majeure d’expéditions.

Et que les batteries finies soient importées ou non, les prix des matériaux qui les composent augmentent. Prenons l’exemple du nickel, qui est essentiel à la production de batteries. La Russie est le troisième producteur mondial de ce métal, représentant 10 % de l’offre mondiale avant la pandémie. Les expéditions russes ayant été fortement perturbées par les sanctions occidentales concernant l’Ukraine, le prix mondial du nickel a augmenté de 65 % par an. Il en va de même pour d’autres matériaux (voir Une nouvelle ère de nationalisme des ressources).

En bref, l’industrie allemande est mise à mal par les augmentations du coût des biens de production, souvent disproportionnées. Et plus les prix de ces biens restera élevé, plus la répercussion sur les prix à la consommation sera importante. Et plus la répercussion sur les prix à la consommation sera importante, plus les employeurs seront poussés à augmenter rapidement les salaires, ce qui affaiblira encore plus la compétitivité.

Un avenir économique qui s’annonce difficile 

Ces pressions sont déjà visibles. Le gouvernement allemand a promis d’augmenter le salaire minimum fédéral de 20 % en octobre, ce qui touchera 7 millions de salariés. Et le principal syndicat industriel allemand, IG Metall, réclame une augmentation de 8,2 % des salaires au cours des 12 prochains mois pour 68 000 travailleurs du secteur sidérurgique. Ils n’obtiendront peut-être pas cette somme, mais toute augmentation supérieure aux quelque 2 % observés ces dernières années constituera une référence claire pour les accords ultérieurs concernant un nombre beaucoup plus important de travailleurs.

Les craintes d’une spirale salaires-prix ont contraint la BCE à réagir en resserrant sa politique monétaire plus rapidement qu’elle ne l’avait prévu il y a quelques mois à peine. Avec une hausse des taux de 25 points de base prévue pour juillet et une autre en septembre, trois à quatre hausses sont désormais prévues pour cette année. Un resserrement plus rapide entraînera une nouvelle hausse des coûts d’emprunt, ce qui portera un nouveau coup à la compétitivité allemande, parallèlement à la hausse des prix des bien de production et des coûts salariaux, alors même que la demande ralentit. Il sera donc presque impossible pour l’économie allemande d’échapper à la récession à court terme, et il sera probablement beaucoup plus difficile pour l’industrie allemande de retrouver sa couronne de compétitivité à plus long terme.

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